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Barack Obama, candidat des réseaux sociaux sur Internet

par Marie Bénilde, 21 avril 2008

La question n’est plus de savoir si les médias font l’élection mais quelles sont les technologies qui favorisent la victoire d’un candidat à l’investiture démocrate aux Etats-Unis. Si l’on suit la trajectoire de M. Barack Obama depuis le début de l’année, la réponse tombe d’elle-même : ce ne serait plus les grosses machineries médiatiques, CNN, Time Warner ou ABC qui apporteraient un avantage décisif dans la course à la présidentielle démocrate, mais les réseaux sociaux sur Internet : Facebook, Myspace (Murdoch) ainsi que tous les sites ou blogs participatifs.

Certes, les grands « networks » traditionnels de médias présentent encore l’avantage de s’adresser à l’ensemble de la population, puisque la télévision est encore la principale source d’information politique pour 90% des personnes interrogées, selon une étude récente de l’Université de Pennsylvanie (1). Mais 42% — et 55% des jeunes de moins de 30 ans — sont déjà informés politiquement par Internet. Et surtout, les médias audiovisuels sont aujourd’hui très largement concurrencés dans un domaine hautement sensible : le financement de la campagne électorale.

Ce 21 avril à 13 heures, M. Barack Obama lance ainsi une initiative hors du commun à l’adresse des internautes : il s’agit de recueillir 1 million de dollars en 1 minute. Impossible ? En janvier dernier, l’homme a réussi l’exploit de réunir 32 millions de dollars versés à 90 % par des dons de 100 dollars via Internet. En mars, il collecte encore 40 millions de dollars.

D’aucuns y ont vu une remarquable illustration de la « longue traîne » chère à Chris Anderson, le rédacteur en chef de Wired : on ne fait pas le poids qu’en cumulant de grosses audiences à travers des médias de masse, mais aussi en fédérant les multiples petites audiences qui s’étalent de façon interminable sur Internet.

Il suffit de comparer les impacts respectifs de M. Barack Obama et de Mme Hillary Clinton sur Facebook. Avec les 320 000 membres de son réseau, le sénateur de l’Illinois y compte soixante fois plus d’ « amis » que sa rivale, dotée de 5 300 affiliés à son groupe le plus étoffé. Avec 24 millions de visionnages en un jour, au mois de mars, les vidéos sur Obama sont trois fois plus regardées sur YouTube que celles d’Hillary Clinton. Enfin, il faut compter 161 000 membres inscrits sur Myspace en soutien à Obama contre 43 000 à Clinton et 21 000 à John McCain, le candidat républicain. Il n’en faut pas plus pour convaincre tous les spécialistes américains de la supériorité en ligne de Barack Obama. Au point que sa stratégie sur Internet fait déjà référence pour les experts du marketing qui y voient la recette magique pour imposer un produit challenger face à une marque leader.

Rishad Tobaccowala, directeur de l’innovation de Publicis par exemple, ne cache pas qu’il s’en inspire pour convaincre ses clients qu’à l’heure d’Internet, un candidat « analogique » comme Hillary Clinton aurait beaucoup moins de chances de succès qu’un candidat vraiment « numérique » comme Obama. A la première l’avantage initial de la notoriété, la reconnaissance de l’establishment, le soutien naturel des médias (dont témoigne une récente interview sur ABC menée notamment par le journaliste George Stephanopoulos, ancien chef du bureau de communication de Bill Clinton). Mais au second reviendrait la maîtrise des communautés virtuelles sur le Web avec l’idée qu’il faut laisser à chaque groupe une certaine autonomie pour qu’il s’active de façon vertueuse sur la Toile (2).

