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Terrorisme, islam et communication

par Alain Gresh, 25 mai 2008

Le Counter Terrorism Communication Center, un centre officiel américain, a publié un document en date du 14 mars 2008 Words that Work and Words that Don’t : A Guide for Counterterrorism Communication qui fixe de nouvelles règles dans l’utilisation des mots. Cette nouvelle communication voudrait dissocier terrorisme, Al-Qaida et islam. En voici quelques extraits :

« Ne pas invoquer l’islam : bien que le réseau Al-Qaida utilise les sentiments religieux et essaie de tirer parti de la religion pour justifier ses actions, nous devrions le traiter (Al-Qaida) comme une organisation politique illégitime, à la fois terroriste et illégitime ».

« Ne pas toujours parler de l’identité musulmane : éviter de désigner chaque chose comme "musulmane". Cela renforce le schéma "les USA contre l’islam" que Al-Qaida promeut. Soyons plus précis (égyptien, pakistanais) et plus descriptifs (la jeunesse de l’Asie du sud, les leaders de l’opinion arabe) chaque fois que c’est possible ». (...)

« Eviter les terminologies floues et insultantes : nous communiquons avec le public, nous ne voulons pas une confrontation avec lui. Ne l’insultons pas et n’ajoutons pas à la confusion en utilisant des termes comme "islamo-fascisme" qui sont considérés comme insultants par beaucoup de musulmans ». (...)

« Eviter le terme de califat pour décrire le but d’Al-Qaida et des groupes associés, car ce terme a une connotation positive pour les musulmans. La meilleure description de ce qu’ils veulent réellement est "un Etat global totalitaire". Ne jamais utiliser les termes de "djihadistes" ou de "moudjahidin" pour décrire les terroristes. Un moudjahid, un guerrier saint, est une caractérisation positive dans le contexte d’une guerre juste. En arabe, djihad signifie "faire des efforts pour s’engager dans le chemin de Dieu" ; le terme est utilisé dans beaucoup d’autres contextes que celui de la guerre. Appeler nos ennemis djihadistes et parler d’un djihad mondial légitime involontairement leurs actions. »

(Remarque : il est intéressant de noter que l’un des changements introduits par Nicolas Sarkozy dans le discours de politique étrangère est justement l’utilisation de ce terme de califat. Lors de son premier grand discours de politique étrangère, devant les ambassadeurs, le 27 août 2007, il déclarait : « Premier défi, sans doute l’un des plus importants : comment prévenir une confrontation entre l’Islam et l’Occident. Ce n’est pas la peine d’employer la langue de bois : cette confrontation est voulue par les groupes extrémistes tels qu’Al Qaeda qui rêvent d’instaurer, de l’Indonésie au Nigéria, un khalifat rejetant toute ouverture, toute modernité, toute idée même de diversité. Si ces forces devaient atteindre leur sinistre objectif, nul doute que le XXIe siècle serait pire encore que le précédent, pourtant marqué par un affrontement sans merci entre les idéologies. »)

Revenons au document américain :

« Eviter les négations comme "nous ne sommes pas en guerre contre l’islam". Malheureusement, les études montrent que les gens ont tendance à oublier la négation. Ainsi quand vous dites, par exemple, "nous ne haïssons pas l’islam", les mots dont les gens se souviennent sont "haine" et "eux". »
(...)

Ce document officiel a été révélé par Steven Emerson, qui travaille pour le Investigative Project on Terrorism, dans un article du 2 mai 2008, « Investigative Project Releases Gov’t Memos Curtailing Speech in War on Terror ». Steven Emerson est un « spécialiste » du terrorisme qui s’est rendu célèbre en attribuant l’attentat d’Oklahoma City du 19 avril 1995 (168 morts) au terrorisme islamique (alors qu’il avait été commis par un homme proche de l’extrême droite américaine).

On ne s’étonnera donc pas que dans son texte il critique vivement cette nouvelle directive officielle qui demande d’adoucir le langage utilisé par les responsables américains.

