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Al-Zawahiri sur le Hamas, l’Iran et d’autres questions

par Alain Gresh, 23 avril 2008

En décembre 2007, Ayman Al-Zawahiri, le numéro deux d’Al-Qaida a sollicité les internautes. Les réponses ont été publiées le 2 avril sur le site du mouvement Al-Sahab media en arabe et en anglais. Ce texte permet de mieux cerner la pensée (et les contradictions) d’Al-Qaida et aussi les sujets qui préoccupent ceux qui posaient des questions (au total 1888).

Sans prétendre faire le tour de tous les problèmes, je donne ci-dessous la substance des réponses sur les principaux sujets abordés :

Sur la mort d’innocents (dans les attentats)

« Nous n’avons pas tué d’innocents, ni à Bagdad, ni au Maroc, ni en Algérie, ni nulle part ailleurs. Et si des innocents ont été tués dans des opérations des moudjahidin, c’est ou par erreur ou en cas de nécessité. » (Par nécessité, il entend que les innocents sont des « boucliers humains » au milieu de l’ennemi.)

Concernant les attentats d’Alger du 11 décembre qui ont frappé le siège des Nations unies, de l’Assemblée constitutionnelle et de l’académie de police :

« Les Nations unies sont un ennemi déclaré de l’islam : c’est elle qui a légitimé la création de l’Etat d’Israël sur des terres musulmanes. C’est elle qui considère la Tchtchénie comme une partie intégrante de la Russie des croisés ; c’est elle qui considère Ceuta et Mellila comme une partie intégrante de l’Espagne des croisés. Et c’est elle qui a légitimé la présence des croisés en Afghanistan et en Irak (...), qui a légitimé l’indépendance de Timor de l’Indonésie, alors qu’elle ne reconnaît pas ce droit à la Tchétchénie, ni aux musulmans du Caucase, du Cachemire, de Ceuta et Mellila ou de Bosnie. »

Revenant sur la condamnation des attentats en Algérie par le cheikh Youssef Al-Qaradwi, Zawahiri affirme :

« Qaradawi croit les principaux criminels et accuse les moudjahidin de mentir. Il est revenu dans sa fatwa sur ce qui s’était passé dans les villes de Batna et de Dellys, présentant les événements comme le meurtre d’innocents et comme une acceptation de la légalité de faire couler le sang des innocents. Ainsi, il répète les mensonges du régime criminel algérien. L’opération à Dellys visait une base navale et non une école. Quant à celle de Batna, elle visait à tuer le président criminel qui a tué des milliers de civils innocents, qui combat l’islam, refuse d’appliquer la charia, est loyal à l’Amérique et à la France, et reconnaît Israël – par son appartenance aux Nations unies et son soutien à l’initiative arabe de capitulation » (le plan de paix arabe pour le conflit israélo-arabe)

Il accuse ensuite Qaradawi d’avoir publié une fatwa déclarant qu’il était légale pour un Américain musulman de se battre dans l’armée américaine en Afghanistan.

Sur la Palestine et le Hamas

Il accuse Al-Qaradawi de ne pas avoir d’objection à la reconnaissance d’Israël si un Etat palestinien est créé. « Je mets en garde, poursuit-il, contre une orientation qui se répand dans la direction d’un groupe musulman bien connu (il vise les Frères musulmans, rappelons que Qaradawi est considéré comme un de leurs leader spirituels) et dans la direction de groupes islamistes en Palestine, une orientation qui appelle à la création d’un Etat palestinien sur les territoires qui ont été occupés en 1967 et oubliant les parties de la Palestine qui ont été volées avant. Le masque est tombé avec les accords de la Mecque qui ont abandonné les quatre cinquièmes de la Palestine ».

