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Inquiétants barrages (1)

La moitié des grands barrages gérés en France par EDF sont vétustes et dangereux (Voir ci-après les précisions apportées par EDF en réponse à cet article le 5 septembre 2008). Près de 20% des milliers de plus petits barrages gérés par des collectivités ou des personnes privées ne sont pas correctement entretenus et pourraient devoir être détruits. Les enseignements d’un rapport confidentiel d’EDF, rendu public en mars 2007, et d’un rapport parlementaire publié le 9 juillet 2008 mériteraient de faire l’objet d’une large réflexion à l’heure où le ministre de l’Ecologie, M. Jean-Louis Borloo vient d’annoncer le 23 juillet 2008 un « Plan de relance de la production hydroélectrique française ». Demain, des centaines d’installations hydroélectriques, jusqu’ici gérés par des entreprises publiques et des collectivités locales, vont être concédés à des opérateurs privés, conséquence de la libéralisation du marché de l’électricité. Une « ouverture » à hauts risques.

par Marc Laimé, 23 août 2008

En mars 2007 le magazine économique français Capital publiait des extraits d’un rapport confidentiel d’EDF révélant que près de 200 des 450 ouvrages gérés par l’électricien dans les Alpes, mais aussi dans le Massif central et les Pyrénées, étaient « vétustes », « vieillissants » et « fissurés », voire pour certains d’entre eux « obsolètes et dangereux ».

L’entreprise, qui exploite un parc hydraulique de 447 centrales produisant 40 milliards de KWh par an, soit l’équivalent de la consommation de Paris pendant un an, annonçait trois mois plus tard, en juin 2007, le lancement effectif d’un vaste plan d’entretien et de rénovation de ces ouvrages, déjà programmé, selon elle, depuis la fin 2006.

Portant sur cinq ans (2007-2011), ce programme « Sûreté et performance de l’hydraulique » (SuPer Hydro), représente un coût de 560 millions d’euros. Les plus gros travaux devaient intervenir en 2008, mais des interventions étaient déjà en cours pour les cas les plus urgents. Accusant un âge moyen de cinquante ans, avec 25 % des installations dépassant 75 ans, le parc hydroélectrique d’EDF devait faire l’objet au total de 274 opérations de rénovation, dont 130 concentrées dans les Alpes.

Aucun lien avec l’article du magazine, précisait EDF... Les études avaient été entreprises bien avant. Les chantiers lancés, les syndicats de l’entreprise soulignaient toutefois que la France « a perdu la compétence et le savoir-faire sur la maintenance des ouvrages. Comme on ne construit plus de nouveaux barrages, les entreprises spécialisées sont parties à l’étranger ».

Rapport d’enquête parlementaire

Parallèlement, inquiet de la fragilité des digues censées protéger les villes des inondations, M. Christian Kert, député (UMP) des Bouches-du-Rhône, commençait à la fin de l’année 2007, dans le cadre d’une enquête parlementaire, à inspecter barrages et digues, comparant les pratiques française et étrangère.

Avant même de rendre son rapport, l’élu confiait à la presse en mars 2008 s’inquiéter de l’état des barrages gérés, non par EDF, mais par des collectivités locales ou des sociétés privées. « Très mal contrôlés », ces ouvrages « vieillissants et mal entretenus, peuvent rompre à tout moment ». Or on en compte des centaines en France. Leur faible hauteur - de 7 à 12 mètres en moyenne -, comparée aux géants que sont Tignes ou Serre-Ponçon, ne réduit en rien le danger qu’ils font peser en aval. Ainsi, la simple rupture d’une vanne sur le barrage de Tuilières en 2006 a-t-elle libéré 5 millions de mètres cubes d’eau et de boue, et aurait pu être meurtrière si l’incident s’était produit en plein jour.

M. Christian Kert ne se satisfaisait pas davantage des réponses apportées par EDF quant à la résistance sismique des barrages : « Les ouvrages respectent les normes en vigueur à l’époque de leur construction. » Quand on sait qu’ un quart d’entre eux compte déjà soixante-quinze années d’exploitation, c’est admettre à demi-mot que certains barrages répondent à des normes obsolètes.

Un décret pour renforcer la sécurité des barrages

Les pouvoirs publics sont pourtant informés et conscients du problème, comme en témoigne la promulgation d’un décret du 11 décembre 2007, entré en vigueur le 1er janvier 2008, qui inscrivait dans le Code de l’environnement (art. R.214-112 à 151 et R.213-77 à 83) de nouvelles dispositions, relatives à la sécurité des ouvrages hydrauliques, et au Comité technique permanent des barrages et des ouvrages hydrauliques.

