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Quelle est la « bonne » position sur le conflit israélo-palestinien ?

par Alain Gresh, 6 octobre 2006

Affaire Redeker (bis). Deux excellentes réflexions sur l’affaire Redeker, la première de Jean Baubérot, de l’Ecole pratique des hautes études, dans Le Monde du 6 octobre, « Non aux propos stéréotypés ! ». On retiendra notamment cette phrase où il épingle ceux qui défendent le professeur « quel que soit le contenu de l’article ». « Je ressens cela comme une grave menace pour la liberté de penser elle-même. J’imagine la situation en 1894 ; supposons une minute qu’ait existé alors un groupe d’extrémistes menaçant Edouard Drumont ou un autre publiciste antisémite (...), pouvons-nous concevoir ceux que l’affaire Dreyfus allait qualifier d’intellectuels écrivant pour défendre le publiciste attaqué "quel que soit le contenu de la Libre Pensée (l’organe de Drumont ?) ». D’autre part, dans Le Figaro du 5 octobre, Patrick Prado, chercheur au CNRS, écrit un texte intitulé « La religion, l’Histoire et le piège des citations ». Il incite dans sa conclusion Redeker à lire le Coran : « Redeker n’est pas Rushdie. Peut-être redécouvrira-t-il un jour, en tant qu’intellectuel et philosophe, ce beau mot de tolérance et que Kant appelait l’"esprit élargi" à savoir que l’esprit religieux n’est pas par nature intolérant. Quand cesserons-nous, à travers tous les fanatiques, de jouer à nous faire peur plutôt que d’essayer de vivre dans un monde adulte ? ». D’autre part, le SNES-FSU conteste le contenu de l’appel en faveur de Robert Redeker publiée par Le Monde de 3 octobre ; cet appel était notamment signé par Claude Lanzmann, Pascal Bruckner, Elisabeth Badinter et Romain Goupil. « Nous avons été très surpris, affirme le SNES, de lire dans ce point de vue la phrase suivante : "pas plus que nous n’admettons les premières déclarations du Snes, syndicat d’enseignants qui se désolidarisait d’un professeur aujourd’hui menacé dans sa vie même".  » Jugeant « cette mise en cause diffamatoire », il rappelle avoir été l« e premier syndicat d’enseignants à s’être exprimé dès qu’il a eu connaissance des menaces à l’encontre de ce collègue, le vendredi 29 septembre, par le biais » d’un communiqué de presse. Dans ce communiqué, le syndicat affirmait qu’ « au delà de l’avis que chacun peut porter sur cette tribune, il est en tout état de cause inacceptable, dans notre République, que des propos tenus par un citoyen conduisent à une telle situation ». Le syndicat demande instamment aux signataires de l’appel de faire paraître dans le journal Le Monde, la mise au point qui s’impose.

Des universités pour surveiller les médias. Eric Lipton, dans The International Herald Tribune du 5 octobre, écrit un petit article intitulé : « Universities join the U.S. to monitor foreign news » (les Universités se joignent au (gouvernement) des Etats-Unis pour surveiller les médias). Il annonce qu’un groupe d’universités américaines prestigieuses,, dnt Cornell, l’université de Pittsburgh et celle d’Utah, ont signé un accord avec le département de la sécurité intérieure (Homeland Security Deparment) pour mettre au point un logiciel qui surveillerait les points de vue des médias étrangers sur la politique américaine. Joe Kilman, le coordinateur du projet explique : « Nous voulons comprendre la rhétorique de ce qui est publié et l’intensité de celle-ci et les différences entre "ne pas aimer" et "excommunier". » Cette initiative a suscité de fortes oppositions et Lucy Dalglish, directrice exécutive du Comité des journalistes pour la liberté de la presse a déclaré : « Cela fait tout simplement frissonner, c’est orwellien. »

Les morts de l’après-guerre. Chaque jour, depuis la fin de la guerre du Liban, trois personnes meurent ou sont blessées par des bombes à fragmentation larguées par l’armée israélienne durant les derniers jours du conflit. Selon les estimations des Nations unies, il y aurait dans le sud du Liban, un million de bombes non explosées. Selon l’article du New York Times du 6 octobre, « Israeli Bomblets Plague Lebanon » (les bombes israéliennes empoisonnent le Liban), « des efforts répétés pour obtenir des justifications de responsables israéliens pour l’utilisation de ces bombes ont été inutiles »... Cette présence des bombes rend très difficile le retour des villageois du Sud dans leur maison.

