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Iran : négocier ou faire la guerre ? (suite)

par Alain Gresh, 2 mars 2007

Mieux vaut Assad que les Frères musulmans. Dans un article du quotidien Haaretz, le chroniqueur militaire du journal Zeev Schiff, très lié à l’establishment militaire israélien, signe un article « Some serious thoughts on Syria » (quelques réflexions sérieuses sur la Syrie). Il fait état des opinions très contradictoires des divers services de renseignement israéliens sur les relations entre Israël et la Syrie : Israël doit-il négocier avec le gouvernement de Assad ? Doit-il rendre le Golan ? Le texte se termine par une sorte d’avertissement : « En dépit de tout, il est préférable d’avoir Bachar Al-Assad au pouvoir à Damas que les Frères musulmans. »

Darfour. « Environ deux millions de personnes ont fui le Darfour (nord-ouest du Soudan) depuis 2003, deux cent cinquante mille depuis août 2006. Le Tchad voisin est déstabilisé par l’afflux de deux cent vingt-cinq mille réfugiés. En quatre ans, le conflit aurait fait quatre cent mille morts. Les équipes humanitaires des Nations unies et des organisations non gouvernementales (ONG) ont dû changer trente et une fois l’implantation de leurs camps afin d’échapper aux violences. Ce qui n’a pas empêché plusieurs de leurs agents d’être arrêtés par la police soudanaise et battus à coups de crosse, le 19 janvier, à Nyala. Douze travailleurs humanitaires ont été tués au cours de massacres, et cinq autres ont disparu. » Ainsi commence l’article de Gérard Prunier dans Le Monde diplomatique de mars, intitulé « Darfour, la chronique d’un "génocide ambigu" ». Cet article paraît alors même que le procureur de la Cour pénale internationale, Luis Moreno Campeno, a désigné un ministre soudanais et un chef des milices janjawids comme faisant partie des hauts responsables des crimes commis au Darfour. Un éditorial du Monde du 27 février, « Le Darfour et la CPI », met en lumière l’ambiguïté de la position de la « communauté internationale » : « Plusieurs pays, à commencer par les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, ont menacé de recourir à une politique musclée pour contraindre Khartoum d’accepter le déploiement d’une force internationale. L’inculpation de responsables soudanais est supposée s’insérer dans l’ensemble des pressions internationales. Or, tandis que Washington menace Khartoum de mesures coercitives, des membres des services de renseignement américains continuent d’entretenir des liens avec leurs homologues soudanais, dans le cadre de la guerre contre les mouvements armés islamistes internationaux. Entre la guerre contre le terrorisme et la guerre au Darfour, quelle est la véritable priorité ? Il conviendrait de l’établir clairement pour éviter que, d’obstacles techniques en contradictions politiques, le processus judiciaire engagé contre deux responsables soudanais ne soit promis à un destin d’impuissance, que les habitants du Darfour vivraient, eux, dans leur chair. »

Une toute autre perspective est proposée par le quotidien de Qatar, Al-Chark du 28 février, qui voit dans les mises en cause de responsables soudanais un nouvel exemple du « deux poids, deux mesures » des instances internationales, notamment après le refus de la Cour de La Haye, la veille, de qualifier de génocide la politique de la Serbie en Bosnie durant la guerre. Cette politique de « deux poids, deux mesures » viserait particulièrement les Arabes et les musulmans. « Au lieu de tentatives de punir des nations (plutôt que des officiels), nous nous attendions à ce que l’on accorde une priorité au lancement d’un processus de réconciliation nationale au Soudan, chacun contribuant à sortir le pays de ses désastres après la guerre civile qu’il a subie durant des décennies. »

Blog sur la présidentielle.La Plateforme des ONG françaises pour la Palestine annonce la mise en ligne du blog-journal de campagne « Elections 2007- le droit pour la paix ». Ce blog-journal a vocation à assurer le suivi des prises de position des candidats sur la question palestinienne.

Iran : négocier ou faire la guerre ? (suite)

Le gouvernement irakien a décidé d’inviter à Bagdad le 10 mars des représentants des pays voisins, dont l’Iran et la Syrie (et aussi les cinq membres permanents du Conseil de sécurité), pour discuter de l’avenir de l’Irak. Cette première réunion serait suivie d’une autre, en avril, au niveau des ministres des affaires étrangères. La secrétaire d’Etat Condoleezza Rice a salué cette initiative et affirmé que son pays y participerait. Le porte-parole de la Maison Blanche, Tony Snow, a déclaré le 28 février qu’il n’y avait pas de changement de la position américaine : « Les Etats-Unis ont déjà participé à de nombreux forums ces dernières années où étaient présents l’Iran et la Syrie », notamment sur l’Afghanistan. « Ce n’est donc pas une brèche dans le mur (a crack in the wall), mais c’est un exemple que les Etats-Unis travaillent sur le plan diplomatique. »

