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Palestine, tramway et droits humains

par Alain Gresh, 7 février 2008

Un débat s’est déroulé le 6 février au Sénat concernant les droits de l’homme (question orale avec débat), en présence de la secrétaire d’Etat Mme Rama Yade.

Voici le texte de l’intervention de la sénatrice Nathalie Goulet, sénatrice de l’Orne, concernant la Palestine (et l’affaire du tramway de Jérusalem) et la réponse, affligeante, de la secrétaire d’Etat.

(ajout du 9 février : le compte-rendu intégral du débat est maintenant disponible sur le site du Sénat)

Mme Nathalie Goulet. - Je tiens à associer à mon propos notre collègue Alima Boumediene Thiery, qui n’a pu être présente ce soir, mais dont l’engagement pour la défense de la cause palestinienne et des droits de l’homme est connu de tous. Car je vais vous parler – ceux qui me connaissent ne seront pas surpris – de la Palestine.

Le droit à la dignité est le premier droit de l’homme. La liste est longue des errances françaises et des lâchetés internationales sur cette terre sainte ! Nous étions quelques-uns à penser que l’affaire du tramway de Jérusalem avait marqué un sommet, mais non ! La dégradation de la situation à Gaza, l’image de ces hommes et de ces femmes allant chercher leur subsistance en Egypte, qui devrait être un objet de scandale au pays des droits de l’homme, ne provoquent qu’indifférence.

On sait le rôle que joue l’humiliation dans l’histoire. Quelle autre voie donnons-nous à ce peuple humilié que la reprise des attentats-suicides ? Qu’attendre d’un peuple qui n’a plus rien à perdre ? M. Gouteyron, qui préside la groupe d’amitié France-Liban, sait ce qu’est la souffrance du peuple palestinien.

Et que dire de la construction du mur ? Humiliation et silence. Déclarée illégale par la Cour internationale de justice, le 9 juillet 2004, et par la Cour suprême de justice israélienne, le 14 décembre 2006, cette construction attente au droit des Palestiniens à circuler librement et viole leurs droits de propriété, tandis qu’augmente le nombre des check points.

Mais que dire du tramway de Jérusalem ? Le triomphe du fait accompli ! Deux entreprises, Alstom et Connex, ont emporté un appel d’offres pour ce projet. Fort bien. Mais l’itinéraire du tramway passe par des territoires occupés ! Il relie Jérusalem-Ouest à deux colonies juives de Jérusalem-Est, Psgat Zeev et French Hill, que Paris estime pourtant illégales. Voilà comment notre pays prête la main à une opération de confiscation ! L’Association France Palestine solidarité, à laquelle s’est associée l’OLP, a engagé une procédure judiciaire. Interrogé le 22 octobre dernier, le porte-parole du Quai d’Orsay a déclaré que la question relevait des autorités judiciaires et que ce projet était le fait d’entreprises privées « qui n’agissent en aucun cas pour le compte de l’Etat ». «  Comme vous le savez, ajoutait-il, nous avons fait part de nos préoccupations aux dirigeants des entreprises concernées au sujet d’un segment de ce projet qui se situe dans les territoires palestiniens. Cette situation, qui est de nature commerciale, ne reflète en aucun cas une évolution de la position française sur Jérusalem. » Mensonge et langue de bois ! Car le contrat pour le tramway a été signé, le 17 juillet 2005, en présence de l’ambassadeur de France, dans les bureaux du premier ministre Ariel Sharon, tandis que le bulletin de l’ambassade de France saluait la « cérémonie officielle » de signature ! II n’y a pas de quoi être fier !

Viennent ensuite les violations des règles fondamentales établies par des conventions internationales en matière de justice : droits de la défense, présomption d’innocence, conditions de détention... On peut citer le rapport du Haut Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme du 29 janvier 2007 sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés, condamnant la « punition collective » infligée aux Palestiniens par la fermeture de la bande de Gaza.