La loi sur l’eau du 30 décembre 2006 a instauré au sein du Code de l’environnement (art. L.211-3), une disposition permettant d’exiger des exploitants d’une installation ou d’une concession hydraulique la présentation d’une étude de dangers.

Toutefois, eu égard à la lourdeur et aux coûts engendrés par cette procédure, seuls les ouvrages les plus importants (critères de taille ou de volume de la retenue d’eau), et qui présentent des risques avérés pour la sécurité publique peuvent se voir imposer une telle obligation.

Le décret précisait les conditions dans lesquelles l’autorité administrative peut demander au propriétaire ou à l’exploitant d’un barrage, d’une digue ou d’un ouvrage soumis à la loi du 16 octobre 1919 relative à l’utilisation de l’énergie hydraulique, une étude de dangers exposant les risques que présente l’ouvrage pour la sécurité publique, directement ou indirectement en cas d’accident, que la cause soit interne ou externe à l’ouvrage.

L’étude, réalisée par un organisme agréé, doit expliciter les niveaux des risques pris en compte et détailler les mesures aptes à les réduire. Elle prend notamment en considération les risques liés aux crues, aux séismes, aux glissements de terrain, ainsi que les conséquences d’une rupture des ouvrages, ou encore des incidents liés à l’exploitation courante. Elle comprend aussi un résumé présentant la probabilité, la cinétique et les zones d’effets des accidents potentiels ainsi qu’une cartographie des zones de risques significatifs.

Le décret détaillait par ailleurs les règles relatives à l’exécution des travaux, à la première mise en eau, à l’exploitation et à la surveillance des ouvrages hydrauliques autorisés ou déclarés. Des règles particulières s’appliquent à l’exploitation et à la surveillance des barrages ou des digues, en fonction du classement retenu. Si un barrage ou une digue ne paraît pas remplir des conditions de sûreté suffisantes, le préfet peut demander au propriétaire, ou à l’exploitant, de faire procéder, à ses frais, dans un délai déterminé, et par un organisme agréé, à un diagnostic sur les garanties de sûreté de l’ouvrage.

En outre, afin de clarifier et de renforcer les règles de contrôle de la sécurité des ouvrages, le Comité technique permanent des barrages, créé par le décret du 13 juin 1966, a reçu une consécration législative (art. L.213-21). Désormais dénommé Comité technique permanent des barrages et des ouvrages hydrauliques, il donne, sur demande du ministre intéressé, son avis sur tout sujet concernant la sécurité de ces installations et sur les avant-projets et projets d’exécution. Le décret en précisait la constitution, le mode de fonctionnement et les ouvrages soumis à son avis. Le comité peut notamment examiner les dossiers de construction ou de restauration de certaines digues de protection contre les inondations pouvant poser des problèmes de sécurité civile en fonction de leur taille et des populations ou établissements qu’elles protègent. Enfin, le texte modifiait le décret du 11 octobre 1999 approuvant le cahier des charges-type des entreprises hydrauliques concédées.

Les barrages sont-ils dangereux ?

Un expert du domaine souligne toute la difficulté de l’appréciation des risques que peut générer un barrage :

« Les barrages sont un monde très divers, depuis les innombrables levées de terre destinées à créer des étangs piscicoles, jusqu’à quelques ouvrages impressionnants par leur taille et l’audace de leur conception, tel Roselend en Savoie.

« L’une des premières tâches du Comité technique permanent des barrages (CTPB), créé après la catastrophe de Malpasset, fut de définir les « grands barrages » dont il s’occuperait : ceux de plus de 15 mètres de haut, avec un grand volume d’eau retenu, et qui pourraient provoquer des dégâts graves en cas de rupture.

« Chaque barrage est en fait un cas particulier, à la différence du nucléaire fait en série. Mais, comme le nucléaire, il doit être surveillé et suivi par un propriétaire ou un exploitant, doté de moyens, d’une compétence reconnue et d’une assurance de continuité.

« C’est typiquement le cas d’une institution comme EDF, et, de fait le CTPB s’est toujours comporté avec EDF comme avec un partenaire sérieux et de compétence égale, avec qui partager des savoirs et des expériences. En définitive, le CTPB a surtout été créé pour superviser des grands projets de barrages envisagés par des organismes assez peu qualifiés en la matière. C’était le cas de Malpasset, encore que le monde entier ait tiré une grande leçon technique de cette catastrophe. Et en particulier une leçon d’ humilité.

