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Caricatures, islam et racisme

par Alain Gresh, 1er juin 2008

« Un satiriste croqué par la police ». Sous ce titre Libération du 30 mai publie un article de sa correspondante à Amsterdam Sabine Cessou, relatant l’affaire Gregorius Nekschot, un caricaturiste qui a été arrêté le 13 mai et dont huit dessins ont été retirés du Net.

« L’affaire Nekschot, du nom d’un caricaturiste arrêté le 13 mai chez lui, à Amsterdam, agite depuis les Pays-Bas. Gregorius Nekschot a passé la nuit et toute une journée au poste, pendant que sa maison était perquisitionnée par dix policiers. Son téléphone portable, son disque dur, un disque externe, une clé USB, des livres et des carnets de croquis lui ont été confisqués. "Quand je suis rentré chez moi, raconte-t-il, j’ai vu que tous les livres avaient été déplacés sur les étagères. Je ne sais pas ce qu’ils cherchaient." Paul Velleman, le procureur qui a ordonné l’arrestation, a fait savoir que le dessinateur pourrait être inculpé pour discrimination. » (...)

« "C’est la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale qu’un incident pareil se produit", commente Nekschot. Le dessinateur, qui a commencé sa carrière en 2000, s’est toujours retranché derrière l’anonymat, prenant mille précautions pour ne pas dévoiler sa véritable identité. Il craint de la voir mise à jour s’il y a procès. Son pseudonyme fait allusion au pape Grégoire IX, qui a lancé l’Inquisition, tandis que Nekschot, "une balle dans la nuque", désigne une méthode courante d’élimination, dans les années 30, des opposants au communisme et au fascisme. Depuis la mort de Theo Van Gogh, assassiné en 2004 par un jeune islamiste, le dessinateur vit dans un état d’alerte permanent. "Je suis conscient du danger, dit-il, peut-être plus que Theo Van Gogh ne l’était, parce que je lis beaucoup et je sais de quoi les fanatiques sont capables." Cible de menaces de mort sur courriels, il s’attendait à tout, sauf à une descente de police. "Pendant mon arrestation, je me suis senti comme le personnage du Procès, le roman de Kafka", précise-t-il. "Je ne sais toujours pas ce qui se passe. Je ne suis pas un raciste ni un type d’extrême droite. Je plaisante juste." »

Il plaisante juste... Et soyons clair, c’est son droit. Dans tous les pays européens, le droit à la critique, à la caricature existe et menacer quelqu’un parce qu’il en a usé est intolérable. Le droit au blasphème existe aussi dans la plupart de ces pays. J’ajouterai que menacer quelqu’un ou l’arrêter pour publication d’un dessin ou d’un texte me semble aussi peu acceptable, sauf si ces textes sont des appels directs au meurtre et à la violence. Et s’ils sont ouvertement racistes ? ils peuvent tomber sous le coup de la loi ; mais, à titre personnel, je pense que c’est une mesure extrême et qu’elle devrait vraiment être limitée.

Cela étant dit, il est intéressant de se pencher sur les dessins concernés.

Deux des dessins retirés de la Toile, et qui ne sont pas d’après la correspondante de Libération les plus choquants, montrent « un vieux baba cool néerlandais faisant le signe love & peace et ce commentaire, "Ce n’est que la seconde génération", alors qu’il est braqué par un grand Noir. Ou encore cette statue bizarre, un gros Néerlandais, chaîne au pied, qui porte sur son dos un Noir aussi corpulent que lui, bras croisés et tétine à la bouche, sous cette légende : "Et maintenant, aussi un monument à l’esclavage pour le contribuable autochtone blanc" - critique croisée de la multiplication des monuments à l’esclavage aux Pays-Bas et du débat sur le statut des Antilles néerlandaises. »

Cela se passe de commentaires. Ou peut-être pas... Ce caricaturiste ne fait qu’exprimer un sentiment qui se développe en « Occident » que notre civilisation serait menacée par des barbares venus d’ailleurs, barbares qui sont, dans la plupart des cas (mais pas toujours) des musulmans. Cette idéologie dépasse désormais les cadres étroits de l’extrême-droite et se propage, y compris à gauche.

Deux remarques supplémentaires à propos de l’histoire des années 1930. A cette époque, on assistait en France à une violente campagne contre les immigrés d’Europe de l’Est ou d’Italie. La plupart étaient chrétiens et pourtant dénoncés comme profondément étrangers à « notre » culture, « notre » civilisation. D’autre part, je ne sais pas si dans l’Allemagne de Weimar le blasphème était autorisé ou non. Mais quand je vois certaines caricatures sur l’islam ou sur son prophète, je m’imagine les mêmes publiées à Berlin en 1932, en remplaçant simplement musulman par juif. Les auteurs hypothétiques de ces caricatures hostiles à la religion juive auraient pu arguer, en toute bonne foi, que leurs attaques ne concernaient que la religion, qu’ils réprouvaient l’antisémitisme...