« Ainsi, on demande à l’Amérique, après avoir été pendant deux siècle le sanctuaire des masses qui aspiraient à respirer librement, de réduire la liberté contre les fanatiques qui sont résolus à imposer un Etat religieux mondial. Le mémo (celui qui est cité au début de cet envoi du blog) ne donne aucun exemple dans lequel l’islam et la démocratie laïque (secular) se sont renforcés l’un l’autre, ni n’explique comment la charia, l’imposition de la religion dans les affaires de l’Etat, est "pleinement compatible" avec la démocratie laïque (secular). »

Un article du 7 mai de Shaun Waterman, publié par le Washington Times, « U.S. aims to unlink Islamic, terrorism », revient sur le changement de stratégie de communication de l’administration américaine.

Le Hamas condamne l’Holocauste

Dans une tribune intitulée « Hamas condemns the Holocaust », publiée par le quotidien britannique The Guardian (12 mai 2008), Bassem Naeem, ministre de la santé et de la communication du gouvernement du Hamas à Gaza, écrit :

« Il doit être clair que ni le Hamas, ni le gouvernement palestinien à Gaza ne nie l’holocauste commis par les nazis. L’holocauste n’était pas seulement un crime contre l’humanité, mais un des crimes les plus abominables de l’histoire moderne. Nous le condamnons comme nous condamnons tous les abus contre le genre humain et toutes les formes de discrimination sur la base de la religion, de la race, du genre ou de la nationalité. »

« Dans le même temps que nous condamnons sans aucune réserve les crimes perpétrés par les nazis contre les juifs d’Europe, nous rejetons catégoriquement l’exploitation que les sionistes font de l’holocauste pour justifier leurs crimes et obtenir un assentiment international à la campagne de purification ethnique et d’assujettissement qu’ils ont lancée contre nous, au point que, en février, le vice-ministre de la défense Matan Vilnai a menacé la population de Gaza d’un "holocauste". »

Nouvelles de Palestine

Quelques nouvelles de la Palestine, qui prouvent, si besoin était, que le processus d’Annapolis est au point mort, que la colonisation se poursuit et que la soi-disant communauté internationale (en fait les Etats-Unis et l’Union européenne) avalise dans les faits la politique israélienne.

Une conférence internationale pour l’investissement en Palestine vient de se tenir à Bethléem. Dans un article du Monde (23 mai) d’un de ses correspondants, Benjamin Barthe, « Israël bloque le second réseau de téléphonie mobile palestinien », on peut mesurer à quel point toutes ces réunions sont un théâtre d’ombres pour cacher (si peu d’ailleurs) la réalité de la politique israélienne. Sur son blog consacré à la Palestine, Julien Salingue publie, en date du 23 mai, une analyse détaillée et très argumentée sur « l’envers du décor de la Palestine Investment Conference ».

Tandis que Bernard Kouchner, une fois de plus, « regrette qu’Israël n’allège pas les contrôles en Cisjordanie » (Michel Bôle-Richard, Le Monde, 24 mai), les Nations unies annoncent que le nombre de checkpoints a augmenté de 7% depuis septembre 2007 (lire « UN : No. of roadblocks in W. Bank up 7 percent from last Sept. », Haaretz, 25 mai). Leur nombre est passé de 556 le 4 septembre 2007 à 607 le 29 avril 2008. Israël a supprimé 103 barrages durant cette période et en a reconstruit 144...

La seule question qui devrait être posée à Bernard Kouchner pour que ses déclarations ne soient pas prises comme « purement verbales » est : quelles sanctions la France va-t-elle prendre pour imposer la levée des checkpoints ?

Voici ce que j’écrivais en novembre 2007, au moment de la conférence d’Annapolis, ce village Potemkine de la paix :

« Rappelons que même le démantèlement de certains checkpoints en Cisjordanie, qui transforment chaque déplacement des Palestiniens en cauchemar et qui pourtant a aussi mille fois été promis, ne s’est jamais effectué. Un rapport des Nations unies révélait que le nombre de barrages (roadblocks) avait atteint 572, une augmentation de 52% par rapport aux 376 barrages qui existaient en août 2005. »

Alain Gresh

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