Al-Zawahiri revient ensuite sur le Hamas :

« J’ai adopté une approche graduelle à l’égard du Hamas. D’abord un soutien puis des conseils répétés puis des mises en garde et, enfin, une critique générale. Quand ils ont signé les accords de la Mecque, cette critique était indispensable. J’ai adopté une approche graduelle à leur égard, mais ils n’ont pas répondu aux conseils de leurs frères et ont continué sur la même voie, de la participation aux élections (de janvier 2005) dans le cadre d’une constitution laïque, à leur abandon de leurs frères en Tchétchénie, finissant par leur abandon des quatre cinquièmes de la Palestine. »

Zawahiri continue en affirmant qu’il fait la différence entre la direction politique du Hamas et les moudjahidin (les brigades Ezzedine Al-Qassam), qu’il appelle les musulmans à soutenir (un appel destiné spécialement, dit-il, aux « tribus du Sinaï »).

Dans un autre développement, Zawahiri explique :

« Il est du devoir des moudjahidin des brigades Al-Qassam de conseiller leurs dirigeants et de leur demander de retourner à une ligne correcte, et de leur expliquer tout cela. Et si ces dirigeants ne répondent pas, alors la loyauté à Allah et à son messager doit être plus forte que la loyauté à l’égard de leurs dirigeants. »

Répondant à la question de savoir si on peut qualifier les dirigeants du Hamas d’incroyants :

« Je ne suis pas d’accord avec ceux qui mettent un signe d’égalité entre le Fatah et le Hamas. Le Hamas affirme son affiliation à l’islam alors que le Fatah est un mouvement laïque. Et je ne pense pas que l’on puisse dénoncer les dirigeants du Hamas comme incroyants. Déclarer que des individus sont des incroyants est une affaire très sérieuse (...). »

A plusieurs reprises, Zawahiri accuse les Frères musulmans égyptiens, leur reproche leur participation aux élections et accuse les Frères musulmans en Irak et en Afghanistan de participer au pouvoir.

Plusieurs questions portent sur le fait qu’A-Qaida ne mène pas le combat en Palestine. Dans une réponse, Al-Zawahiri explique que l’organisation a mené des attaque contre les juifs à Djerba (Tunisie), contre des touristes israéliens à Mombasa (Kenya). Il explique ensuite que Ben Laden, dans son dernier discours, a affirmé que les moudjahidin, après avoir libéré l’Irak, se dirigeront vers Jérusalem. Ailleurs, il précise : « Je veux assurer notre peuple, particulièrement en Palestine, que nous étendrons notre djihad, si Dieu le veut, et que nous ne reconnaîtrons jamais les frontières issues des accords Sykes-Picot (accords de partage du Proche-Orient entre la France et le Royaume-Uni signés durant la première guerre mondiale) ni les dirigeants que le colonialisme a mis en place. Nous, par Dieu, ne vous avons pas oubliés après les événéments du 11 (septembre), car un homme peut-il oublier sa famille ? Mais, à la suite de ces raids bénis (du 11-Septembre) qui ont frappé la tête et le coeur du siège mondial de l’incroyance et l’allié principal de l’entité sioniste, l’Amérique, nous sommes occupés à l’attaquer et à la combattre ainsi que ses agents, d’abord en Irak, en Afghanistan, dans le Maghreb islamique et en Somalie. Et si elle et ses agents sont battus, avec l’aide de Dieu, il ne se passera pas beaucoup de temps avant les moudjahidin mettent en place des brigades de Bagdad, d’Al-Anbar, de Mossoul, de Diyala et de Salahaddine pour nous ramener, avec l’aide de Dieu, à Hittin. » (Victoire de Saladin contre les Croisé en 1187 qui permit la reconquête par les musulmans de Jérusalem.)

Sur l’Iran, le chiisme et le Hezbollah

Pour l’essentiel, Zawahiri élude les questions sur l’Iran. Il renvoie à d’autres déclarations qu’il a faites. Rappelons que certains des internautes accusent Al-Qaida de ne rien dire sur l’Iran car certains de ses dirigeants seraient emprisonnés dans ce pays.