Quelle est la « bonne » position sur le conflit israélo-palestinien ?

Un internaute me demande ce que je pense de l’initiative de l’International Crisis Group, dont j’ai rendu compte sur mon blog->http://blog.mondediplo.net/2006-10-04-Vers-une-solution-globale-du-conflit-israelo]. Les fondements d’une position politique sont souvent inconscients. Il est important de prendre le temps de réfléchir là-dessus et de savoir ce qui nous détermine à prendre position sur le conflit israélo-palestinien. D’autre part, comment déterminer une position entre "réalisme" politique et "justice" ? comment prendre en compte les réalités qui se sont créées sur le terrain - la création de l’Etat d’Israël, de cinq millions d’Israéliens juifs - et qui ont été entérinées par les Nations unies ? Autant de problèmes dont la solution est loin d’être facile contrairement à ce que semblent penser une partie des lecteurs de ce blog...

Je renvoie pour tout cela à un texte que j’ai écrit pour l’Asociation France-Palestine Solidarité et intitulé Palestine, les bases de la solidarité. D’autre part, je publie ci-dessous une partie de l’introduction de mon livre Israël-Palesine, vérités sur un conflit (Hachette), écrite en 2001, qui se présente sous la forme d’une « lettre à ma fille ».

« "Avec mon frère contre mon cousin, avec mon cousin contre les étrangers" : l’adage, paraît-il, résumait la spirale des massacres que connaissait le Liban plongé dans la guerre civile, durant les années 1970. Cette logique, je l’ai toujours rejetée. Faut-il l’accepter aujourd’hui, à l’heure où l’on célèbre le « village planétaire », les droits universels de la personne et l’égalité entre êtres humains ? Faudrait-il considérer comme légitime que les juifs soient solidaires d’Israël, les musulmans des Palestiniens ? On peut comprendre des proximités familiales, affectives, religieuses. « Presque tous les juifs de Strasbourg, notait un responsable du Conseil représentatif des organisations juives de France (CRIF) après divers incidents antisémites à l’automne 2000, ont de la famille là-bas. Le sentiment de base est une réaction d’anxiété pour les proches. Dès qu’un danger menace Israël, la solidarité joue à plein. » Quant aux jeunes d’origine musulmane, ils s’identifient à ces lanceurs de pierres, pour des raisons sociales - « Déshérités de tous pays, unissez-vous » - ou par un sentiment, plus ou moins diffus, d’appartenance culturelle et religieuse. Une note des Renseignements généraux du mois de décembre 2000 soulignait que les agressions antisémites, assez isolées, exprimaient surtout le défoulement de quelques jeunes des cités et qu’on ne devait pas leur attribuer de caractère politique. Mais cela durera-t-il ? »

« Car la gauche reste étrangement à l’écart des événements de Palestine. Figée par la crainte de débordements, faisant appel aux autorités religieuses pour calmer les tensions, elle a abandonné à leur sort ces jeunes qui grandissaient en dehors de son influence, de sa culture, de sa vision du monde. Elle n’a pas su s’adresser à eux, répondre aux tourments qu’ils rencontraient dans les cités, trouver les mots qui touchent, mener les actions qui auraient pu donner à ce qui se passait en Palestine et en Israël un contenu universel. Écoeurés, vers qui se tourneront ces jeunes ? Vers ceux qui donnent à ce combat une explication, et une solution, religieuse ou communautaire ? »

« Pourtant, des voix courageuses, même minoritaires, rejetèrent et cette cécité de la gauche, et la dérive des solidarités « communautaires ». Le 18 octobre 2000, Le Monde publiait un appel : "Citoyens du pays dans lequel nous vivons et citoyens de la planète, nous n’avons pas de raisons ni pour habitude de nous exprimer en qualité de juifs", écrivaient des dizaines d’intellectuels, dont le résistant Raymond Aubrac, l’ancien président de Médecins sans frontières Rony Brauman, le philosophe Daniel Bensaid, le médecin Marcel-Francis Kahn, l’avocate Gisèle Halimi, le mathématicien Laurent Schwartz, l’historien Pierre Vidal-Naquet. »

