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Pourquoi la France hésite…

par Alain Gresh, 23 août 2006

OTAN. José María Aznar, ancien premier ministre espagnol, partisan de la guerre en Irak en 2003, est aussi un fervent défenseur de l’entrée d’Israël dans l’OTAN. Dans un récent entretien à la radio, il affirme que l’OTAN devrait bombarder le Liban « si nécessaire… Parce que je considère qu’Israël est une partie essentielle du monde occidental. Et je considère que mes intérêts, ma démocratie, ma liberté, ma prospérité, passent actuellement dans une large mesure par l’existence d’Israël... et cette lutte est une lutte vitale pour le... pour l’existence de uhmmm de... pour Israël, elle est vitale pour son existence... et ils combattent le terrorisme... et moi je soutiens cette idée qu’il est nécessaire de garantir l’existence d’Israël... Israël est une partie du monde occidental ». Interrogé par le journaliste pour savoir s’il pense sérieusement que l’OTAN pourrait faire une telle chose sans cesser d’être une organisation stable et cohérente, il répond : « Avec les règles actuelles de l’OTAN, l’article 5, qui considère une attaque contre un membre de l’OTAN comme une attaque contre tous les membres de l’OTAN, la réponse est volontairement... C’est une raison... D’un autre côté... Précisément c’est pour cette raison que je considère que la garantie du monde occidental autour d’Israël... Israël, comme membre de l’OTAN, est bon pour notre stabilité, notre prospérité, et pour le reste de la région, du Moyen-Orient, l’OTAN serait une garantie de stabilité. Mais permettre, permettre qu’Israël puisse être attaqué par des terroristes... sans réaction de la part de l’Occident, de l’Europe, du monde occidental, est de mon point de vue une erreur très grave. »

http://fr.groups.yahoo.com/group/al...

Procès. Le procès de Saddam Hussein pour génocide contre les Kurdes à la fin des années 1980 a commencé. Au-delà de tous les problèmes posés par la forme même de la justice irakienne, et que souligne l’organisation Human Rights Watch, une des questions posées est de savoir si les complicités avec le régime irakien à l’époque, notamment celles de la France et des Etats-Unis, seront aussi débattues.

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Depuis quelques jours, la presse nationale et internationale se gausse de Jacques Chirac et de ses hésitations à prendre le commandement de la force internationale des Nations unies au Liban et à envoyer un contingent important de soldats. Pourtant, la seule question qui mérite d’être posée est celle-ci : une force internationale, pour quoi faire ? Tout le monde a souligné le caractère ambigu de la résolution 1701 des Nations unies, adoptée à la suite de marchandages américano-français, et du refus du gouvernement libanais d’une première mouture du texte trop favorable à Israël. Le texte de la 1701 reste, malgré tout, peu clair. Il rend le Hezbollah responsable de la guerre, demande « une cessation immédiate des hostilités » (pas un cessez-le-feu), se félicite du déploiement de l’armée libanaise au Sud et « demande au gouvernement israélien, alors que ce déploiement commence, de retirer en parallèle toutes ses forces du Sud-Liban ». Sur la question du désarmement du Hezbollah, le texte se félicite de la décision du gouvernement libanais d’étendre son autorité sur tout le territoire, « de sorte qu’aucune arme ne s’y trouve sans le consentement du Gouvernement libanais et qu’aucune autorité ne s’y exerce autre que celle du Gouvernement libanais » : la formulation est pour le moins ambiguë : il faudrait que le gouvernement de Beyrouth demande explicitement le désarmement du Hezbollah, ce qui est impossible dans le contexte actuel.

D’autre part, sur toutes les autres questions litigieuses, la résolution adopte une position floue : elle demande la libération « inconditionnelle » des deux soldats israéliens, tout en affirmant qu’il faut encourager les efforts « visant à régler d’urgence la question des prisonniers libanais détenus par Israël ». Elle affirme aussi la nécessité de fixer les frontières internationales entre le Liban et Israël, et affirme qu’il faut régler le problème des fermes de Chebaa, mais sans préciser comment.