« Il est tout aussi absurde de penser que « les barrages » en général sont des ouvrages sans histoire, que de penser comme l’a largement relayé la presse qu’un barrage français sur deux « donnerait des inquiétudes ».

« Il n’est pas un concepteur de barrages qui ait vécu dans la sérénité le dernier mètre de remplissage de la première mise en eau de son ouvrage. C’est l’heure de vérité, car les barrages ne peuvent pas s’essayer « à blanc ». Ensuite, il faut un concours de circonstances étrange pour que l’ouvrage cède au second ou troisième remplissage. On en a connu qui ont cédé... à la vidange : digues en terre, vidanges rapides. Et, de fait, dans les digues des bassins supérieurs des installations de pointe par pompage-turbinage, c’est un des soucis principaux du projeteur.

« Même s’il a tenu des années, un barrage peut mal vieillir. Le béton, lui, ne fait qu’augmenter de résistance au cours des siècles. Mais les appuis ? Les appuis sont des barrages faits par le Bon Dieu, pas toujours avec sérieux. En tout cas ce sont des barrages en rochers avec des infiltrations d’eau et des sous pressions.

« Un barrage en terre est moins destiné à vivre une éternité qu’un barrage en béton, car il y a toujours une petite percolation au travers de la masse de terre et celle-ci, par nature, ne peut aller qu’en s’amplifiant. Cela peut mettre mille ans pour commencer à être inquiétant. C’est le cas de nos grands barrages, comme Serre-Ponçon, et c’est assez facile à suivre. Mais il faut le suivre absolument, comme il faut suivre et interpréter les déformations de tous les « grands » barrages lors des cycles de remplissage-vidange.

« C’est en constatant sur 20 ans une tendance du béton en clef de voûte à ne pas tout à fait revenir à zéro qu’on a soupçonné qu’il se passait quelque chose dans le béton du barrage du Chambon. Mais tout le monde sait qu’on avait dix ans pour comprendre, trouver un remède et le mettre en oeuvre.

« Car les barrages bien faits préviennent du danger, s’ils sont bien surveillés par des gens compétents, et l’urgence est très rare. C’est aussi le cas de l’enlisement des retenues. Autant de cas particuliers : Sainte Croix, dont l’amont est en calcaire, mettra dix mille ans à s’enliser. Assouan sera déjà sérieusement amputé dans un siècle. Les petites retenues des aménagements à l’aval de Serre-Ponçon sont déjà toutes envasées, et bien sûr on le savait et ça n’avait pas d’importance, et d’ailleurs ça plaît aux oiseaux migrateurs...

« Restent les évènements naturels énormes et exceptionnels. On pense, à tort, surtout aux séismes. Les séismes sont ravageurs pour les maisons, mais les centrales nucléaires sont les endroits les plus sûrs car calculés pour, et quant aux barrages, en gros ils s’en fichent : c’est toute la terre qui bouge, pas une rive par rapport à l’autre ! Par contre, s’ils sont en terre, ils redoutent la vague qui s’en suit dans la retenue, et qui pourrait passer par-dessus le barrage si la retenue est pleine. C’est en effet par submersion qu’ un barrage en terre peut brutalement périr. A contrario, construit en béton type voûte, le barrage du Vaillon en Italie a tenu à une vague de 30 à 50 mètres qui est passée par dessus.

« La submersion grave peut résulter d’une vague énorme, et le plus à craindre est un pan de montagne ou de terrain qui glisse brutalement dans la retenue. Si on le redoute, il faut donc aussi suivre ces mouvements de terrain. Elle peut aussi être le fait d’une crue monstrueuse survenant quand la retenue est pleine. C’est le b-a-ba du projeteur de connaître la crue millénaire, de « calculer » la crue de dix mille ans, et d’en rajouter encore un peu s’il s’agit d’un barrage en terre.

« Ce qui reste à peu près sûr, c’est qu’un « grand barrage » ne redoute pas beaucoup d’un bombardement, ou d’un acte de terrorisme puisque c’est à la mode, qui ne peuvent guère faire plus qu’ ouvrir intempestivement les vannes de vidange, ce qui fera certes du bruit dans la vallée...

« Ceci étant dit, il n’en est pas moins vrai qu’on peut aujourd’hui pointer le risque d’une dérive sournoise dans la qualité de la surveillance des barrages si, au lieu d’une entreprise publique, ces soins sont confiés à l’avenir à des entreprises seulement soucieuses d’augmenter leurs profits, et susceptibles de disparaître du jour au lendemain, selon la loi de la concurrence chère aux politiciens qui pensent que toutes les activités relèvent des principes libéraux de la petite épicerie de quartier. »

Le rapport Kert

Adopté le 2 juillet par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, et rendu public le 9 juillet 2008, le rapport de M. Christian Kert sur la mise en sécurité des barrages et ouvrages hydrauliques, fruit de nombreuses auditions, rencontres et visites de terrain effectuées dans sept départements, n’apaisait pas totalement les inquiétudes suscitées par la révélation du rapport confidentiel d’EDF, rendu public par Capital en mars 2007.

