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L’Europe de l’eau (2) : faire face au changement climatique

La mobilisation autour de l’impact du changement climatique sur la gestion de l’eau est patente en Europe. Mais aucun accord politique véritable n’a encore pu être conclu. Compréhensible, le maintien du dogme de la croissance et de la compétitivité ne peut entraîner aucune remise en cause d’un modèle de développement productiviste qui contribue à accélérer le réchauffement climatique. En l’absence de réelle perspective politique commune, le risque est réel de voir certains pays ou groupes de pays, particulièrement affectés par la pénurie ou la sécheresse, ceux notamment dont la gestion de l’eau en rapport avec l’agriculture, l’énergie et le tourisme est d’ores et déjà critiquable, opter pour la mise en œuvre de « plans d’urgence » et de nouvelles mobilisations de la ressource qui contrediraient radicalement toute perspective de gestion soutenable. En outre, depuis peu, l’assimilation du changement climatique à un problème de "sécurité nationale" fait désormais planer le spectre d’une gestion autoritaire d’une crise de civilisation majeure.

par Marc Laimé, 12 avril 2008

La Commission présentait, le 18 juillet 2007, une communication adressée aux membres de l’UE visant à favoriser les économies d’eau et une utilisation rationnelle de la ressource. Il s’agissait de « lancer un débat sur la façon dont l’Union européenne peut résoudre le problème du manque d’eau et de la sécheresse dans un environnement marqué par le changement climatique. » L’utilisation durable de cette ressource étant absolument vitale si l’Europe veut « garantir la disponibilité de l’eau pour tous les Européens et toutes les activités économiques ».


Le constat était clair : le manque d’eau et les sécheresses sont des problèmes qui ont des incidences socio-économiques et environnementales spécifiques sur la population et sur de nombreux secteurs comme l’agriculture, le tourisme, l’industrie, l’énergie ou encore les transports. A l’heure actuelle, 17% de la population européenne est touchée par un problème de rareté d’eau. Toutefois, en l’absence de nouvelles mesures, la situation de "stress hydrique sévère" pourrait passer à 35% en 2070.

La sécheresse est liée aux conditions naturelles, telles que le déficit pluviométrique. Au cours des trente dernières années, ces épisodes ont considérablement augmenté en nombre et en intensité dans l’Union. Le coût des préjudices causés à l’économie européenne durant cette période a été estimé à un montant compris entre 85 et 100 milliards €.

En 2003, l’une des plus grandes sécheresses a affecté plus de 100 millions de personnes et près d’un tiers du territoire de l’UE, entraînant un préjudice évalué à 8,7 milliards €.

Le manque d’eau résulte d’un déséquilibre à long terme causé par des besoins en eau supérieurs aux ressources hydriques disponibles. Dans le Livre vert sur l’adaptation au changement climatique présenté en juin 2007, la Commission attirait l’attention sur les risques d’aggravation de la situation de l’Europe en matière de ressources hydriques si les températures continuent à augmenter, et si aucune stratégie d’atténuation claire n’est adoptée.

La Commission a défini une première série d’options stratégiques à adopter aux niveaux européen, national et régional. Une approche intégrée fondée sur une combinaison d’options devrait donner de meilleurs résultats qu’une solution ciblant un seul aspect.

La fixation d’un « juste prix » de l’eau est au cœur des options stratégiques proposées. Pour la Commission le principe du « pollueur-payeur » doit devenir la règle, quelle que soit la provenance de l’eau. Il est donc essentiel d’intensifier les efforts pour mettre en place des programmes obligatoires de mesure de la consommation d’eau, et de promouvoir les économies d’eau et l’utilisation rationnelle de la ressource. L’Union peut en effet réaliser des économies considérables.

L’Europe gaspillerait près de 20 % de ses ressources, mais des données récentes indiquent que ce chiffre pourrait s’élever jusqu’à 40 %. Il convient donc de procéder à d’importants changements pour modifier la façon dont l’eau est distribuée aux utilisateurs, et la façon dont elle est utilisée. Il était ainsi proposé « pour réduire significativement la consommation d’eau des ménages d’introduire un comptage obligatoire de l’eau et d’encourager les économies grâce à l’installation de dispositifs spéciaux sur les robinets, les pommes de douche et les toilettes. »

À plus grande échelle, la répartition des ressources entre les secteurs économiques doit être optimisée. Une politique efficace de tarification et des mesures économiquement avantageuses permettant d’améliorer la gestion des besoins, avant d’opter pour la mise en place d’infrastructures d’approvisionnement supplémentaires. La durabilité des ressources en eau et l’utilisation durable des sols doivent être intégrées dans l’élaboration des politiques agricoles et touristiques, dont les activités dépendent de la quantité d’eau disponible au niveau local.