Quant à la Finul, dont le nombre d’hommes est porté à 15 000 (maximum), elle aura pour rôle de contrôler la cessation des hostilités, d’« accompagner et appuyer les forces armées libanaises à mesure de leur déploiement dans tout le Sud, y compris le long de la Ligne bleue [frontière entre Israël et le Liban], pendant qu’Israël retire ses forces armées du Liban… ». Elle coordonnera ses activités avec les gouvernements libanais et israéliens. Si Washington et Tel-Aviv voudraient voir la Finul désarmer le Hezbollah, aucun pays n’est prêt à envoyer des effectifs pour imposer cet objectif.

On comprend donc que, dans le cadre du flou de la résolution 1701, la France hésite. Mais une autre raison pousse Paris dans ce sens : il est peu probable que les troupes françaises soient bien accueillies au Sud (lire l’article de Joseph Samaha, dans le billet du 18 août). Paris n’oublie pas les événements de 1983, quand un attentat-suicide contre ses forces sur la base du Drakkar au Liban avait coûté la vie à 58 soldats (241 soldats américains avaient été tués dans d’autres attentats) : Paris était perçu comme allié d’un gouvernement de droite libanais proche d’Israël dans sa lutte contre la Syrie alliée aux Palestiniens et aux forces dites « islamo-progressistes ».

La situation est-elle différente aujourd’hui ? La France est perçue comme « partie prenante » du conflit : le gouvernement français a rompu ses relations avec Damas, est à la pointe du combat contre le nucléaire iranien, s’est rapproché d’Israël et a dénoncé à plusieurs reprises le Hezbollah. Dans ces conditions, ses troupes risquent de devenir une cible en cas de reprise des combats. On comprend que Paris hésite…

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Le tournant de la France - Article paru dans Al-Akhbar, Beyrouth, 22 août 2006, en arabe, dont voici la traduction.

« A ceux qui ne s’en seraient pas aperçus, les événements des dernières semaines au Proche-Orient ont confirmé le tournant pris par la politique française. Bien qu’il ne soit pas encore total, on constate une rupture avec la politique traditionnelle de Paris telle qu’elle avait été définie par le général de Gaulle. Cela ne signifie pas un alignement pur et simple sur les Etats-Unis, ni la renonciation à tout discours autonome. Mais les événements en Palestine comme au Liban montrent une coordination de plus en plus étroite avec Washington et une difficulté à définir une ligne indépendante qui lui permettrait de jouer un rôle politique autonome, se bornant parfois à une diplomatie “humanitaire”.

Ainsi la France, qui, comme les Etats-Unis, a suspendu son aide directe à l’Autorité palestinienne après la victoire des candidats du Hamas aux élections législatives de janvier, cherche des moyens d’alléger les souffrances des populations, qu’elle contribue elle-même à aggraver. Elle accepte de voir se déliter les institutions de l’Autorité palestinienne et se borne à envoyer des fonds pour éviter une famine des populations. De plus, depuis le 28 juin et l’offensive israélienne sur Gaza — marquée par des attaques contre les infrastructures civiles, contre les bâtiments publics, contre les maisons, tout ce que l’on définit en droit international comme “crime de guerre” —, elle s’est bornée à appeler les parties à la “retenue” et à demander la libération “immédiate et sans condition” du soldat Gilad Shalit.

Sur le Liban, la position adoptée par la France (et par tous les membres du G8) est sans précédent. En insistant sur le droit d’Israël à se défendre, elle justifie l’opération israélienne, comme si celle-ci n’avait pour objectif que de libérer deux soldats faits prisonniers lors d’une action militaire. Tout en soulignant le caractère “disproportionné” de l’attaque israélienne, elle la justifie politiquement, en affirmant que la priorité est la libération des deux soldats sans aucune contrepartie. Paris n’a commencé à réagir que devant l’ampleur sans précédent de la destruction des infrastructures du Liban — un pays dirigé par un gouvernement “ami” de la France ! Il a fallu une semaine pour qu’elle commence à se démarquer du discours américain en appelant à un cessez-le-feu immédiat. Pourtant, son but stratégique rejoint celui des Etats-Unis et d’Israël : désarmer le Hezbollah, comme si celui-ci était la cause essentielle de l’instabilité dans la région.