Le député faisait sensation en présentant à la presse les images oubliées de la plus grande catastrophe liée à ce type d’ouvrage en France : l’effondrement du barrage de Malpasset (Var), en 1959, qui fit 423 victimes. « On a du mal à se représenter ce que c’est qu’un barrage, et des effets qu’un accident peut avoir, rappelait l’élu. Dans le monde, 1 % des grands barrages se sont rompus depuis un siècle. »

La France est, après l’Espagne, le deuxième constructeur européen de barrages, avec un parc évalué à 744 ouvrages de plus de 10 mètres de haut, et des milliers de taille inférieure. Parmi eux, 74 des ouvrages à usage hydroélectrique de plus de 10 mètres stockent plus de 15 millions de m3 d’eau, et font l’objet d’un dispositif d’inspection détaillé dans le rapport.

Or ce parc est majoritairement constitué d’ouvrages anciens. Entre 1955 et 1985, 250 barrages hydrauliques auraient ainsi été édifiés en France, soit une moyenne de 8 barrages par an. Depuis 1985, le rythme a ralenti, quatre ouvrages ayant été bâtis en moyenne par an durant cette période.

L’énergie hydraulique a longtemps constitué la seconde source de production d’électricité en France. Elle n’a que modérément augmenté depuis 1973, et sa part dans la production totale d’électricité a sensiblement diminué, passant de 26 % en 1973 à 10 % en 2005. Mais les installations hydrauliques assurent bien d’autres missions que la production d’électricité. Alimentation en eau potable, irrigation agricole, alimentation des voies navigables, régularisation des débits des cours d’eau, prévention des crues, alimentation des zones de loisirs nautiques, enneigement artificiel des domaines skiables…

Le nombre d’ouvrages hydrauliques de petite et moyenne taille s’est dès lors multiplié en France. M. Christian Kert dénombrait ainsi 2870 barrages dans le Gers, 1370 dans le Tarn… 448 des barrages du Gers font plus de 10 mètres de haut, et 296 de plus de 20 mètres. Parmi eux, 99 ont une capacité supérieure à 15 millions de mètres cubes.

Or ces barrages ont une incidence sur le paysage, l’environnement humain et les écosystèmes. Mais la plupart de ces ouvrages ont été conçus dans les années 60 et 70 sans réelle planification, et le député soulignait qu’il n’existait pas de photographie d’ensemble du parc. Un recensement complet du nombre et de l’état actuel de ces ouvrages devrait toutefois permettre avant la fin de l’année 2008 de combler ce manque, et de mieux cerner les problèmes que poseraient près de 20 % de ces petits et moyens barrages.

On peut d’ailleurs regretter que le rapport du député Kert, centré sur les risques, notamment humains, liés aux barrages et ouvrages hydrauliques, n’aborde pas la question de la protection de l’environnement, régulièrement soulevée par les associations écologistes. Si, depuis 1977, les maîtres d’ouvrages doivent fournir une étude d’impact, et si les ouvrages doivent respecter une réglementation qui leur impose certaines mesures de préservation du milieu naturel, beaucoup d’installations anciennes perturbent aujourd’hui la continuité biologique et le fonctionnement hydro-géomorphologique des rivières.

Car un barrage est un ouvrage qui vit, travaille et se fatigue en fonction des efforts auxquels il est soumis. Les grands ouvrages sont certes soumis à une inspection régulière. Un examen extérieur doit être effectué chaque année et, tous les dix ans, la retenue d’eau doit être vidée afin de permettre l’accès à la partie inférieure du barrage et à ses différents équipements, vannes, grilles…

Le suivi des grands barrages hydroélectriques, même s’ils sont peu préoccupants selon le rapport, doit donc être renforcé pour prévenir les accidents, toujours possibles. Car certains ouvrages, comme celui du Chambon, en Isère, sont affectés par des maladies du béton qui les font « avancer », et pour lesquels seules des solutions de court terme sont mises en oeuvre. En outre, la plupart des grands barrages se trouvent dans des zones sismiques. Pour M. Kert, un effort de recherche doit être accompli, à la fois dans le domaine de la lutte contre les maladies du béton et de la résistance aux séismes.