« "Nous combattons, poursuivaient-ils, le racisme, dont, bien sûr, l’antisémitisme sous toutes ses formes. Nous condamnons les attentats contre les synagogues et les écoles juives qui visent une communauté en tant que telle et ses lieux de culte. Nous refusons l’internationalisation d’une logique communautaire qui se traduit, ici même, par des affrontements entre jeunes d’une même école ou d’un même quartier." »

« "Mais, en prétendant parler au nom de tous Ies juifs du monde, en s’appropriant la mémoire commune, en s’érigeant en représentants de toutes les victimes juives passées, les dirigeants de l’État d’Israël s’arrogent aussi le droit de parler, malgré nous, en notre nom. Personne n’a le monopole du judéocide nazi. Nos familles aussi ont eu leur part de déportés, de disparus, de résistants. Aussi le chantage à la solidarité communautaire, servant à légitimer la politique d’union sacrée des dirigeants israéliens, nous est-il intolérable." Quelques semaines plus tard, avec des intellectuels arabes ou d’origine arabe, ils créaient un comité pour défendre une paix juste au Proche-Orient. Les deux groupes - ils ne furent pas les seuls heureusement - tentaient de transcender les logiques identitaires au nom de principes universels et malgré les condamnations : Roger Ascott, dans L’Arche, le mensuel du judaïsme français (juillet-août 2001), dénonça comme "une poignée de demi-traîtres" ces juifs qui n’étaient pas solidaires d’Israël. Il n’a cependant pas exigé qu’on les fusille. »

(...) « L’affrontement en Palestine est l’un des plus anciens de la planète. Il remonte à un siècle environ, avec l’émergence du mouvement sioniste en Europe et les premières vagues de colonisation en Palestine. De la Première Guerre mondiale à aujourd’hui, il a impliqué, à chaque époque, toutes les grandes puissances, de l’Empire ottoman à la Russie tsariste, de l’Union soviétique à l’Allemagne nazie, des États-Unis à la Grande-Bretagne. Il s’est traduit par cinq guerres, dont certaines ont failli dégénérer en conflagration mondiale. Dans le programme d’histoire de terminale, qui aborde le monde d’aujourd’hui, le Proche-Orient est éclaté en plusieurs chapitres, en plusieurs thématiques. De surcroît, pour des raisons déjà évoquées, comme nombre de professeurs répugnent à aborder ce sujet « sensible », qui tombe rarement à l’épreuve du baccalauréat, la confusion est de mise. Or la connaissance est une condition indispensable à tout débat. Des points de vue divers peuvent se confronter si jeunes et moins jeunes possèdent, ce qui n’est généralement pas le cas, les éléments historiques de base. Je rappellerai donc les faits et les enchaînements qui me paraissent indispensables à tout débat sérieux. »

« Mais ces précisions sont insuffisantes. Après tout, il existe déjà des centaines d’ouvrages décortiquant le conflit, son histoire et ses protagonistes. Ce n’est pas pour cela que les « spécialistes » tombent d’accord. Pourquoi ? Parce que chacun lit, consciemment ou non, ce conflit à travers des « grilles d’analyse », qui donnent un « sens » aux événements. Que répondre à quelqu’un qui proclame que la terre d’Israël a été donnée aux juifs par Dieu ? Peut-on contester Dieu ? Une vision religieuse, fondée sur un message divin, est non négociable. Comment convaincre des élèves musulmans qui pensent que la Palestine est un waqf (bien de mainmorte) islamique et qu’elle ne peut être un élément de marchandage ou de compromis ? »

« Comprends-moi bien. La ligne de démarcation, pour ce qui concerne la Palestine ou pour tout autre affrontement, ne passe pas toujours entre les religieux et les autres. Certains laïques défendent des positions nationalistes extrémistes, qui attribuent une supériorité aux "leurs" contre les "autres" - nous l’avons vu en Serbie ou en Croatie. »

