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Vers une révolution de l’islam en Turquie ?

par Alain Gresh, 29 février 2008

Le site de la BBC britannique publie le 26 février un article de son correspondant pour les affaires religieuses Robert Pigott, intitulé « Turkey in radical revision of Islamic texts ».

Ce texte est important, et je l’ai traduit intégralement. Deux remarques cependant :
— le Département des affaires religieuses dont il est question dépend directement de l’Etat qui, en Turquie, contrôle lui-même directement les cultes. On est donc loin d’une situation à la française de séparation des Eglises et de l’Etat ;
— le fait que ce soit l’Etat qui lance cette réforme est remarquable (d’autant que le gouvernement est contrôlé par un parti issu de l’islamisme), mais cette réforme sera-t-elle largement acceptée par les musulmans turcs ?

Notons aussi, concernant l’islam, le livre Who speaks for islam ? , qui démolit bien des préjugés et montre que l’immense majorité des musulmans rejette les attaques terroristes contre des civils et partage les aspirations universelles à la démocratie.

La Turquie lance une réforme radicale des textes musulmans

Le puissant Département des affaires religieuses a chargé une commission de théologiens de l’université d’Ankara d’opérer une révision fondamentale des hadith, les textes les plus sacrés de l’islam après le Coran. Les hadith sont une collection de milliers de dits qui sont attribués au prophète Mohammed.

Les hadith sont le principal guide pour les musulmans pour interpréter le Coran et la source de la vaste majorité des lois musulmanes (charia). Mais l’Etat turc considère que les hadith ont une influence négative sur la société et croit qu’ils contribuent à brouiller les valeurs originelles de l’islam. Il affirme qu’un nombre significatif de ces dits n’ont pas été formulés par le prophète et que d’autres méritent une réinterprétation. Les commentateurs affirment que c’est la théologie même de l’islam qu’il faut réinterpréter pour effectuer un renouveau radical de la religion.

Les promoteurs de ce projet affirment que l’esprit logique et rationnel qui était inhérent à l’islam quand il est né il y a mille quatre cents ans doit être redécouvert. Certains affirment que ce projet équivaut à une Réforme de la religion.

Jusqu’à présent, les officiels turcs étaient réticents à la révision des hadith, car ils étaient conscients qu’une telle réforme pourrait susciter parmi les musulmans tradtionalistes des controverses. Mais ils ont parlé à la BBC de leur projet et de leurs ambitions.

L’examen légal des hadith se déroule à l’université de l’école théologique d’Ankara.

Un des conseillers du projet, Felix Koerner, affirme que certains hadith ont été inventés des centaines d’années après la mort du prophète Mohammed pour servir les objectifs des sociétés d’alors. « Malheureusement, affirme-t-il, vous pouvez justifier par de prétendus hadith la pratique musulmane ou pseudo-musulmane de la mutilation génitale des femmes. » « Vous pouvez trouver des messages qui disent : "voici ce que le Prophète nous a ordonné de faire". Mais vous pouvez montrer historiquement comment ils ont été inventés, influencés par d’autres cultures et ont été adoptés en prétendant qu’ils appartenaient à la tradition musulmane. »

L’argument est que la tradition musulmane a été graduellement capturée par diverses cultures, souvent conservatrices, cherchant à utiliser la religion pour différentes formes de contrôle social. Des dirigeants de ce projet Hadith affirment que des générations successives ont embelli les textes, attribuant leur but politique au prophète Mohammed lui-même.

La Turquie veut balayer ce « bagage culturel » et revenir à une forme d’islam dont elle affirme qu’il est en accord avec les valeurs originelles et celles du Prophète.

C’est là que le caractère révolutionnaire de ce travail apparaît. Même certains hadith reconnus comme ayant été prononcés par Mohammed ont été changés et réinterprétés. Le professeur Mehmet Gormez, un important officiel du Département des affaires religieuses et un expert dans les hadith, nous en donne un exemple parlant.

« Il y a certains messages qui interdisent à la femme de voyager trois jours ou plus sans la permission de son mari. Ce sont des messages authentiques. Mais ce n’est pas une interdiction religieuse. Elle est venue parce que, du temps du Prophète, il n’était pas sûr pour la femme de voyager seule. Mais le temps a passé, et les gens ont rendu permanent ce qui n’était prévu que comme temporaire, pour des raisons de sécurité. »

Ce projet justifie son intervention audacieuse sur des hadith qui remontent à mille quatre cents ans par une recherche académique rigoureuse. Le professeur Gormez souligne un autre discours du Prophète disant qu’il était « impatient de voir le jour où les femmes pourraient voyager seule sur de longues distances ». On comprend ainsi, dit-il, quel était le but du Prophète.

Pourtant, jusqu’à présent, l’interdiction demeure et permet de limiter le déplacement de certaines femmes musulmanes aujourd’hui.

Pour aider à ce programme de renouveau, la Turquie a donné une formation théologique à 450 femmes, et nommé des imams appelés « vaizes ». Elles ont pour tâche d’expliquer l’esprit originel de l’islam à des communautés isolées à l’intérieur de la Turquie.

Une des ces femmes, Huyla Koc, regarde une mer de foulards à une réunion dans le centre de la Turquie et explique aux femmes que l’égalité, la justice et les droits humains sont garantis par une interprétation précise du Coran et confirmés par les hadith revus.