Il préconisait donc un suivi du plan « SuPer Hydro » annoncé par EDF en juin 2007, et qui prévoyait 560 millions d’euros d’investissements pour la maintenance et la réhabilitation : « Il faut veiller à ce qu’il y ait bien dans l’intégration du budget d’EDF une enveloppe suffisante pour faire une maintenance appropriée et de qualité, et donc maintenir l’entretien à un point d’équilibre. »

Quelle sécurité pour les petits et moyens barrages ?

Reste donc le cas des dizaines de milliers de moyens et petits barrages parsemant les cours d’eau français, et dont le recensement précis, aujourd’hui inexistant, mais attendu pour la fin de l’année 2008, a été confié aux Directions départementales de l’agriculture et de la forêt (Ddaf), par le décret précité du 11 décembre 2007. Il fixe quatre classes d’ouvrages tenant compte de la hauteur et de l’importance de la retenue.

Les plus petits (classe D) ne font l’objet d’aucun contrôle. Les exploitants de l’ouvrage ont pourtant la responsabilité civile et pénale d’assurer la sûreté de fonctionnement des barrages. Mais beaucoup de maîtres d’ouvrages, privés ou publics, ignorent leurs devoirs ou n’ont pas les moyens financiers de les respecter.

Selon les experts consultés par le parlementaire, environ 20 % pourraient demander des travaux, voire être démolis. « On a le sentiment que dans les années 1970 et 1980, on a laissé faire n’importe quoi, affirmait M. Kert. Nous avons trouvé des habitations et des campings construits non seulement dans des zones inondables, mais en plus directement sous des barrages. » La surveillance et l’entretien sont parfois complètement absents, faute de propriétaire ou de gestionnaire clairement identifié. Dans certains cas, les petites communes responsables des ouvrages n’ont pas les moyens de les entretenir.

Le rapport soulignait en outre les disparités entre les contrôles effectués par les directions régionales de l’industrie et des risques (Drire) sur les grands ouvrages et la surveillance des directions départementales de l’agriculture et de la forêt (Ddaf), lesquelles n’ont pas les moyens de contrôler efficacement tous les ouvrages. Le rapport soulevait donc la question des solutions financières, suggérant que : « Pour les petites communes qui n’ont pas les moyens d’entreprendre des travaux, le Conseil général devrait être responsabilisé. Dans le cas de propriétaires privés, la question est plus délicate… »

Les seuls départements du Tarn, du Tarn-et-Garonne et du Gers compteraient ainsi plus de 4500 barrages de moins de 5 mètres (classes C et D), dont la plupart sont destinés à la pêche ou à l’irrigation. Le rapport parlementaire soulignait que l’action de contrôle de ces modestes ouvrages, également utiles à la prévention des crues, n’est pas réalisée avec une complète rigueur et exhaustivité, contrairement donc au cas des classes A et B.

Ainsi, selon les départements, environ 20 % des barrages classés C et D poseraient des problèmes de sécurité. De fait, « le respect des nouvelles procédures de contrôle des ouvrages concernés par le décret de 2007 requiert des moyens humains nouveaux, de niveau technicien, dont certains services de police de l’eau assurés par les Ddaf ne disposent pas actuellement ».

Or, si les Ddaf étaient déjà en manque d’effectifs affectés au contrôle des petits barrages, l’actuel processus de fusion Ddaf/DDE et Drire/Diren, impulsé par la Révision générale des politiques publiques (RGPP), laisse pour le moins dubitatif quant à leur capacité à apporter dans l’avenir une réponse à cette carence.

A l’identique, la restructuration en cours du ministère de l’Ecologie autour d’un pôle unifié de prévention des risques va à l’évidence retarder l’homogénéisation de la formation des agents des services déconcentrés de l’Etat, comme l’adoption de solutions uniformes, indispensables pour assurer efficacement, à l’échelle nationale, la sécurité de ces ouvrages. Ici on peut noter que d’autres pays disposent d’un corps unique de contrôleurs affectés à ce type de mission.

Appel aux conseils généraux

Sitôt le recensement exhaustif en quatre classes effectué à la fin 2008, le rapport soulignait que : « Les conseils généraux des départements les plus exposés à un risque “barrages” devront prendre en charge financièrement, dans le cadre de leur politique de l’eau, les ouvrages de collectivités territoriales dont le recensement mettra à jour la dangerosité et dont, à l’évidence, ces collectivités locales - compte tenu de leur surface démographique et financière -, ne pourront assumer les investissements nécessaires à une mise en sécurité ». Si certains conseils généraux refusent de mettre la main à la poche, des démolitions d’ouvrages devront probablement dès lors être envisagées.