A d’autres époques, la France savait agir sur le plan politique de manière autonome. Ainsi, au printemps 1996, le président Chirac envoyait le ministre des affaires étrangères Hervé de Charrette, qui allait passer près de deux semaines dans la région : “Je ne partirai pas tant qu’il n’y aura pas un cessez-le-feu et un accord.” Malgré les réticences américaines et israéliennes, Paris réussissait, et l’essentiel des propositions formulées par la France étaient adoptées lors de l’accord de cessez-le-feu du 27 avril, qui préservait le droit de la résistance à poursuivre la lutte contre l’occupation du sud-Liban et garantissait la sécurité des villes du nord d’Israël … “Pour pouvoir réussir, disait Hervé de Charrette à l’époque, il faut pouvoir parler à tout le monde.” A cette époque, la France avait des contacts avec toutes les parties, de la Syrie au Hezbollah, d’Israël aux Etats-Unis et ne se limitait pas au “camp occidental”. Le comité de surveillance du cessez-le-feu sera d’ailleurs composé de la France, du Liban, des Etats-Unis, de la Syrie et d’Israël.

Refusant de parler à la Syrie, coupée du Hezbollah, la France a abandonné sa position “équilibrée” traditionnelle : elle appartient désormais à un camp et on voit mal comment elle pourra jouer un rôle positif dans l’“après-guerre” instable qui se dessine au Liban.

L’infléchissement français est parallèle du rapprochement avec Israël, marqué par la visite de M. Ariel Sharon à Paris en juillet 2005. Désormais, le problème palestinien est relégué au dernier rang de l’ordre du jour du dialogue bilatéral. Paris, bien sûr, maintient ses positions de principe sur la création d’un Etat palestinien indépendant, mais se garde de contrarier Israël.

La campagne menée dès 2002 aux Etats-Unis et en Israël sur “la France, pays antisémite” a aussi lourdement pesé. Les dirigeants et les responsables de plusieurs partis politiques français vont chercher à se dédouaner et à obtenir la caution des grandes organisations juives américaines. Lors de son voyage à New-York, en septembre 2003, le président Jacques Chirac se fait accompagner par les représentants d’organisations juives françaises pour rencontrer leurs homologues américaines. Celles-ci ne se privent d’ailleurs pas d’intervenir directement en France et d’y exporter leur savoir-faire. Ainsi, l’American Jewish Committee a organisé un voyage d’une vingtaine de députés français en Israël, dirigés par M. François Fillon, proche conseiller de M. Sarkozy. A l’issue d’entretiens avec les participants, l’agence Guysen Israel News notait, le 5 février 2006, que ce qui avait frappé le plus, c’est qu’“Israël et la France – en tant que démocraties parlementaires – sont dans une même position face à l’islam”.

Dans un discours prononcé à Herzliya, en Israël, le 16 décembre 2004, M. Nicolas Sarkozy, ministre de l’intérieur, et l’un des principaux candidats à la succession du président Chirac, salue le combat commun menés par “nos soldats” en 1956, lors de la triste expédition coloniale contre l’Egypte de Nasser et pour “récupérer” le canal de Suez, combat qui se poursuit grâce à l’action “de nos services de renseignement”…

Le général de Gaulle est bien mort. C’est lui qui déclarait, prophétique, au lendemain de la guerre de juin 1967 : Israël “organise, sur les territoires qu’il a pris, l’occupation, qui ne peut aller sans oppression, répression et expulsions ; et il s’y manifeste contre lui une résistance qu’à son tour il qualifiera de terroriste”. Quarante ans plus tard, la Cisjordanie, Gaza, Jérusalem-Est et le Golan restent occupés, mais la France semble désormais considérer que l’instabilité de la région ne réside plus dans l’occupation, mais dans le “terrorisme”… »

Alain Gresh

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