Elle dit que, pour le moment, l’islam est largement utilisé pour justifier la violente répression des femmes. « Il y a des crimes d’honneur », explique-t-elle. « Nous entendons dire que des femmes sont tuées parce qu’elles ont épousé la mauvaise personne ou qu’elles ont fui avec la personne qu’elles aimaient. Il y a aussi la violence contre les femmes dans leurs familles, y compris le harcèlement sexuel par des oncles ou d’autres. Cela n’est pas autorisé en islam. Nous devons le leur expliquer. »

Selon Fadi Hakura, un spécialiste de la Turquie à Chatham House (Londres), la Turquie ne fait rien moins que de recréer l’islam, le transformant d’une religion à laquelle on doit obéir en une religion devant servir les gens dans une démocratie séculaire moderne. Pour cela, l’Etat crée un nouvel islam. « Cela ressemble à la Réforme dans le christianisme », affirme-t-il. « Pas exactement la même chose, mais, si l’on y pense, cela change les fondements théologiques de la religion. »

Jusqu’à présent, explique Fadi Hakura, la Turquie laïque [je traduis le terme anglais secularist par séculaire ou par laïque] a voulu créer une nouvelle politique pour l’islam, maintenant elle tente de « façonner un nouvel islam ».

De manière intéressante, l’école de théologiens d’Ankara qui travaille sur ces nouveaux hadith a utilisé des techniques et une philosophie critiques occidentales. Ils sont même allés plus loin, rejetant l’opinion pourtant établie que des textes moins anciens (souvent plus conservateurs) avaient préséance sur les textes plus anciens. « Il faut les voir comme un tout », dit Fadi Hakura. « Vous ne pouvez pas dire, par exemple, que les versets sur la violence ont préséance sur les versets pacifiques. Cela est beaucoup utilisé au Proche-Orient, ce type d’idéologie. Je ne peux pas vous dire combien ce changement est fondamental. »

Gaza et l’holocauste

La violence se poursuit à Gaza, et les victimes palestiniennes se comptent par dizaines. Le ministre adjoint de la défense israélien, Matan Vilnai, a même menacé les Palestiniens de Gaza d’un « holocauste » : « Israeli minister warns of Palestinian "holocaust" ». (Site Internet de The Guardian, 29 février). Il a déclaré : « Plus les tirs de Qassam et de roquettes s’intensifieront, plus les Palestiniens attireront sur eux un plus grand holocauste (shoah) parce que nous utiliserons toute notre capacité de nous défendre. »

Pendant ce temps, les tirs de roquettes se poursuivent sur Sderot et plusieurs missiles ont même atteint la ville d’Ashkelon, à dix kilomètres de Gaza. Cette escalade confirme ce qu’expliquait le commentateur militaire de Haaretz, Zeev Schiff, évoquant une défaite israélienne à Sderot. Alors que l’on parle de plus en plus en Israël d’une offensive militaire majeure contre Gaza, la grande majorité des Israéliens sont favorables à l’ouverture d’un dialogue avec le Hamas, comme le rapporte un sondage de Haaretz, repris par NouvelObs.com, « Une majorité d’Israéliens serait prête à négocier avec le Hamas ».

Pendant ce temps, « Mahmoud Abbas accuse le Hamas d’aider Al-Qaida à s’implanter à Gaza », accusation peu crédible mais qui confirme que des groupes palestiniens à Gaza commencent à se réclamer d’Al-Qaida.

Sur la situation à Gaza, lire « Gaza, quelques articles contre la "pensée unique" » et l’article de Henry Siegman, « Gaza’s Future », dans la London Review of Books du 7 février.

Boycotter le Salon du livre ?

Une tribune de Tariq Ramadan, dans Le Monde du 29 février, intitulée « Israël, le sens d’un boycottage » :

« Le boycottage est le moyen que les défenseurs des droits des Palestiniens ont choisi, en Italie, pour faire entendre une voix de protestation dans l’hymne d’une célébration d’Israël qui cache la sombre réalité des territoires occupés. »

« J’ai appris récemment que les organisations de défense des Palestiniens avaient, en France, fait un choix inverse : elles ont décidé de s’installer fermement au prochain Salon du livre (du 14 au 19 mars), d’y commémorer les soixante années de l’autre réalité, celle de la Nakba (catastrophe) des Palestiniens, et d’inviter des intellectuels et des auteurs arabes, palestiniens et israéliens à en débattre. Je soutiens cette initiative sans aucune réserve : il s’agit, ici aussi, de défendre la dignité des Palestiniens et de ne pas permettre que la célébration des 60 ans d’Israël puisse faire l’impasse sur le sort d’un peuple réprimé et sacrifié. »

« Boycottage à Turin, présence critique à Paris, il n’y a rien là de contradictoire. Ce qui compte aujourd’hui, au-delà des stratégies employées, c’est de rompre le silence, de faire entendre des voix qui refusent les manipulations politiques et exigent que la politique des gouvernements israéliens successifs soit jugée comme toutes les autres quand elle est indigne et qu’elle ne respecte pas les résolutions de l’ONU et le droit international. »

Alain Gresh

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