Dans le même ordre d’idée, je vous renvoie à l’article de Leïla Babès publié dans le même numéro de Libération (29 mai) et intitulé « Réponse à Robert Redeker ». J’avais, le 20 septembre 2006, épinglé le texte de Redeker publié dans Le Figaro (19 septembre) et intitulé « Face aux intimidations islamistes, que doit faire le monde libre ? ». Les menaces qui ont été proférées contre l’enseignant et qui ont suscité une juste condamnation ont malheureusement occulté les propos tenus. C’est sur eux que revient Leïla Babès en s’adressant à Redeker :

« Si au lieu de vous contenter de lancer des stéréotypes du genre « christianisme = religion de l’amour, islam = religion de la haine », vous aviez sérieusement soumis votre objet de détestation à la critique rationnelle dont vous vous piquez en vous comparant à Voltaire, vous auriez peut-être évité de comparer le prophète de l’islam à Hitler. Ce qui, au-delà de toute considération religieuse, est une niaiserie et un non-sens épistémologique surprenant de votre part. Mais vous avez décidé que l’islamisme est définitivement l’islam, comme le prouve votre article qui porte en son titre le premier terme alors que l’ensemble du texte ne parle que du second. Vous me pardonnerez d’ajouter que les islamistes sont décidément bien bêtes de condamner quelqu’un qui apporte de l’eau à leur moulin. Bien entendu, vous avez raison de dénoncer le chantage à l’islamophobie, la ségrégation des sexes et le soutien apporté par des courants gauchistes aux islamistes, qu’ils considèrent comme les nouveaux damnés de la terre. Le problème est que vous rabattez tous ces faits sur une vision essentialiste et culturaliste de l’islam, que vous désignez comme l’ennemi de la civilisation. Vous pouvez bien vous défendre d’attaquer les musulmans, vous ne faites pas autre chose lorsque vous les comparez aux adeptes de Hitler qui suivent leur chef (Mahomet). Lorsque vous parlez de l’islam qui "tente d’obliger l’Europe à se plier à sa vision de l’homme", vous me paraissez hélas plus proche de Geert Wilders et d’Oriana Fallaci que de Voltaire, et certainement pas de l’islamologue Maxime Rodinson que vous citez dans votre article pour étayer votre maigre savoir sur l’islam. »

« Une semaine qui a ébranlé le Liban »

Je publie dans Le Monde diplomatique du mois de juin un article (« Revers pour la majorité alliée aux Etats-Unis : Une semaine qui a ébranlé le Liban ») dont on trouvera quelques extraits sur le site.

A l’issue du voyage que j’ai effectué dans ce pays, j’ai évidemment rapporté bien plus d’informations. Je voudrais citer une partie de la conversation que j’ai eue avec Alain Aoun, du Courant patriotique libre (CPL) du général Michel Aoun, à propos des armes du Hezbollah.

« Nous ne pouvons oublier qu’une partie de notre territoire (les fermes de Chebaa) reste occupée et qu’un certain nombre de Libanais sont retenus prisonniers en Israël. Notre pays a besoin d’une capacité de défense et de dissuasion ; il ne faut pas qu’il soit une simple promenade pour l’armée israélienne. Or l’armée libanaise n’a pas les moyens d’assurer son rôle, nous avons besoin des armes du Hezbollah. Mais aucun Etat souverain ne peut accepter à terme que des armes restent en dehors de son contrôle. Il faut donc trouver un moyen pour intégrer progressivement ces armes du Hezbollah dans nos forces régulières. »

Charles Enderlin et la censure

J’avais rapporté ici en octobre 2006 un des épisodes du procès organisé par des groupes extrémistes pro-israéliens contre le journaliste Charles Enderlin, à propos de l’affaire du petit Mohammed Al-Doura. On pourra aussi lire un extrait des polémiques du début de l’Intifada sur un autre envoi « Gaza et les "boucliers humains" ». Dans une valise publiée le 29 mai sur le site du Monde diplomatique, « Acharnement contre Charles Enderlin », Dominique Vidal revient sur un scandaleux jugement qui déboute Enderlin. Il écrit notamment :

« Sans avoir, il est vrai, jugé sur le fond, la justice a délivré ainsi un étrange « permis de diffamer ». Certes, aucun terrorisme intellectuel ne musellera les intellectuels et journalistes honnêtes qui, connaisseurs du dossier et habitués du terrain, informent l’opinion sur la colonisation et la répression israéliennes. Victimes, avant Charles Enderlin, de ce genre d’attaques, Daniel Mermet, Edgar Morin, Esther Benbassa et tant d’autres ont tenu bon. Mais ces campagnes scandaleuses pourraient intimider ceux qui, moins compétents et moins déterminés, seront tentés d’« arrondir les angles » plutôt que risquer d’être, à leur tour, ciblés. »

Alain Gresh

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