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Pourquoi les accords d’Oslo ont-ils échoué ?

par Alain Gresh, 22 octobre 2007

Pourquoi les accords d’Oslo ont-ils échoué ?

Dans quelques semaines devrait se tenir une réunion internationale à Annapolis (Etats-Unis) sur le conflit israélo-palestinien. A l’ordre du jour, une nouvelle fois, la création d’un Etat palestinien aux côtés de l’Etat d’Israël. Pour mesurer les chances de succès d’une telle réunion, il n’est pas inutile de revenir sur l’histoire et sur l’échec des accords d’Oslo. Dans une nouvelle édition de mon livre, Israël, Palestine. Vérités sur un conflit, qui sort mercredi en librairie, je reviens sur quelques aspects de cet échec, et notamment sur le rôle de la "communauté internationale".

Un autre facteur important de l’échec fut l’attitude de « la communauté internationale » (en fait, les Etats-Unis et l’Union européenne), dont la ligne de conduite a été constante : faire pression sur la partie la plus faible, les Palestiniens, pour l’amener à plus de concessions. Ce penchant est déjà perceptible lors des négociations secrètes d’Oslo. La chercheuse norvégienne Hilde Henriksen Waage, qui a eu accès à tous les documents, l’a mise en évidence. Comme on s’en souvient, dans un premier temps, entre janvier et mai 1993, les négociations abritées par les Norvégiens impliquaient des universitaires israéliens et des cadres palestiniens de l’OLP ; des responsables israéliens, notamment le ministre des affaires étrangères Shimon Pérès, étaient tenus au courant. La Norvège avait été choisie par l’OLP parce qu’elle était une alliée des Etats-Unis, un pays proche d’Israël : ces facteurs, pensait Yasser Arafat, favoriseraient le dialogue. Oslo se borna d’abord à un rôle de facilitateur : créer les meilleures conditions pour que les réunions puissent se tenir, dans le plus grand secret. Au mois de mai, on passa à une autre étape : Itzhak Rabin, qui avait remporté les élections de juin 1992 et remplacé le dirigeant de droite Itzhak Shamir comme premier ministre, envoyait à Oslo des représentants officiels.

Leur premier geste fut de remettre en cause les avancées déjà réalisées. A partir de cette date également, le nouveau ministre norvégien des affaires étrangères, Johan Jorgen Holst, s’impliqua directement. Et il fut pris dans une logique infernale que l’on verra à l’œuvre durant les dix années suivantes : pour sauver les tractations, mises en cause par les exigences israéliennes, il faut faire pression… sur les Palestiniens. Hilde Henriksen Waage l’explique : « Le rôle de la Norvège n’était pas dicté par la sympathie à l’égard d’Israël ou par le désir de l’aider. Les Norvégiens n’étaient pas forcément d’accord avec les différentes propositions israéliennes. Mais le résultat était le même : la Norvège a toujours travaillé sur la base des demandes israéliennes, accepté les “lignes rouges” israéliennes, reculé pour prendre en compte les préoccupations israéliennes de sécurité. C’était la seule manière de maintenir son rôle dans le processus de négociation : les Norvégiens savaient fort bien qu’ils devaient être acceptés comme facilitateurs d’abord et avant tout par la partie la plus forte. » Et Johan Jorgen Holst jouera souvent le rôle de « facteur » du gouvernement israélien, se pliant à toutes ses exigences, lui rendant compte des négociations qu’il mène avec Yasser Arafat.

La Norvège est un petit pays, avec des moyens limités. Dans la phase suivante, celle de la mise en œuvre des accords d’Oslo, les Etats-Unis comme l’Union européenne adopteront pourtant la même tactique. D’autant qu’aucun mécanisme de résolution des conflits n’a été mis en place. Dans un premier temps, il avait été prévu qu’il existerait un « arbitrage international obligatoire ». Cette clause aurait permis à la communauté internationale d’intervenir sur la base du droit. Mais cette mention sera rayée (à la demande israélienne) de la Déclaration du 13 septembre, qui fait seulement référence à une éventuelle commission d’arbitrage qui ne pourra se tenir qu’avec l’accord des deux parties, une disposition qui restera lettre morte.

Les accords d’Oslo, qui auraient dû déboucher sur l’indépendance et la prospérité, ont engendré pour les Palestiniens vexations et privations, sans même garantir la sécurité aux Israéliens. C’est avant tout la gangrène de la colonisation, dévorant inexorablement les terres, qui éroda l’espoir de paix chez les Palestiniens. Quelques chiffres parlent d’eux-mêmes : en 1993, on comptait environ 120 000 colons en Cisjordanie ; leur nombre augmente de 40 000 sous les gouvernements travaillistes (celui de Rabin, puis celui de Pérès, juin 1993-mai 1996) ; de 30 000 sous le gouvernement de droite de Benyamin Netanyahou (1996-mai 1999) et encore de 20 000 durant le gouvernement d’Ehoud Barak (mai 1999-février 2001). Quand éclate la seconde Intifada, le nombre de colons en Cisjordanie dépasse les 200 000 (plus un nombre équivalent à Jérusalem-Est, autre « territoire occupé »). « Un gouvernement du Likoud annonce la construction de dix implantations, mais n’en construit qu’une ; les travaillistes en annoncent une mais en construisent dix », disait un adage populaire israélien des années 1980. Durant les années 1990, « années de paix », ces différences entre les deux formations disparaîtront et chacune multipliera les faits accomplis. L’esprit d’Oslo aurait supposé, durant les cinq ans d’autonomie, une évacuation militaire de l’immense majorité des territoires palestiniens occupés ; il n’en fut rien. Le gouvernement israélien imposa un découpage kafkaïen (voir la carte du cahier central) de la Cisjordanie en zones A, B et C – la zone A (essentiellement les grandes villes) sous contrôle total palestinien, la zone B (la grande majorité des villages palestiniens) sous autorité administrative palestinienne mais dont la sécurité incombe à l’armée israélienne, la zone C restant occupée. En l’an 2000, quand commencent les négociations sur le statut final, l’Autorité palestinienne administre des confettis éparpillés sur 40% de la Cisjordanie seulement (si on additionne les zones A et B) et sur les deux tiers de la bande de Gaza.

Alain Gresh

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