Cette première série d’options stratégiques ont été critiquées par des associations environnementales, qui estiment qu’elles ne s’attaquent pas au principal responsable du problème : l’agriculture. Pour Pieter de Pous du Bureau européen de l’environnement (BEE), la question se pose de savoir s’il faut continuer à cultiver des plantes gourmandes en eau là où les ressources deviennent plus rares.

Sergey Moroz du WWF a quant à lui déclaré : “Nous soutenons fermement la hiérarchie de mesures suggérée par la Commission : considérer la gestion de la demande avant d’opter pour des infrastructures supplémentaires dans le domaine de l’eau. Construire des réservoirs, des usines de dessalement et détourner des rivières ne devrait pas figurer sur l’agenda jusqu’à ce qu’il soit prouvé que les méthodes alternatives ont été exploitées ».

Dans la perspective du Conseil informel « Environnement » prévu à Lisbonne les 31 août et 1er septembre 2007, axé sur la pénurie d’eau et les sécheresses, un nouveau rapport publié par la Commission confirmait que la consommation d’eau dans l’Union européenne pourrait être réduite d’environ 40 %, chiffre deux fois supérieur à celui initialement estimé.

Une nouvelle étude commandée par la Commission estimait que l’utilisation rationnelle de l’eau pourrait progresser d’environ 40 % « grâce à certaines améliorations technologiques », et que ce pourcentage pourrait être encore plus important si l’on parvient à modifier les comportements des consommateurs ou les schémas de production.

Si aucun changement n’est apporté, ce rapport estime que la consommation d’eau par les ménages, l’industrie et l’agriculture devrait augmenter de 16 % d’ici à 2030. En revanche, en utilisant des technologies permettant d’économiser l’eau, et en appliquant des mesures de gestion de l’irrigation dans les secteurs industriels et agricoles, les abus de consommation devraient diminuer de 43%. En outre, le gaspillage de l’eau pourrait être réduit d’un tiers grâce à des mesures d’utilisation rationnelle de la ressource.

Les ministres réunis à Lisbonne confirmaient ces orientations. « Cent millions de personnes et un tiers du territoire de l’Union ont été touchés par la grande canicule de 2003 pour un coût de 9 milliards d’euros. En 30 ans, les sécheresses ont coûté 100 milliards d’euros à l’Union », soulignait le ministre français chargé de l’environnement Jean-Louis Borloo.
La présidence portugaise indiquait que les problèmes relatifs à la rareté de l’eau et aux sécheresses font l’objet de discussions sur le plan politique.

Après sa communication du 18 juillet 2007, la Commission ajoutait qu’une approche de la gestion de l’eau par la demande doit être favorisée. A ce sujet, Jean-Louis Borloo indiquait : « Il faut économiser l’eau, lui trouver un juste prix et organiser la solidarité entre Etats membres. Il faut étendre les bonnes pratiques : les compteurs d’eau systématiques chez les exploitants agricoles en France, l’équipement des bâtiments pour collecter et recycler l’eau de pluie dans les villes allemandes, la réutilisation des eaux des lave-linges pour l’arrosage à Chypre ou le volontarisme de Saragosse qui affiche désormais, avec 96 litres par habitant par jour, la plus faible consommation d’eau par habitant de toute l’Espagne ».
 Les ministres insistaient également sur la nécessaire coordination frontalière dans le cadre des plans de gestion de la sécheresse pour les bassins versants à cheval sur plusieurs états membres.

Toutefois ils demeuraient divisés sur l’opportunité d’une nouvelle législation sur la gestion de l’eau : les pays du sud de l’Europe, réclamant une nouvelle réglementation, se heurtent aux réticences des Etats du nord, effrayés par de nouvelles dépenses. Les questions litigieuses portent notamment sur l’établissement de plans d’urgence et l’identification des zones risquant la sécheresse.
Les pays du nord de l’UE souhaitent en rester à la législation européenne existante en matière de gestion de l’eau, dont la DCE qui peine déjà à être appliquée. Le rapport publié le 31 août par la Commission, soulignant que ce n’est pas 20%, mais 40% de l’eau utilisée dans l’Union qui pourrait être économisée, renforçait sa position.

