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Bat Ye’or, Eurabia et l’axe euro-arabe

par Alain Gresh, 26 septembre 2006

Le test du musée. Ariel Rubinstein écrit dans le quotidien israélien Yedioth Aharonoth du 25 septembre un article intitulé « The test museum » (Le test du musée). Supposons, dit-il en substance, que, dans vingt ans, nous fassions le plan d’un musée pour célébrer notre victoire sur les Palestiniens durant la seconde Intifada. Il propose quelques idées : « Dans l’aile principale, nous pourrions montrer comment les avions militaires israéliens les plus avancés, les chars les plus lourds et les techniques de renseignements les plus précises ont permis de faire sauter les ateliers de forgerons qui étaient utilisés pour construire des roquettes Qassam, d’abattre n’importe quelle créature à deux jambes qui s’approchait des barbelés de la frontière et de couler les petits bâteaux de pèche utilisés pour la contrebande d’armes. » (...) « Une section spéciale serait consacrée à la justice, où nous organiserions un son et lumières expliquant comment nous avons violé la lettre de la loi pour autoriser l’expropriation des terres, les démolitions de maisons, les emprisonnements et autres merveilles de l’occupation. »

Pourquoi citer un empereur byzantin ? Dans une opinion publiée le 25 septembre dans le International Herald Tribune, Erwan Lagadec, un chercheur associé au Centre pour les relations transatlantiques de l’université John Hopkins, s’interroge après les déclarations du Pape : « Why quote a Byzantine emperor ? ». « La réfutation de l’islam par Manuel II est le dernier avatar d’un genre littéraire qui avait de profondes racines historiques. Des érudits aussi importants que Pierre le Vénérable (1094-1156) ou Thomas d’Aquin (1225- 1274) ont contribué de manière significative à cette tradition. Toutefois, ils ne contestaient pas l’islam de la même manière que Manuel II. Au contraire, leur point de départ était la raison et ils acceptaient le fait que les musulman partageaient. Sur cette base, ils discutaient pour savoir si la raison faisait du chrisitianisme ou de l’islam une doctrine irréfutable. Dans ces joutes, les auteurs chrétiens n’ont jamais remis en cause la capacité des musulmans d’allier la raison et la fois. Ils affirmaient simplement que leurs arguments étaient plus convaincants. »

« Si le pape a de manière inexplicable puisé dans un des textes les plus polémiques du Moyen Age, est-ce que cela ne s’explique pas par le fait que notre époque, notre dialogue inter-religieux et inter-culturel, est "sombre" ? La différence de point de vue entre les traités de Pierre le Vénérable ou Thomas d’Aquin d’un côté, Manuel II de l’autre est facile à expliquer. Aux XIIe et XIIIe siècles, quand Pierre le vénérable ou Thomas d’Aquin écrivaient, le christianisme était en ascension. Il reconquerrait ou conquerrait des terres contrôlées par des Etats musulmans faibles (durant ce processus, le monde chrétien commettait le plus de massacres et de "conversions par l’épée"). Le christianisme avait confiance dans sa force, y compris sa force intellectuelle.  »

« Tout cela était bien éloigné du contexte de Constantinople en 1400. Manuel II et ses prédécesseurs avaient consacré leur vie à une bataille dont ils savaient qu’elle était perdue. L’islam était à l’offensive. L’empereur était sous siège, humilié par les musulmans et par les catholiques romains. »

« Donc la vraie question est de savoir pourquoi le Pape se sent si proche du contexte culturel que connaît un empereur vivant sous siège, en guerre, humilié et du côté des perdants de l’histoire. Il faut espérer que dans son dialogue avec le monde musulman, l’Occident ne partage pas les sombres vues de Manuel Paleologue ou la conviction que les circonstances d’alors et d’aujourd’hui sont les mêmes. Donner du poids à de telles notions nous forcera à transformer "le choc des civilisations" en prophétie auto-réalisatrice (a self- fulfilling prophecy). »

Bat Ye’or, Eurabia, et l’axe euro-arabe

Parmi les personnes qui défendent une vision "orientaliste", on peut distinguer deux types : les uns maîtrisent une connaissance réelle du monde musulman, tel Bernard Lewis – ce qui n’empêche pas que l’on puisse contester leurs analyses, comme j’ai pu le faire dans Le Monde diplomatique d’août 2005 ; d’autres sont de purs idéologues dont les travaux relèvent uniquement d’une volonté d’engager le monde dans une guerre de civilisation. Parmi ces derniers, on compte Bat Ye’or, dont les "travaux" sont complaisamment reproduits par tous les sites, toutes les revues engagées dans la "troisième guerre mondiale" contre l’islam.