« Par ailleurs, certains religieux recommandent une lecture humaniste. Dans une tribune publiée dans le quotidien Le Monde du 9 janvier 2001, le rabbin David Meyer rappelait que, dans la tradition juive, l’idée de « terre sainte » ou de « promesse inconditionnelle » sur la terre d’Israël n’existe pas. Il citait le chapitre IV du Deutéronome (un des premiers livres de la Bible) : "Maintenant donc, ô peuple d’Israël, écoute les lois et les règles que je t’enseigne pour les pratiquer, afin que vous viviez et que vous arriviez à posséder le pays que l’Éternel, Dieu de tes pères, vous donne. [...] Voyez, je vous ai enseigné des lois et des statuts, selon ce que m’a ordonné l’Éternel, mon Dieu, afin que vous vous y conformiez dans le pays où vous allez entrer pour le posséder. Observez-les et pratiquez-les ! Ce sera là votre sagesse et votre intelligence aux yeux des peuples [...].Or, quand vous aurez engendré des enfants, puis des petits-enfants, et que vous aurez vieilli sur cette terre, si vous dégénérez alors, si vous fabriquez une idole, image d’un être quelconque, faisant ainsi ce qui déplaît à l’Éternel, ton Dieu, et l’offense, j’en prends à témoin, aujourd’hui contre vous, les cieux et la terre ; vous disparaîtrez promptement de ce pays pour la possession duquel vous allez passer le Jourdain, vous n’y prolongerez pas vos jours, vous en serez proscrits." Et le rabbin s’interroge sur ce culte insensé "que constitue l’idolâtrie de la terre d’Israël, du "Grand Israël", qui fait passer " les notions de sainteté et de sacré avant celle du respect de la vie humaine". Certains de nos intellectuels laïques devraient en prendre de la graine ».

« Pour ma part, je n’appartiens à aucun « parti de Dieu », je me contente, comme le « bâtard Goetz », le personnage central de la pièce Le Diable et le Bon Dieu, de Jean-Paul Sartre, d’appartenir à celui des hommes, ou plutôt à celui des êtres humains. Je ne reconnais aucune hiérarchie entre eux, pas plus que je ne classe sur une échelle ascendante ou descendante les communautés religieuses ou nationales ; Même si je comprends que, pour des raisons parfois familiales, quelquefois religieuses, souvent culturelles, nous puissions nous sentir plus proches de tel ou tel peuple... À condition de ne pas l’idéaliser, à condition de ne pas absoudre les crimes commis en son nom ».

« Claude Lanzmann est le directeur des Temps modernes, une revue fondée par Sartre. Elle joua - mais c’était bien avant ta naissance - un rôle dans le débat intellectuel français. Lanzmann a commis un film pitoyable et apologétique sur l’armée israélienne. C’est son droit, nous sommes dans un pays libre. Il en a réalisé un autre, marquant, sur le génocide des juifs. I1 en a tourné un troisième intitulé Pourquoi Israël ? À aucun moment il n’y évoque les Arabes. Interrogé sur le pourquoi de cette absence, il répond, dans une tribune du Monde (7 février 2001) : "C’est à eux de le faire." Arrête-toi une minute sur l’aberration de ce propos. Les Noirs devraient écrire sur les Noirs, les Arabes sur les Arabes, les juifs sur les juifs... Logique ethnique, tribale, logique de guerre, éloignée de tout idéal humaniste. »

« En Palestine, il n’existe pour moi aucun droit "naturel" ou "religieux". Remonter à trois mille ans ou même à mille ans pour définir quel arpent de terre appartient à qui est un exercice absurde, illégitime, mais aussi sanglant. Une telle argumentation a été utilisée par la direction de Belgrade pour justifier un « droit » sur le Kosovo, « berceau de la Serbie ». Nous savons que les nations modernes remontent au XVIIIe siècle et à la Révolution française. Je reviendrai sur ce point dans le chapitre III. Mais l’occupation de telle région française par des tribus germaniques ou de l’Aquitaine par les "Anglois" ne crée aucun droit... »

« Comment, alors, s’y reconnaître dans des revendications opposées ? Par l’affirmation du primat du droit international. Que disent, en substance, les résolutions des Nations unies sur la Palestine et sur Israël ? Elles reconnaissent que, désormais, sur la terre historique de la Palestine sont installés deux peuples, l’un juif israélien, l’autre palestinien, et que ces deux peuples ont droit chacun à leur État indépendant. »