Cas de figure identique pour les digues. La gestion des plus importantes ayant été déléguée par les collectivités à de puissants syndicats d’aménagement, celle-ci ne pose guère de problème. Mais la myriade de petites digues aux multiples propriétaires privés rend difficile la tâche de contrôle des Ddaf. « D’autant que toute tentative de coordination apparaît alors comme une “mainmise” de l’Etat sur les territoires ; d’où l’importance des rapports entre les élus et l’administration », poursuivait M. Christian Kert.

Or si ceux-ci sont généralement « fructueux et courtois », la tension monte quand l’administration contraint les élus à apporter seuls des solutions pratiques et financières. Car les exemples de maires de communes, démunis et paniqués à l’idée que de petits barrages vieillissants présents sur leur territoire engendrent un accident, ne manquent pas.

Situation tempérée par le fait que, dans les zones les plus concernées, le rapporteur a pu constater que les préfets s’impliquent souvent personnellement dans ces dossiers. Et qu’élus, services déconcentrés, syndicats d’aménagement et instituts de type Cemagref se démènent pour trouver des solutions.

Reste que, pour les digues au moins, « il est nécessaire d’impulser une nouvelle politique d’aménagement en France », intégrant une définition « des équilibres à tenir entre la réalisation de digues solides et efficaces et le respect d’une écologie territoriale », insistait M. Christian Kert. Dont le rapport concluait que la recherche et l’appel à l’expertise internationale sur ce sujet de la sécurité des barrages et digues doivent être intensifiés.

Grands barrages et libéralisation du marché de l’hydroélectricité

Le rapport abordait également la question des concessions en matière d’hydroélectricité, dans la perspective de l’ouverture programmée du marché de l’électricité. Nous avons vu que le décret du 11 décembre 2007 reprenait en les accentuant les dispositions mises en place pour ausculter les barrages et analyser leur comportement. Un autre texte en cours d’élaboration lors de la publication du rapport Kert devait pour sa part modifier les décrets antérieurs relatifs à la concession.

« Son objet principal est de définir les modalités du processus de mise en concurrence des concessions hydroélectriques. Ce texte doit impérativement considérer que la sécurité des ouvrages et de leur exploitation constitue un élément essentiel des dossiers de renouvellement. Nous devons être certains de la qualité des éventuels repreneurs des sites EDF », soulignait le rapport parlementaire.

Alors en cours d’examen au Conseil d’Etat, le projet de décret relatif à la mise en concurrence des concessions hydrauliques devait en effet donner lieu à la reprise d’une partie du parc par de nouveaux venus. « Si la sûreté des ouvrages est pour l’heure abordée par ce décret, nous devons pour autant être certains de la qualité des éventuels repreneurs de l’exploitation des sites EDF », soulignait M. Christian Kert. En effet, « même s’il est correctement conçu et surveillé, tout barrage représente un risque potentiel pour la population et les biens situés à l’aval. On peut qualifier ce risque résiduel de minime, mais en aucun cas d’inexistant ou de négligeable », poursuivait le rapport. Ainsi, apprécier son état de sûreté implique de mieux tenir compte des alentours, de l’évolution de l’habitat et des implantations touristiques (campings, bungalows) qui se sont souvent développées près de ces ouvrages.

En Dordogne, l’espérance est violente...

On pouvait mesurer toute la complexité de la gestion d’un écosystème affecté par l’existence d’un barrage à la lecture d’un reportage publié par le quotidien régional français Sud-Ouest le 4 décembre 2007. Une situation qui augure mal des dérives qui pourraient se faire jour à l’avenir, consécutivement à la libéralisation du marché de l’électricité, et donc de celui de l’hydroélectricité, vers laquelle nous progressons à grands pas...

M. Germinal Peiro, député (PS) du Sarladais, maire de Castelnaud-la-Chapelle, et vice-président en charge du tourisme au Conseil général de Dordogne, avait organisé le jeudi 29 novembre 2007 une réunion publique à laquelle participaient pêcheurs amateurs ou professionnels, loueurs de canoës, exploitants de campings, hébergeurs saisonniers, clubs de sports nautiques, gabariers touristiques, amoureux de la faune et de la flore, riverains..., ne décolérant pas depuis l’été 2007.