Est-ce un tournant de la politique américaine ? « Les virages à 180 degrés sont rares sous la présidence de George W. Bush, et il vaut mieux y regarder à deux fois, répond le correspondant du Figaro à Washington, Philippe Gélié. En décidant de s’asseoir à la même table que des représentants de l’Iran, la diplomatie américaine prend manifestement un tournant après des semaines d’escalade verbale et militaire. Mais l’accent mis par Washington sur cette « nouvelle offensive diplomatique » s’inscrit autant dans une stratégie globale plus qu’il ne la contredit. »

Dans cet article du 1er mars, intitulé « Washington amorce un dialogue avec l’Iran », le correspondant poursuit :

« ll y a pourtant une différence entre la participation à une conférence et le dialogue sans condition recommandé par Baker (il évoque le rapport Baker-Hamilton). Condoleezza Rice a promis de longue date aux dirigeants iraniens l’ouverture de négociations, s’ils renoncent à enrichir de l’uranium, conformément aux résolutions de l’ONU. "Ces conditions demeurent", a prévenu Sean McCormack. Washington a entamé lundi des discussions avec ses partenaires en vue de durcir les sanctions. "Il n’y a pas de changement dans notre politique", insiste le porte-parole du département d’Etat. "Loin de se limiter à une campagne militaire, nos efforts en Irak avancent sur tous les fronts à la fois, explique Mme Rice : sécuritaire, politique, économique et diplomatique." »

« Ce qui a surtout changé, du point de vue des dirigeants américains, c’est le contexte. En isolant l’Iran à l’ONU, en promettant de "détruire ses réseaux" subversifs en Irak, en déployant deux groupes navals de combat, en multipliant les raids de surveillance sur la frontière Iran-Irak, en augmentant la pression sur le système bancaire iranien et les capacités d’investissement du secteur pétrolier, Washington pense avoir suffisamment affaibli le président Ahmadinejad pour parler en position de force. "Nous étions convaincus que les Iraniens ne nous prenaient pas au sérieux, a expliqué Philip Zelikow, ancien conseiller diplomatique de Rice. Alors nous avons fait en sorte que cela change, et maintenant on peut essayer la diplomatie." »

Alors que, toujours selon Le Figaro du 1er mars, « La France hésite à se joindre à la conférence ministérielle », notamment du fait de la participation syrienne, les tentatives d’explication de la décision américaine se multiplient. Rares sont ceux qui pensent qu’il s’agirait d’un véritable tournant.

Plusieurs quotidiens de la presse arabe du jeudi 1er mars expriment cependant un certain espoir. Dans le quotidien progouvernemental libanais An-Nahar du 1er mars, Sahar Baasirié écrit : « La décision américaine est, quels que soient les critères choisis, un changement majeur par rapport au discours d’escalade dominant, même si le résultat n’est pas garanti. Elle peut servir à désamorcer, au moins temporairement, les dangers croissants d’une possible confrontation militaire. Nous disons temporairement car il est encore trop tôt pour savoir si nous avons affaire à un changement stratégique ou simplement à une manœuvre tactique de l’administration qui tente de contenir la colère du Congrès et le malaise de l’armée sur la possibilité d’une guerre avec l’Iran. »

Comme le dit l’éditorialiste, une explication possible réside dans la volonté américaine d’obtenir des crédits militaires supplémentaires pour leur intervention en Irak, et amadouer une majorité démocrate. Or, comme le souligne Le Monde du 1er mars,« Les démocrates se divisent sur la façon de s’opposer à George W. Bush en Irak ». Ce geste d’ouverture contribuera donc à la division des démocrates.

D’autres commentateurs américains mettent en avant d’autres causes : la volonté de l’administration américaine de montrer qu’elle a exploré toutes les voies avant de s’engager dans la guerre ; les pressions de l’Union européenne ; la conviction de l’administration que les sanctions économiques adoptées contre l’Iran commencent à porter leurs fruits et qu’il est donc temps de récolter les résultats ; etc.

On trouvera une analyse très détaillée de la position américaine et de ses implications sur le blog de Juan Cole du 1er mars, écrite par Gerald B. Helman, qui fut un ambassadeur américain et intitulée « Regional conference on Iran ».

Plus généralement, on note une activité diplomatique intense, avec la visite du président Ahmadinejad en Arabie saoudite le 3 mars et la préparation du sommet arabe à Riyad le 22 mars. Mais, en conclusion, la question posée est toujours la même, « négocier ou faire la guerre ? » et la réponse toujours aussi incertaine.

Alain Gresh

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