Nous savons les outils dont nous disposons pour tenter d’infléchir la politique d’un Etat. Nous en savons l’efficacité. Les obstacles qui s’opposent à leur usage ne sont pas juridiques mais politiques. Les grandes embrassades sur le perron de l’Elysée n’en font pas une. Il y faut une volonté politique. Ce que n’a pas pu faire le « docteur Chirac », comme l’appelait Yasser Arafat, ce n’est, hélas !, pas Nicolas Sarkozy, au vu de son alignement sur la politique américaine, qui semble devoir le faire. Chaque occasion manquée, chaque humiliation pousse une nouvelle génération dans la voie du terrorisme. J’ai partagé la vie et le combat d’un militant de cette cause, le sénateur Daniel Goulet, fondateur de l’association parlementaire euro-arabe et des groupes d’amitié avec la Palestine, ici et à l’Assemblée nationale, et artisan inlassable de la cause de la paix dans cette région : je vous le dis avec beaucoup d’inquiétude, la situation, de plus en plus dramatique, devient incontrôlable. A l’heure où le Quai d’Orsay s’apprête à célébrer en grande pompe le 60e anniversaire de la création de l’Etat d’Israël, j’ai le regret de vous dire que le président iranien Ahmadinedjad a raison de dire que notre pays soutient la politique de l’Etat sioniste. C’est la déplorable vérité, la lamentable vérité.

Vous avez su dire non, madame la ministre, au président Kadhafi. Je vous demande, avec les membres du groupe France-Palestine au Sénat, Mme Cerisier-ben Guiga et Mme Boumediene-Thiery, de dire non à tant d’injustices qui sont autant de ferments pour le terrorisme de demain et de périls pour notre sécurité intérieure. (Applaudissements au centre)

Mme Rama Yade, secrétaire d’Etat.

Madame Goulet, nous connaissons les mises en cause régulières d’Israël devant le Conseil des droits de l’homme par la Conférence des Etats islamistes (sic !, elle veut parler de l’Organisation de la conférence islamique, OCI). Israël est un Etat de droit, mais parfois une démocratie doit appliquer des mesures d’exception. Comme l’Union européenne, la France est préoccupée par la situation des droits de l’homme au Proche-Orient. La quatrième Convention de Genève impose à Israël la protection des civils en temps de guerre – et nous le lui rappelons –, même s’il a le droit de se protéger contre le terrorisme. Plus largement, la France et l’Europe cherchent le chemin d’une paix globale, juste et durable au Proche-Orient ; pour cela, nous condamnons clairement les colonisations illégales, contraires à la « feuille de route », et nous considérons que la paix n’est possible qu’en reconnaissant aux Palestiniens leur droit à un Etat viable, tout en garantissant à Israël sa pleine sécurité. Nous avons salué la réunion d’Annapolis, qui a permis la reprise des négociations, et la Conférence internationale des donateurs pour l’Etat palestinien, organisée par la France, a été un succès.

Au moment où Mme Yade tenait ces propos édifiants, l’organisation Human Rights Watch publiait un rapport résumé par une dépêche de l’AFP du 7 février :

« La réduction par Israël des quantités de carburants et d’électricité fournies à la bande de Gaza constitue "une punition collective contre la population civile", a affirmé jeudi l’organisation de défense des droits de l’homme Human Rights Watch (HRW). (...) En appliquant ces mesures, Israël viole en outre "ses obligations prévues par les lois de la guerre", a ajouté HRW.

 » Selon l’organisation, les sanctions israéliennes, destinées à faire pression sur les groupes armés palestiniens pour qu’ils mettent fin aux tirs de roquettes sur Israël ont eu "un grave impact sur les hôpitaux de Gaza, les stations de pompage d’eau, le réseau de traitement des eaux usées et d’autres infrastructures essentielles pour le bien-être de la population de Gaza". Israël, qui maintient la bande de Gaza sous bouclage depuis juin 2007 après la violente prise de pouvoir par les islamistes du Hamas, a renforcé les restrictions en imposant le 17 janvier un blocus contre le territoire palestinien dans le cadre de sa riposte aux tirs de roquettes.

 » Ce blocus s’est notamment traduit par une baisse des fournitures de carburant et de courant électrique. Une réduction supplémentaire de 1,5 mégawatt de l’électricité vendue à Gaza par Israël doit être appliquée à partir de jeudi, selon des organisations de défense des droits de l’homme israéliennes. »

Alain Gresh

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