Ces statistiques préoccupantes appuyant ses propositions datant de sa communication de fin juillet : « Fixation d’une tarification plus adaptée, mise en oeuvre de la gestion des bassins hydrographiques en 2010, mise en place d’indicateurs avant allocation des aides européennes, cartographie des sécheresses, mise en place d’un observatoire européen de la sécheresse et d’un système d’alerte, infrastructures supplémentaires d’approvisionnement en eau. »

Mais comment transformer ces préconisation en décisions, en particulier dans les secteurs de l’agriculture, qui consomme 64% de l’eau en Europe, et de l’énergie (20%), et comment convaincre les Etats réticents ?

Une série de conclusions sur le sujet « pénurie d’eau et sécheresse » a ensuite été adoptée lors du Conseil environnement du 30 octobre 2007, faisant suite au Conseil informel du mois de septembre. Les ministres chargés de l’environnement indiquaient avoir accueilli favorablement la communication de la Commission adoptée le 18 juillet 2007, la considérant « comme un premier ensemble fondamental et bien étoffé d’options politiques concernant l’action future à mener dans le cadre des principes, des politiques et des objectifs de l’Union européenne en matière de gestion de l’eau ».



Le Conseil soulignait aussi l’importance d’aborder la question de la pénurie d’eau à l’échelle internationale, dans le cadre de la convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification, et de la convention-cadre sur les changements climatiques. Pour les ministres, la DCE jette par ailleurs « les bases d’une gestion intégrée de l’eau en Europe », et « il est nécessaire de passer d’une approche fondée sur la gestion des crises à un système axé sur la prévention et la préparation pour faire face aux répercussions de la sécheresse ».

Le Conseil demandait donc à la Commission de présenter en 2008 un rapport de suivi mentionnant les délais de mise en œuvre des mesures évoquées dans la communication, et de « réexaminer et étoffer d’ici 2012 la stratégie de l’Union européenne dans le domaine de la pénurie d’eau et de la sécheresse ».

La commission du développement durable du Comité des régions (CDR) inaugurait par ailleurs ses travaux pour 2008, le 10 janvier, autour du bilan de santé de la PAC (politique agricole commune) et de la politique de l’eau. Avec, en postulat de base, des constats sévères sur le manque d’efficacité des politiques européennes concernant la gestion hydraulique.

Les chiffres sont parlants : 17% du territoire de l’Union européenne connaît un problème de rareté en eau. Le changement climatique laisse présager des insuffisances encore plus marquées dans les années à venir. Les sécheresses ont déjà coûté 100 milliards d’euros au cours des trente dernières années. Les enjeux ne sont pas que financiers puisqu’ils touchent à la fois la biodiversité, l’appauvrissement des sols, le risque d’incendie des forêts et l’utilisation de l’énergie hydraulique. Parallèlement à ces inquiétudes, 20 à 40% de l’eau est gaspillée dans l’Union européenne.

Selon le Comité des régions, la DCE de 2000 n’est pas suffisamment appliquée. Il prône en conséquence une panoplie de mesures de sauvegarde, parmi lesquelles une tarification de l’eau fondée sur le principe "utilisateur-payeur", ou l’intégration des enjeux de quantité d’eau dans les instruments de la PAC.

L’avis est d’importance à l’heure du bilan de santé 2008 de cette politique. Rappelant qu’il convient "d’adapter l’ensemble de la production, en particulier les ressources irriguées et la production de biomasse, ainsi que toutes les activités économiques, à la quantité d’eau disponible à l’échelle locale", le CDR demandait que des conditions environnementales préalables soient fixées avant qu’une aide ne puisse être allouée pour tout équipement ou infrastructure d’approvisionnement en eau supplémentaire.

Il revenait aussi sur les potentiels offerts par des ressources alternatives en eaux. Parmi les pays cités en exemple pour l’utilisation rationnelle de l’eau : l’Allemagne où un cinquième des grandes villes soutiennent la collecte des eaux de pluie depuis plus de dix ans dans le but d’équiper 15% des bâtiments d’ici à 2010. L’avis de la commission développement du CDR a depuis lors été discuté les 6 et 7 février 2008 en session plénière.