Son dernier livre s’intitule Eurabia, l’axe euro-arabe, un mélange de théorie du complot et de conviction que depuis la naissance de l’islam l’Europe et l’Occident sont confrontés à une menace existientielle.

Une fois n’est pas coutume, j’ai voulu offrir aux lecteurs de ce blog, sans commentaires, une partie de son livre. A eux de juger...

Extraits de la préface (pages 16 et 17)

« Dès les années 1970, une sorte de tabou occulta ce sujet en Europe et, même, l’exfiltra de l’histoire. Il fallut attendre l’attaque jihadiste du 11 septembre 2001 aux USA pour rompre le silence. La guerre contre le terrorisme jihadiste, proclamée par le président George W Bush, traumatisa les chefs d’État européens. Les enquêtes judiciaires révélèrent que la plupart des attentats terroristes contre les États-Unis et d’autres pays avaient été fomentés par des cellules islamistes disséminées en Europe. »

L« es ondes de choc américaines du Il septembre gagnèrent l’Europe. On y voyait dans les banlieues, parmi des immigrés, la popularité de Ben Laden et la fierté des coups terroristes portés à l’Amérique, symbole d’un Occident haï. Stupéfaits, sortant de leur torpeur, les Européens découvraient les diverses faces d’Eurabia, ce continent de la peur, du silence, de la dissimulation et de la diffamation qui n’était déjà plus l’Europe. Dès le VIIe siècle, et pour plus d’un millénaire, l’Europe avait résisté aux armées jihadistes lancées des territoires islamisés à l’assaut de ses îles et de ses côtes. Mais à partir de 1968, sous la pression du terrorisme palestinien, de l’attrait de l’or noir et de l’antisémitisme rampant, la CE choisit une direction radicalement différente. Elle opta délibérément pour une politique d’intégration avec le monde arabe selon une doctrine qui envisageait la fusion des deux rives de la Méditerranée. L’Europe devait se réconcilier avec un monde qu’elle incorporerait et qui la prolongerait en Afrique et en Asie. Les trois symptômes les plus apparents de cette politique s’exprimèrent par l’antiaméricanisme, l’antisémitisme/antisionisme et le culte palestinien, trois politiques imposées et diffusées du sommet de l’Union européenne dans chaque État membre, du haut en bas de l’échelle sociale, par un appareil et des relais organisés. Dans la confusion créée par le soudain surgissement du terrorisme islamiste sur sol américain, par la guerre contre les talibans en Afghanistan et la politique du chaos et des bombes humaines inaugurée par Arafat en Israël, les gouvernements européens, inextricablement liés aux pays arabes, recoururent à la politique de l’autruche et déclarèrent à qui mieux mieux qu’il n’y avait pas de terrorisme islamiste. Ce que l’on appelait à tort le terrorisme, c’était tout bonnement la folie, la stupidité et l’arrogance de la politique américaine, son « injustice » vis-à-vis des Palestiniens, ses « deux poids, deux mesures ». La véritable source du terrorisme, la cause principale de la guerre, c’était Israël, généralement dénommé « l’injustice », responsable par sa seule existence de la frustration, de l’humiliation des Arabes, de la misère, du désespoir et de tous les maux qui frappaient vingt-deux pays arabes, et même des guerres qui affligeaient la planète. Il suffisait de supprimer « l’injustice » pour parachever l’harmonieuse entente euro-arabe, la pureté du monde et la paix. »

« Qui s’y opposaient ? L’Amérique qui avait reçu une leçon bien méritée le 11 septembre et les communautés juives de la diaspora. L’UE et sa puissante Commission dirigèrent alors leurs batteries médiatiques contre les États-Unis et Israël, déversant dans toutes les strates sociales le langage d’Eurabia. Elle se manifesta au Forum international à Stockholm (janv.-fév. 2004), où une composition « artistique » honorait une islamikaze qui avait massacré vingt et un Israéliens, hommes, femmes et enfants en grande majorité chrétiens, tranquillement attablés lors d’un dimanche ensoleillé à un restaurant clé Haifa. Son portrait fut affiché sur les murs de vingt-six voies de métro. Mais, plus prosaïquement, une fièvre antisémite multipliait dans la vie quotidienne les agressions physiques et verbales antijuives dans les écoles, les rues, contre les synagogues et les cimetières en France, en Grande-Bretagne, en Suède, en Espagne, en Norvège. Elles se développaient dans une sorte d’impunité railleuse, d’autisme à l’échelle européenne, accompagnées d’hymnes à la victimologie palestinienne. Les États de l’Union européenne ne s’en émurent que lorsque ces événements, largement couverts par la presse américaine, firent scandale. »