« Nuançons néanmoins cette symétrie. D’abord, le peuple israélien dispose déjà d’un État depuis plus de cinquante ans, alors que les Palestiniens en sont toujours privés et vivent dans l’exil forcé ou sous occupation. D’autre part, la situation actuelle est née d’une injustice originelle : les Palestiniens ont été chassés de chez eux, notamment en 1948-1950, par les milices juives puis par l’armée israélienne, comme je le développerai dans le chapitre IV. Cette expulsion, longtemps niée ou refoulée en Israël comme en Occident, est désormais un fait établi, grâce notamment aux travaux des « nouveaux historiens » israéliens. Nous vivons à une époque et dans un ensemble, l’Europe, où l’on invoque à satiété le « devoir de mémoire ».Très bien, mais ne faisons pas preuve de sélectivité. L’injustice faite aux Palestiniens mérite, comme d’autres - multiples durant la période coloniale -, réparation et d’abord reconnaissance. Cette dimension morale ne peut être occultée car elle conditionne une réconciliation entre Israéliens et Palestiniens. »

« Sur ce conflit pèse lourdement le génocide des juifs. Les prises de position, en France comme au Proche-Orient, sont marquées au fer rouge par ce qui constitue un des crimes les plus abominables de ce siècle. L’anéantissement des juifs par le nazisme et ses alliés, l’incapacité des grandes puissances de l’époque à stopper ce crime ont créé une culpabilité dans les opinions occidentales et une inclination en faveur de ceux qui se revendiquent comme héritiers de l’histoire et de la mémoire des juifs. Ce martyre a favorisé le vote de l’Assemblée générale des Nations unies du 29 novembre 1947 en faveur du partage de la Palestine, et donc de la naissance de l’État d’Israël. Mais ce sont les Palestiniens qui ont payé le prix d’un crime qu’ils n’avaient pas commis. Je reviendrai aussi plus longuement, dans le chapitre V, sur cette contradiction. »

« Quand on évoque le Proche-Orient, on ne peut pas être "au-dessus de la mêlée". La neutralité relève de l’illusion. Pourtant, je refuse la solidarité abstraite avec un des deux camps. Je ne pense pas qu’un peuple, quel qu’il soit, soit "bon", "juste", "supérieur" par nature ou par une quelconque grâce divine ou immanente. Aucun peuple n’est investi d’une "mission supérieure". En revanche, il existe des "causes justes". Cette distinction échappe parfois aux commentateurs. Richard Liscia, dans un article sur - ou plutôt contre - la presse publié par L’Arche en novembre 2000, dénonçait un des "mécanismes" des médias et du public, la solidarité avec les "révoltés" : "L’admiration du public pour les grévistes de la SNCF et de la RATP, ou pour les transporteurs routiers - qui, pourtant, lui empoisonnent l’existence -, n’est peut-être pas sans rapport avec la défense frénétique de la cause palestinienne. On se range maintenant, presque systématiquement, du côté des révoltés." Faut-il vraiment s’offusquer que l’opinion soit, spontanément, du côté des victimes ? »

(...) « Pierre Vidal-Naquet, historien et pourfendeur de la torture durant la guerre d’Algérie, combattant inlassable des causes justes, cite cet ancien commentaire rabbinique de la Bible, que je dédie aux croyants et aux mécréants : "Dieu est toujours du côté de qui est persécuté. On peut trouver un cas où un juste persécute un juste, et Dieu est du côté du persécuté ; quand un méchant persécute un juste, Dieu est du côté du persécuté ; quand un méchant persécute un méchant, Dieu est du côté du persécuté, et même quand un juste persécute un méchant, Dieu est du côté de qui est persécuté." »

(...) « On applique à ce petit territoire Palestine-Israël d’autres principes, d’autres règles d’analyse que ceux que l’on utiliserait ailleurs. Je suis toujours confondu de constater que des intellectuels éminents, prompts à se mobiliser pour d’innombrables causes, renâclent quand il s’agit de la Palestine. Même un philosophe comme Jean-Paul Sartre, dont les positions généreuses sont connues, de la guerre d’Algérie à la lutte des Noirs américains, était pour le moins timoré en ce domaine. Souvent inconsciemment, nous appliquons au Proche-Orient la règle "deux poids, deux mesures". » (...)

Alain Gresh

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