« Barack Obama a les trois choses que vous attendez d’une marque : il est nouveau, attractif et différent », dit Keith Reinhard, président de DDB Worldwide, dans un article paru en avril dans la revue Fast Company. « Obama réalise ses meilleures performances auprès des jeunes, âgés de 18 à 29 ans environ, que les publicitaires convoitent, la cohorte connue sous le nom de génération du millénaire — les Millennials —, qui dépassera en nombre les babyboomers vers 2010. Ils sont noirs, blancs, jaunes, et de diverses nuances de brun, mais ce qu’ils partagent — les nouveaux médias, les réseaux sociaux en ligne, un dégoût pour la vente de terrains au plus haut ou au plus bas — les relie plus que les barrières traditionnelles, comme l’origine ethnique, ne les divisent (3). »

Laissons à Keith Reinhard ses conclusions sur la resocialisation que permettraient les réseaux sociaux (les chances pour un jeune défavorisé de sortir de son milieu étant somme toute aussi grandes à travers Internet qu’après une balade dans une rue passante). Mais constatons que la « performance » d’Obama auprès des jeunes aficionados de la Toile n’est pas très étonnante quand on sait que le candidat noir s’est adjoint les services d’un des cofondateurs de Facebook, Chris Hugues, 24 ans, à qui il doit le succès de son site Mybarackobama.com.

Du « mass media » au « my media »

Présenté comme « l’arme secrète de la campagne » d’Obama, cet ancien condisciple à Harvard de Mark Zuckerberg et de Dustin Moscowitz, les patrons fondateurs de Facebook, est parvenu à fédérer un demi-million de militants à travers 8 000 groupes sur la Toile. Sa force ? Une dynamique extrêmement 2.0, c’est-à-dire se nourrissant de la participation des internautes au point d’en faire les acteurs centraux de l’action militante. Issus pour la grande majorité de la jeune génération dite native du numérique, qui a grandi avec Internet, ces internautes sont à la fois invités à poser des questions (auxquelles le candidat répond, en analysant au passage les principaux centres d’intérêt Etat par Etat), et conviés à devenir des émissaires sur la Toile en propageant des vidéos et en partant à la rencontre d’autres groupes, comme Blackplanet.com, l’un des sites de la communauté noire.

Il en va de même vis-à-vis des réseaux professionnels comme Linkedin : il suffit qu’Obama y sollicite l’avis de chefs d’entreprise sur les mesures à prendre en faveur des PME pour qu’il reçoive 1 500 réponses (4).

Ce qui ferait la force d’Obama, ce serait donc d’avoir compris que l’Amérique est en train de passer du « mass media » au « my media ». Comme le note Chris Anderson, l’auteur de La Longue Traîne (5), dans un environnement Internet où le nombre de références culturelles ne cesse d’augmenter, il n’y a plus de Top 40 des sources incontournables, puisque chacun est en mesure de se concevoir son propre classement. Pour accéder aux foules, il faut donc moins se tenir à l’entrée des échoppes que sur les grandes artères qui conduisent aux flux de population, qu’il s’agisse des moteurs de recherche ou des réseaux communautaires.

Aux Etats-Unis, selon Médiamétrie Netratings, Facebook comptait à la fin de l’année 2007 22,7 millions d’utilisateurs, soit une pénétration sur 13,7% des foyers. Ces internautes, âgés principalement de 21 à 34 ans, passent en moyenne 1 h 09 par mois sur leur compte personnalisé qui leur sert à échanger des informations privées mais aussi des vidéos, de la musique ou des contenus divers. En France, le phénomène prend également de l’ampleur puisque, avec 1,9 millions d’utilisateurs en décembre 2007, Facebook a vu son audience augmenter de 680% au dernier semestre de 2007.

Le réseau social suscite des critiques sur l’utilisation qu’il fait des données personnelles : son fondateur Mark Zuckerberg a vanté auprès des annonceurs l’envoi de publicité « hyper-ciblées » en fonction du profil des utilisateurs. L’homme se propose « d’aider les marques à faire partie des conversations quotidiennes qui se produisent tous les jours » sur Internet en leur permettant de créer des profils virtuels et de les diffuser auprès de communautés d’« amis ». Sans conteste, Barack Obama est déjà l’une de ces principales « marques » à faire partie des conversations sur Facebook.

Marie Bénilde

(1National Annenberg Election Survey of University of Pennsylvannia, étude réalisée de janvier à mars 2008.

(5Chris Anderson, La Longue Traîne, la nouvelle économie est là !, Village Mondial, Pearson, 2007. Paris. Traduit de l’anglais par Brigitte Vadé et Michel de Seac’h.

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