Extraits issus du chapitre 19, « Conditionner les esprits » (pages 302 à 309)

Un continent terrifié

« Dans son livre sur la vie quotidienne en Andalousie, Charles-Emmanuel Dufourcq décrivait ce qu’il désigne "une grande peur" : la terreur de populations européennes soumises aux incursions jihadistes. À l’est de la Méditerranée, les chroniqueurs grecs et slaves rapportent la même terreur provoquée par l’avance turque. Le géographe serbe du début du XXe siècle, Jovan Cvijic, écrivait dans son livre très instructif sur les Serbes que, durant des siècles, la population dhinitnie vécut dans la peur. »

« Dès le début du Dialogue (entre l’Europe et le monde arabe), le public européen fut conditionné par la peur de contrarier les partenaires arabes et surtout de les humilier. Jacques Berque, l’influent arabisant français né en Algérie, évoquait dans ses mémoires cette grande peur qui accompagna son enfance. Aussi, en maintes occasions, recommandait-il la prudence vis-à-vis du monde arabe. Quand la France hésitait à participer à la guerre du Golfe, en août 1990, Berque déclarait : "[Les Arabes] pèsent lourd sur les flancs de l’Europe, et même en son cœur, avec les immigrants. L’humiliation du monde arabe est un luxe que nous ne pouvons pas nous permettre." Le respect pour l’arabisme est lié à cette angoisse ancestrale européenne, fustigée d’ailleurs par de nombreux politiciens qui dénoncent des préjugés irrationnels. Cependant, une alarme bien plus grande agite les cercles politiques européens. Le développement depuis trente ans du terrorisme de l’OLP, du Hamas, du Hezbollah et des autres mouvements jihadistes internationaux les a conduit à nier une réalité qu’ils se refusaient à affronter. Bien avant l’effondrement politique de l’Espagne après l’attentat terroriste du 11 mars 2004 à Madrid, qui tua 191 voyageurs, la peur de provoquer des représailles dictait les décisions politiques des ministres européens. Le pacifisme et l’opportunisme joints à la collusion avec Arafat dans les domaines médiatique, politique et financier garantirent à l’Europe le répit temporaire et conditionnel du dar al-sulh. En mars-avril 2003, les manifestations dans les rues d’Europe de centaines de milliers d’Européens solidaires d’Arafat et de Saddam Hussein témoignaient de cette peur. Le ministre des Affaires étrangères français, Dominique de Villepin, déclara au secrétaire d’État américain Colin Powell que la guerre en Irak et l’aggravation des hostilités avaient attisé "un sentiment d’inquiétude et d’humiliation dans le monde arabe". »

« Pour la « vieille Europe », la déclaration de guerre américaine au terrorisme et l’affirmation des valeurs judéo-chrétiennes représentent une inadmissible provocation et le seul vrai danger. (...) Dans son livre dense sur l’idéologie religieuse et la littérature politique des islamikazes, Raphaël Israeli, professeur de chinois et d’études islamiques et moyen-orientales de l’université hébraïque de Jérusalem, détaille les innombrables justifications très populaires du terrorisme contre l’Occident. » (...)

Une culture de haine

Le jihad incarne une conception de la guerre perpétuelle. Aussi requiert-il de perpétuels ennemis que l’oumma est obligée de combattre et d’assujettir. Le concept corrélé de dar al-barb, pays de la guerre destiné à la conquête, incite à une hostilité permanente contre les opposants. (...) Dans son livre explorant l’idéologie soutenant le terrorisme, Hatred’s Kingdom (Le Royaume de la haine), Dore Gold, expert du Moyen-Orient et ancien ambassadeur israélien auprès des Nations unies, décrit la haine qui nourrit le jihad. Il cite Cheikh Abdul Aziz bin Baz, vice-chancelier de l’université islamique de Médine : "Selon le Coran, la sunna et le consensus des musulmans, c’est le devoir des musulmans d’être hostiles aux juifs, aux chrétiens et autres musbrikun [polythéistes]". Bin Baz ajoute que divers versets du Coran démontrent « avec une clarté absolue, qu’il y a une obligation religieuse à mépriser les juifs et chrétiens infidèles et les autres musbrikun ». En 1974, Cheik bin Baz ftit nommé président du Directoire des recherches religieuses, des règlements religieux, de la propagande et de la direction religieuse, un important organe officiel, législatif et religieux.