« Alors qu’à cette époque le courant du fleuve est censé apporter son lot de poissons migrateurs, de touristes appâtés par les plages et la navigation en eaux calmes et la manne économique de la haute saison, le cous de la rivière Espérance s’avérait tellement capricieux que nul ne pouvait lui faire confiance. Niveau élevé ou soudainement très bas, température fraîche, berges inaccessibles ou dévastées, et partout des poissons morts pour n’avoir pas su biologiquement résister à de telles variations. »

A l’origine de ces préjudices multiples, les grands barrages de l’amont, pourvoyeurs d’électricité.

« Malgré les efforts produits depuis plus de 15 ans pour préserver l’une, sinon la plus belle rivière d’Europe, rien ne change, constatait avec amertume M. Germinal Peiro.

« Les lâchages ont lieu n’importe quand, sans nous prévenir, et on a enregistré des baisses de revenus allant de 25 à 30 % par rapport aux années précédentes, s’insurgeait M. David René, président du Syndicat des loueurs de canoës de la rivière. Certes les conditions météorologiques n’ont pas été excellentes, mais, en raison du niveau de l’eau, nous n’avons même pas pu exploiter les fenêtres de beau temps. » Un vrai manque à gagner pour ce secteur d’activité dont les membres s’interrogeaient par ailleurs sur les responsabilités en cas de problème grave.

En ce qui concerne les chavirages, l’été 2007 restera en effet dans les annales...

« Sur nos plaquettes promotionnelles, les campings vantent leur situation en bord de Dordogne, avec des plages, des potentiels de baignade, etc. Une baignade qui n’a pu commencer avant le 5 ou 6 août  ! Cela faisait longtemps que la saison battait son plein : on pourrait nous accuser de publicité mensongère », surenchérissait M. Philippe Hirsch, président du Syndicat départemental de l’hôtellerie de plein air.

« Ces éclusées, à n’importe quel moment de l’année, sont catastrophiques pour l’écosystème », déclarait M. Jacques Laguerre, président de la Fédération départementale de la Pêche, qui redoute lui aussi, outre les impacts sur la population piscicole, des accidents mortels au niveau humain pour la pêche en barque. Et ce dernier dénonçait par ailleurs les effets néfastes en ce domaine des microcentrales de l’aval.

« Je crains qu’avec la privatisation partielle d’EDF, le phénomène ne fasse qu’empirer, ajoutait le député PS, et que nos intérêts passent après les bénéfices des actionnaires. Cent cinquante kilomètres de rivière libre sans barrage entre Argentat et Trémolat : nous disposons d’un patrimoine unique en France ! C’est de l’or à tous les niveaux. Il faut que nous mettions tout en oeuvre pour le préserver. Le cahier des charges des concessionnaires d’électricité doit être clair et respecté. Imaginez aujourd’hui que ces derniers sont en mesure de réclamer des indemnités financières sur la régulation du niveau des eaux, que ce soit en étiage pour les activités touristiques, ou en terme de maintien de niveau pour l’irrigation à vocation agricole ! Avec de l’eau qui appartient à tous : ça me fait bondir ! »

A l’issue de la réunion, où tous s’accordaient sur les préjudices portés à tous les secteurs économiques de la vie de la rivière, M. Germinal Peiro annonçait qu’il allait envoyer un état des lieux au préfet de la Dordogne puis aux ministres concernés pour légiférer sur le « conflit d’intérêt » opposant les différents usagers de la rivière.

Seul espoir, ténu : qu’Epidor, un Etablissement public territorial de bassin (EPTB), qui regroupe les six départements traversés par le fleuve, ne remette au goût du jour un article de sa charte éditée en 1992 : le classement de cette partie de la vallée au patrimoine de l’Unesco...

Un espoir très ténu : le 23 juillet 2008, M. Jean-Louis Borloo annonçait un « Plan de relance de la production hydroélectrique française »...

Un rectificatif d’EDF

En la personne de M. François Mohlo, Directeur adjoint Medias Groupe, EDF a souhaité le 5 septembre 2008 apporter les précisions suivantes :

« A la suite de Votre Blog du 23 août dernier paru dans la version électronique du Monde Diplomatique intulé "Inquiétants barrages", nous aimerions voir porter à la connaissance de vos lecteurs les précisions suivantes :

La première phrase de l’article affirme : "La moitié des grands barrages gérés en France par EDF présentent sont vétustes et dangereux".

EDF s’inscrit totalement en faux par rapport à cette affirmation, qui est en contradiction totale avec le rapport du Député Christian KERT et avec la suite de l’article où est cité en ces termes "un expert du domaine" : "Il est tout aussi absurde de penser que les barrages en général sont des ouvrages sans histoire, que de penser comme l’a largement relayé la presse qu’un barrage sur deux donnerait des inquiétudes".

