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Vent d’optimisme prudent au Liban

par Alain Gresh, 5 mars 2007

Un mot d’excuse d’abord. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le Liban est « sous-développé » dans le domaine des nouvelles technologies. Le réseau ADSL devrait être lancé seulement dans les prochains mois. Quand on interroge sur les raisons de ce retard, la réponse que tous les Libanais donnent est simple : corruption du gouvernement et des « centres de pouvoir » qui cherchent à tirer le plus grand profit d’éventuels développements des nouvelles technologies… Donc, mes possibilités d’utiliser l’Internet sont assez limitées à Beyrouth…

La capitale libanaise vit au ralenti. La guerre de juillet-août 2006 et la destruction des infrastructures du pays par l’aviation israélienne ; la crise interne, avec la démission des ministres du Hezbollah et de ses alliés du gouvernement et l’organisation de manifestations pour obtenir la création d’un gouvernement d’union nationale ; les tensions entre différentes communautés et à l’intérieur des différentes communautés : le pays est désormais bloqué, l’activité économique est au point mort et la tension palpable. Chaque jour, on annonce l’émigration d’un tel ou d’un tel, qui décide d’aller tenter sa chance ailleurs. Chaque jour, on annonce la découverte d’armes, d’explosifs, de groupes d’espions. Les rumeurs les plus folles circulent. Plusieurs sources font état du développement de groupes sunnites liés à Al-Qaida, ce que confirmeraient différents services de renseignement, selon Amos Harel, du quotidien Haaretz (2 mars), « Western intelligence sources worried by jihadist upsurge in Lebanon » (Les services de renseignement occidentaux sont inquiets du développement djihadiste au Liban). Signe de ces tensions : le déploiement de voitures blindées et de l’armée dans les rues de la capitale libanaise, déploiement qui a pour but d’éviter les affrontements entre diverses communautés, notamment entre sunnites et chiites.

Pourtant, depuis quarante-huit heures, un vent prudent d’optimisme souffle sur le pays. Il fait suite au sommet qui a réuni le 3 mars le roi d’Arabie saoudite et le président iranien. Les deux dirigeants ont abordé les divers sujets qui divisent la région : le nucléaire iranien ; la question libanaise ; les tensions sunnites-chiites. Et aussi, la question libanaise. « All sides see imminent solution to Lebanese crisis » (toutes les parties voient une solution imminente à la crise libanaise), titre le quotidien en langue anglaise The Daily Star (5 mars 2007). « Les chances de succès n’ont jamais été aussi grandes », affirme Nabih Berri, le président du parlement et le chef du mouvement d’opposition Amal. Samir Geagea, le dirigeant des Forces libanaises, et l’un des plus « radicaux » des membres de la majorité, a aussi déclaré dimanche qu’il « existait réellement une solution possible ».

Le quotidien Al-Akhbar (proche de l’opposition) du 5 mars consacre sa Une (et un supplément spécial) aux funérailles de son rédacteur en chef Jospeh Samaha (lire plus bas), mais il revient aussi sur le Liban, sous le titre : « Le roi saoudien appelle à un dialogue libanais à Riyad ». Il est plus prudent que The Daily Star, mais note que l’ambassadeur saoudien au Liban, qui était en Arabie saoudite, est revenu d’urgence à Beyrouth pour rencontrer les différents responsables libanais afin de préparer une éventuelle réunion à Riyad qui permettrait de signer un accord sur le Liban (un peu comme l’accord de La Mecque a été signé entre le Hamas et le Fath pour la formation d’un gouvernement d’union nationale). Le journaliste d’Al-Akhbar note que l’opposition craint que les pressions américaines empêchent un accord qui pourrait être fondé sur les cinq points suivants : un gouvernement d’union nationale (19 ministres de la majorité, 11 de l’opposition) ; la création d’une commission mixte irano-saoudienne avec un expert libanais pour étudier les modifications du projet de tribunal international chargé de juger les assassins de Rafic Hariri ; une nouvelle loi électorale ; l’élection d’un nouveau président de consensus (pour remplacer Emile Lahoud) ; élections législatives anticipées en avril 2008.

Toute cette activité diplomatique souligne le rôle que joue depuis plusieurs mois l’Arabie saoudite, qui accueillera le sommet arabe les 28-29 mars. Ce pays a parrainé l’accord entre les factions palestiniennes ; il tente de trouver un accommodement avec l’Iran ; il a fait plusieurs gestes pour rassurer la Syrie (notamment en invitant le président Lahoud au sommet arabe). La question qui est posée est de savoir quelle est l’autonomie de la diplomatie saoudienne par rapport aux Etats-Unis ? Il est ainsi évident que l’accord de La Mecque ne correspondait pas aux visées américaines d’isoler le Hamas. L’Arabie saoudite pourra-t-elle négocier un accord sur le Liban, accord que ne semble pas souhaiter Washington ? Et les interrogations sur la politique américaine demeurent, à quelques jours de la réunion à Bagdad des pays voisins de l’Irak sur l’avenir de ce pays : les Etats-Unis sont-ils prêts à s’engager sur la voie diplomatique pour résoudre les problèmes de la région. Plus que jamais l’avenir du Liban est lié à l’évolution de la situation régionale.

J’ai assisté le 4 mars aux obsèques de Joseph Samaha, rédacteur en chef d’Al-Akhbar, à l’Eglise catholique melkite. L’hommage unanime de la presse, même celle qui ne partageait pas les choix de Joseph, souligne son rôle exceptionnel sur la scène journalistique et intellectuelle. Autour du cercueil s’étaient réunis des centaines de personnalités politiques et d’intellectuels, mais aussi des anonymes, dont de nombreux jeunes sur qui Joseph a exercé une vraie influence, toujours à l’écoute et conscient de la nécessité de transmettre son expérience, qui fut celle de toute une génération engagée dans les combats politiques depuis la guerre de 1967. La présence, non seulement des représentants de toutes les autorités officielles, mais aussi d’une forte délégation du Hezbollah, du Parti communiste, des représentants du Courant patriotique libre du général Michel Aoun, etc., reflétait la diversité de l’actuelle opposition, et aussi tous les courants que Joseph avait réussi à fédérer autour de son quotidien. Mais, au-delà des considérations politiques, l’émotion était palpable chez tous, émotion d’avoir perdu non seulement un grand journaliste, un homme engagé, un homme à l’écoute de tous et de chacun, mais aussi pour beaucoup un ami proche.

Irak.

Le Monde diplomatique du mois de mars revient sur la situation en Irak, avec un article d’Ibrahim Warde, « Pourquoi la Maison Blanche s’acharne en Irak », et un autre de Helena Cobban, « Manuel du parfait soldat », qui revient longuement sur la stratégie de contre-insurrection actuellement mise en œuvre dans ce pays. Une information inquiétante aussi (« Rice Picks Neocon Champion of Iraq War as Counselor » – Rice choisit un néoconservateur champion de la guerre en Irak comme conseiller), de Jim Lobe, sur Antiwar.com, la secrétaire d’Etat Condoleezza Rice a nommé Eliot A. Cohen comme conseiller (à la place du « réaliste » Philipp Zelikow). Cohen enseigne l’histoire militaire au Johns Hopkins School of Advanced International Studies et est membre du Bureau pour la politique de défense du Pentagone, longtemps dirigé par le néoconservateur Richard Perle ; il a été un critique virulent du rapport Baker-Hamilton.

Alain Gresh

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