« Fin 2002, Cheikh Muhammad bin Abdul Rahman al-Arifi, imam de la mosquée de l’académie de défense King Fahd écrivait : "Nous contrôlerons le Vatican ; nous contrôlerons Rome et y introduirons l’islam. Oui, les chrétiens qui gravent des croix sur les poitrines des musulmans du Kosovo et, auparavant, en Bosnie, et, avant, en de nombreux endroits dans le monde, nous paieront la jiziya, comme humiliation, ou se convertiront à l’islam". Le lien entre haine, guerre et humiliation est évident. Les nombreux et divers signes de dégradation rattachés à l’existence du dhimmi visaient à focaliser la haine sur lui. Le mépris et les diatribes qui les justifiaient pouvaient se développer librement dans le monde silencieux et humble de la dhimmitude. Ce discours traditionnel, si prévalent dans les sociétés arabes, déborde aujourd’hui en Europe, importé par les canaux du Dialogue à travers l’UE. La haine jihadiste a remis du vitriol nazi et fasciste dans la décoction eurabienne. »

« (...) En vingt ou trente ans, l’immigration de plusieurs millions de musulmans, principalement des pays arabes et de l’Asie, a importé tout le contexte de la dhimmitude en Europe même comme le montrent les intifadas à répétition en France et ailleurs. »

Les agents

« Les politiques dhimmies de soumission, de bons offices, de dénis mêlés d’antisémitisme et d’antiaméricanisme confèrent à la dhimmitude européenne une structure complexe. Elle se conforme au schéma historique du jihad, qui fomente des discordes interdhimmis et la division entre les nations infidèles. Il n’est pas surprenant que certains milieux religieux soient devenus les meilleurs agents de la dhimmitude en Europe. La condamnation de Bush pour impiété par certains protestants et catholiques européens va dans ce sens ; les commentaires négatifs sur sa religiosité évangélique illustrent le ressentiment et les peurs suscités par ses dénonciations du jihad. Un anathème contre Bush « faux chrétien » fut lancé dans les Églises en tandem avec les sentiments antiaméricains de l’UE. Les clergés islamophiles dhinunis le conspuèrent et, paradoxalement pour des ecclésiastiques, rejetèrent ses invocations de Dieu. Alors que les Américains sont fiers de leurs valeurs judéo-chrétiennes, les Européens les cachent comme des dhimmis. De tels sentiments se manifestent avec une force accrue dans les Églises arabes. Prouver leur animosité antioccidentale fut, depuis des siècles, la rançon de leur survie. Vecteurs de la politique arabe dans le dar al-barb, elles substituent le problème palestinien à la discrimination du christianisme d’islam. En juillet 2003, les dirigeants de l’Église palestinienne déclarèrent que les chrétiens américains qui soutenaient, sur des fondements bibliques, le droit d’Israël à la Terre sainte n’étaient pas chrétiens, suggérant par là que l’accusation de déicide est fondée. Il est indéniable que les Églises dhimnies contribuèrent à tisser le réseau psychologique, religieux et moral de la dhimmitude en Occident. Elles y gagnèrent non seulement la bienveillance de leurs maîtres musulmans, mais aussi un rôle politique de premier plan fort peu compatible avec leurs devoirs spirituels. »

(...) « La contribution des politiciens et intellectuels chrétiens arabes au militantisme dhimmi sous le pavois d’Edward Saïd fut déterminante en Europe et en Amérique. Les chrétiens du Moyen-Orient réfugiés en Occident, ainsi que les historiens des Balkans dénoncèrent souvent la collaboration chrétienne d’autrefois, qu’ils reconnaissent aujourd’hui en Occident. Malgré leur ténacité et leur courage, les Libanais, les coptes et les Assyriens réfugiés des pays arabes peuvent difficilement s’opposer aux « arabisants », leurs frères ennemis, généreusement financés et protégés par de puissants lobbies et qu’ils considèrent comme des traîtres. Depuis trente ans, les Européens sont soumis à une campagne de désinformation permanente générée par l’Association parlementaire euro-arabe et les multiples réseaux du Dialogue, essaimant par le biais de commissions et sous-commissions dans les affaires et la finance, les médias et l’édition, l’université et l’Église. Les fonctionnaires « eurabiens » de l’UE peuplent les centres de décision et exécutent le programme de stratégie commune, liant l’Europe au monde arabe. La guerre terroriste palestinienne, commencée en octobre 2000, et la collusion de l’UE avec Arafat, entraînèrent une campagne médiatique commune dans toute l’Europe et à l’échelle internationale. Elle illustrait la solidarité du partenariat euro-arabe dans la ligne des nombreuses résolutions relatives à cette stratégie. »

« Pourtant, la majorité des Européens est hostile à cette politique imposée à leur insu par les Eurabiens et dans laquelle ils se sentent emprisonnés et avilis, impuissants à combattre ce qui est devenu une culture de reddition et de haine. » .

Alain Gresh

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