Pour EDF, la sûreté hydraulique est une priorité absolue. A ce titre, l’ensemble des 220 barrages qu’elle exploite fait l’objet d’une surveillance et d’un entretien réguliers, sous le contrôle des pouvoirs publics. EDF précise que le programme "sûreté et performance de l’hydraulique" (SUPERHYDRO) - décidé et engagé en 2006 - porte principalement sur des composants auxiliaires des aménagements hydroélectriques (vannes, conduites forcées, composants électriques...) et non sur les barrages eux-mêmes, dont le niveau de maintenance est tout à fait satisfaisant.

Ces éléments ont été confirmés par le Député Christian Kert, précisant dans son rapport que "... les techniques françaises de surveillance paraissent faire référence pour un nombre important de pays adhérents à la Commission Internationale des Barrages" (page 146).

L’article affirme d’autre part, au sujet du séisme : "Quand on sait qu’un quart d’entre-eux (les barrages) compte déjà 75 années d’exploitation, c’est admettre à demi-mot que certains barrages répondent à des normes obsolètes". Il faut rappeler que par leur conception et leur entretien, les barrages peuvent avoir une durée de vie supérieure à 100 ans, et qu’en conséquence l’âge moyen de 50 ans du parc hydroélectrique d’EDF n’est en aucun cas un facteur d’inquiétude.

Sur le sujet de la résistance sismique des barrages, EDF tient à préciser que si les ouvrages ont été "dimensionnés" aux normes en vigueur à l’époque de leur conception, ils ont tous fait l’objet d’une réévaluation de leur tenue au séisme - en fonction de l’évolution des connaissances, des techniques et des méthodes - et des mesures de confortement ont été mises en oeuvre chaque fois que cela s’est avéré nécessaire. Chacun de nos ouvrages a été conçu ou réévalué de manière à résister aux séismes les plus importants connus dans sa région, en supposant que l’épicentre d’un tel séisme se produirait à l’endroit même où est installé le barrage.

Tous ces éléments ont bien entendu été transmis au Député Christian Kert par des experts mondiaux sollicités par ses soins.

Pour finir, votre article indique que "l’énergie hydroélectrique a longtemps constitué la seconde source de production d’électricité en France". C’est toujours le cas en 2008. 70 milliards de kilowattheures d’origine hydroélectrique sont produits chaque année, dont 46 par EDF qui correspondent à l’équivalent de 4 fois la consommation annuelle de Paris. »

Nous remercions EDF de nous rassurer de la sorte, et renvoyons nos lecteurs au second volet de cette enquête, consacrée à la libéralisation du marché de l’électricité, qui emporte notamment le renouvellement des concessions actuellement concédées à l’opérateur public. En espérant qu’une vigilance identique sera exercée sur les infrastructures qui vont être concédées à des opérateurs privés.

Note : Précisions sur les contrôles de la sécurité des ouvrages hydrauliques.

Une circulaire, non publiée, en date du 8 juillet 2008 du ministère de l’Ecologie, de l’énergie, du développement durable et de l’aménagement du territoire (Meeddat), rappelle et précise le rôle des préfets et des services déconcentrés de l’Etat en matière de contrôle de la sécurité des digues et barrages au titre des dispositions mises en place par le décret n° 2007-1735 du 11 décembre 2007, relatif à la sécurité des ouvrages hydrauliques et au comité technique permanent des barrages et des ouvrages hydrauliques et modifiant le Code de l’environnement, (devenus articles R. 214-112 à R. 214-147 du Code de l’environnement) et l’arrêté du 29 février 2008 fixant des prescriptions relatives à la sécurité et à la sûreté des ouvrages hydrauliques.

Lire :

— L’examen du rapport d’information de M. Christian Kert par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, le mercredi 2 juillet 2008.

— Le rapport sur l’amélioration de la sécurité des barrages et ouvrages hydrauliques, par M. Christian Kert, Député des Bouches-du-Rhône. Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. Assemblée nationale-Sénat, 9 juillet 2008.

Lire aussi :

L’économiste Esther Duflo, professeure au Massachusetts Institute of Technology et à l’Ecole d’économie de Paris, a publié dans les pages « Rebonds » du quotidien français Libération, en date du 9 septembre 2008, une remarquable tribune consacrée à la catastrophe qui affecte le Bihar, l’un des états les plus pauvres de l’Inde, consécutivement à l’affaissement d’un barrage non entretenu, ayant entraîné des inondations qui ont fait plusieurs milliers de morts et plus de 3 millions de déplacés.

Marc Laimé

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