Le 29 janvier 2008, lors de la 4e session thématique de la commission temporaire du Parlement européen sur le changement climatique, les échanges entre députés et experts ont porté sur les liens entre réchauffement climatique et gestion des ressources hydriques mondiales.

M. Kaveh Zahedi, du Programme des Nations unies pour l’environnement (Pnue), indiquait qu’une politique hydrique sensée en Europe et dans les pays avoisinants « doit se faire dans la logique d’un combat contre le changement climatique », tout comme « toute campagne contre le changement climatique doit s’articuler autour de l’eau ».



Il a par ailleurs abordé la problématique des agrocarburants qui ont, selon lui, « urgemment besoin de critères de durabilité », comme la « nécessité d’éviter des hausses de prix pour les prix des biens de consommation locaux ainsi que l’incidence des biocarburants sur la biodiversité ». Il soulignait que 1000 litres d’eau sont nécessaires pour produire un litre d’agrocarburant.

Et insistait également sur les conséquences d’un manque d’eau dans le domaine du nucléaire. « Actuellement, 24 centrales nucléaires du sud-est des Etats-Unis pourraient être arrêtées ou leurs opérations considérablement limitées car de graves conditions de sécheresse ont entraîné une baisse des niveaux des lacs et des rivières qui alimentent l’eau de refroidissement », expliquait-il.

L’absence de remise en cause drastique des activités affectant la ressource et l’éventuelle atteinte de « seuils critiques » pourrait donc susciter une « balkanisation », sous l’angle de politiques nationales qui répondraient à des urgences (inondations, sécheresses, pénurie, inadéquation de l’allocation de ressources, crises sanitaires...) aggravées par l’impact prévisible du réchauffement climatique.

La politique de l’eau européenne serait dès lors confrontée à un enjeu de cohérence, sous l’effet de tensions croissantes aggravées par les perspectives de l’impact du réchauffement climatique sur les ressources hydriques. Terreau fertile pour de vraies « guerres de l’eau » en Europe sur des territoires déjà affectés par des tensions croissantes autour de l’utilisation de la ressource : Bretagne (France), Espagne ou Italie.

Deux enjeux politiques apparaissent d’ores et déjà à cet égard déterminants, qui concernent d’une part la Méditerranée, et d’autre part les Balkans et le Danube, et plus particulièrement la Serbie, le Montenegro et la Grèce.

Plus inquiétant, le changement climatique est désormais ouvertement présenté comme un enjeu majeur de sécurité nationale. En 2007 un groupe de haut-gradés militaires américains à la retraite affirmaient que le changement climatique pouvait aggraver l’instabilité internationale. Les risques pouvant être liés à l’afflux massif de réfugiés, chassés par la sécheresse, un manque de ressources alimentaires, et une montée des niveaux de mer, qui pourraient induire des conflits violents.

Une antienne reprise dans un document établi conjointement par les services du haut représentant de l’Union européenne, M. Javier Solana, et de la Commission, et qui était présenté aux chefs d’Etat et de gouvernement, au cours de la réunion du Conseil européen, qui se tenait le jeudi 13 mars 2008.

Selon ce rapport, les changements climatiques représentent un "multiplicateur de menaces", qui "exacerbe les tendances, les tensions et l’instabilité existantes". Aussi l’Union doit-elle se donner les moyens de répondre à ces risques en renforçant ses capacités "de recherche, d’analyse, de suivi et d’alerte rapide" et en améliorant ses outils de protection civile et de gestion de crises face aux catastrophes à venir.

Autant de formulations qui n’augurent pas d’une gestion sereine de ladite crise, mais dessinent les contours d’une inquiétante doctrine aux relents sécuritaires ouvertement affichés.

Lire aussi :

L’Europe de l’eau (1) : mobilisation durable ou balkanisation ? 3 avril 2008

L’Europe de l’eau (2) : faire face au changement climatique, 12 avril 2008

L’Europe de l’eau (3) : la fuite en avant ? 21 avril 2008

L’Europe de l’eau (4) : quel avenir pour le service public ? 30 avril 2008

L’Europe de l’eau (5) : 100 millions d’Européens délaissés, 13 mai 2008

L’Europe de l’eau (6) : quelle solidarité Nord-Sud ? 24 mai 2008

Marc Laimé

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