Toutefois, en réponse à une question sur les chiites, il écrit :

« Ceux qui ont participé avec leurs leaders à la coopération avec les Croisés et aux attaques contre les musulmans rejoignent le statut de ceux qui sortent des lois de l’islam. Quant aux croyants de base (laity) qui n’ont pas participé à une agression contre les musulmans ni à la croisade mondiale, nous les invitons (au dialogue) et nous leur expliquons les faits, et nous leur dévoilons l’étendue des crimes commis par leurs dirigeants contre l’islam et les musulmans, et comment ils ont coopéré avec les croisés dans l’occupation de l’Afghanistan et de l’Irak (il vise ici, bien évidemment, la direction iranienne) (...) et comment ils ont prétendu que leur but est la libération de la Palestine, mais Hassan Nasrallah a salué les forces croisées qui ont occupé le Liban (il fait allusion à la Finul) (...). Sans parler des déclarations de Rafsandjani affirmant que son but n’est pas l’élimination d’Israël, et le fait que l’Iran est membre des Nations unies comme Israël, et que la charte des Nations unies oblige tous ses membres à respecter l’unité et la sécurité et la souveraineté de tous les membres de l’organisation. »

Sur le camp de Nahr El-Bared

Sur le siège du camp palestinien de Nahr El-Bared au Liban, Zawahiri explique qu’il a eu beaucoup de question pour savoir pourquoi il n’avait pas parlé de ces événements. Il affirme qu’il n’en a parlé qu’indirectement « parce que les frère du Fatah Al-Islam étaient accusés par les agents de l’Amérique d’être une branche d’Al-Qaida, ce qu’ils niaient et j’avais peur que si je les soutenais ouvertement je leur créerai des difficultés à un moment où nous étions incapable de les aider. Maintenant, toutefois, je déclare que les frères du Fatah Al-Islam sont des héros. (...) Et ce qui leur est arrivé à eux et aux musulmans à Nahr Al-Bared est un crime que nous n’oublierons jamais »...

Combating Terrorism Center de West Point (centre qui s’inscrit tout à fait dans l’idéologie de la guerre mondiale contre le terrorisme) publie The Power of Truth ? Questions for Ayman al-Zawahiri, publie une analyse des questions posées par les internautes et des réponses du numéro 2 d’Al-Qaida. L’étude a été faite par Jerret Brachman, Brian Fishman et Joseph Felter.

Certains éléments quantitatifs sont intéressants. Le Centre a recensé un total de 1188 questions. 93 questions (4,9%) portaient sur le Hamas, seulement 5 questions portaient sur Qaradawi et 23 sur les Frères musulmans (alors qu’Al-Zawahiri a accordé aux deux une grande place dans ses réponses ; 78 questions portaient sur le Fatah Al-Islam, 6% portaient sur l’Irak et sur l’Etat islamique d’Irak ; 78 questions portaient sur l’Iran (4,2%).

Voici les quatre conclusions que les auteurs tirent de cette recherche :

 Zawahiri est inquiet du mécontentement croissant parmi les djihadistes, notamment par les actions qui tuent des civils ;

 Zawahiri a révélé des informations sur la tactique de propagande d’Al-Qaida reconnaissant de facto que le dirigeant de l’Etat islamique d’Irak Abou Omar Al-Baghdadi n’existait sans doute pas ;

 le conflit avec le Hamas va grandissant, de même que l’intérêt d’Al-Qaida pour le Liban ;

 Al-Qaida continue de considérer les Frères musulmans comme un de ses plus importants adversaires.

Hillary Clinton et l’Iran

La nouvelle n’a pas fait la Une de la presse française. Pourtant, elle le mérite. Et le Financial Times du 23 avril lui consacre un titre sur deux colonnes, au-dessus d’une photo de Mme Hillary Clinton, « Clinton’s stark warning to Iran ». Selon le quotidien financier britannique, la candidate démocrate a déclaré : « Je veux que les Iraniens sachent cela, si je suis présidente nous attaquerons l’Iran. (...) Ces dix prochaines années durant lesquelles ils pourraient de manière folle envisager de lancer une attaque contre Israël, nous serons capable de les détruire (obliterate). » « Utiliser des mots comme oblitérer ne produit pas de bons résultats, a rétorqué Barack Obama. Je ne suis pas intéressé dans une surenchère (sabre-rattling). Les Iraniens savent que je répondrai avec détermination et que cela sera complètement inacceptable s’ils attaquent Israël ou un autre de nos alliés dans la région avec des armes conventionnelles ou nucléaires. »

Alain Gresh

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