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Par notre envoyé spécial à Bangkok

Thaïlande : au cœur de la « révolution jaune »

par Xavier Monthéard, 15 septembre 2008

La fin de l’état d’urgence, décrétée hier à Bangkok, prélude-t-elle à un retour à la normale ? Elle ne signe en tout cas pas la fin de la crise que traverse la Thaïlande (lire sur ce blog « “Révolution jaune” en Thaïlande », 27 août 2008). Si la destitution par la Cour constitutionnelle, mardi 9 septembre, du chef du gouvernement, M. Samak Sundaravej, a satisfait l’Alliance du peuple pour la démocratie (APD), celle-ci s’oppose maintenant à son remplacement par un membre du Parti du pouvoir du peuple (PPP), la formation politique de M. Samak et de M. Somchai Wongsawat, le premier ministre par intérim. La séance parlementaire du mercredi 16 septembre donnera certes un nouveau dirigeant au pays. Mais le déroulement des trois dernières semaines indique déjà que les lames de fond sont trop puissantes pour qu’il puisse garantir la stabilité.

Tout avait commencé un peu comme une fête : après l’occupation par les dizaines de milliers de manifestants de l’APD, mardi 26 août, du siège du gouvernement (en fait, de ses jardins) et des grandes artères qui le bordent, c’est un village de quelques kilomètres carrés qui a fait son apparition, avec ses bâches et ses tentes, ses estrades, où alternent d’incessants discours politiques et quelques concerts, ses distributions régulières de nourriture (aussi bien hallal, pour la minorité musulmane, qu’ordinaire), ses sanitaires mobiles et ses stands d’infirmerie, ses autels de dévotion bouddhistes, le tout enclos par des barricades où le service de sécurité opère un contrôle méthodique. La police de Bangkok n’est pas parvenue à disperser cette microsociété la seule fois où elle l’a tenté, le vendredi 29 août. Et cette journée a miné le crédit de M. Samak, qui n’avait pas plus su reconquérir le siège de son gouvernement qu’éviter les violences.

En début de semaine, aucun signe de faiblesse n’apparaissait chez les manifestants. D’autant que la puissante centrale syndicale des entreprises d’Etat, la State Enterprises Worker’s Relation Confederation – qui compte deux cent mille membres et regroupe quarante-trois syndicats –, menaçait de se mettre de la partie. Samedi 30, son secrétaire général, M. Sawit Kaemvarn, nous déclarait : « Nous attendons encore les votes de notre base pour coordonner au mieux notre action. Mais nous allons mettre la pression. Progressivement, dans une stratégie de pas à pas. Si le gouvernement décrète l’état d’urgence, alors nous n’aurons plus le droit de faire grève. Mais nous passerons outre. Quand un gouvernement abuse du pouvoir, le peuple a le droit de réagir par la désobéissance civile. Parfois, vous devez choisir de vous rebeller. C’est ce qui distingue l’homme de l’animal. »

Le deuxième moment-clé n’a pas été la session parlementaire extraordinaire du dimanche, au cours de laquelle le Parti démocrate (opposition) s’est échiné en vain à demander la démission de M. Samak ou la dissolution du Parlement, mais la nuit du lundi 1er septembre au mardi 2, marquée par des heurts très violents entre un groupe progouvernemental nostalgique de l’ancien premier ministre Thaksin Shinawatra, le Front uni de la démocratie contre la dictature (en anglais, UDD), et le service d’ordre de l’APD. Ces affrontements auraient-ils pu être évités ? Au lendemain des événements, cinq associations de médias locaux, dont l’Association des journalistes thaïlandais, dénonçaient la présence de membres du PPP sur la grand-place de Sanam Luang, où l’UDD a tenu meeting avant de marcher vers le siège du gouvernement occupé.

Quoi qu’il en soit, vêtus de rouge (contrastant avec le jaune que portent les sympathisants de l’APD), armés généralement de barres de fer et de bâtons, et pour certains de machettes longues comme le bras, ils ont surgi près du pont Makkhawan, l’un des points d’accès au camp des manifestants. Ces derniers, opérant de façon quasi militaire, avec des donneurs d’ordres munis de porte-voix, des tireurs placés sur les flancs pour décocher des billes de terre cuite avec de petites arbalètes ou des lance-pierres, et surtout des troupes très motivées obéissant au doigt et à l’œil, n’ont laissé aux « rouges » aucune chance d’avancer. C’est dans ces circonstances qu’un membre de l’UDD, pris à partie par plusieurs « jaunes », a péri, battu à mort. La police s’est finalement interposée, quand l’armée est arrivée sur les lieux.

Mardi 2 septembre, M. Samak a décrété l’état d’urgence, qui permettait notamment, pour trois mois, d’interdire tout rassemblement de plus de cinq personnes, d’empêcher la diffusion de programmes radiotélévisés jugés subversifs et de barrer l’accès à certains lieux. Il a immédiatement été utilisé, non contre les manifestants rassemblés autour du siège du gouvernement, mais contre les activistes et les syndicalistes. Des membres de l’APD avaient en effet bloqué plusieurs routes et trains, trois aéroports (Phuket, Krabi et Hat Yai), puis le port de Bangkok. Mais, contrairement aux espérances de M. Sawit, la grève du mercredi 3 dans les entreprises d’Etat a en partie échoué, n’opérant que des coupures ponctuelles et localisées de l’eau et de l’électricité : « Les soldats sont intervenus sur certains sites, expliquait M. Sawit. Ils ont aussi inquiété notre base, en faisant valoir que les actions illégales pourraient entraîner des sanctions et des réactions imprévisibles. Le général Anupong Paochinda [qui dispose des pouvoirs les plus étendus depuis l’instauration de l’état d’urgence] a demandé à nous rencontrer ; nous avons refusé, car il ne nous a pas donné de raison précise. Nous [les principaux responsables de la State Enterprises Worker’s Relation Confederation] continuons le travail de sensibilisation. Nos membres n’ont pas encore l’habitude de se mobiliser pour des raisons politiques. Généralement, nous nous battons pour du court terme, une hausse salariale par exemple. »

Est-ce que certaines divisions entre les membres des syndicats ne seraient pas aussi dues à des divergences de classes, ou à une nostalgie de l’« effet Thaksin » ? « Nous sommes dans une période spéciale. Cela doit vous sembler étrange que les syndicats de travailleurs se mobilisent au côté de la classe moyenne ; parfois, cela me semble étrange aussi ! Cela ne durera peut-être pas. Mais il y a une telle urgence, une telle nécessité de réformer le système dans son ensemble pour sortir de la corruption généralisée, que nous n’avons pas le choix. »

Cette faible mobilisation n’a pas profité à M. Samak. D’autant qu’il essuyait coup sur coup la demande de dissolution de son parti par les cinq membres de la commission électorale, en raison de fraudes avérées lors des législatives de décembre (la Cour constitutionnelle devrait se prononcer en octobre), et la démission de son ministre des affaires étrangères, M. Tej Bunnag, une personnalité respectée de la scène politique thaïlandaise. Obstiné, il répétait qu’il ne quitterait pas son poste, et proposait la tenue (guère réaliste) d’un référendum pour sortir du blocage. La tension semblait devoir remonter avec l’entrée en scène aux cotés de l’APD de nombreux étudiants.

Mais le 9 septembre, deux ans après l’éviction de M. Thaksin Shinawatra – par un coup d’Etat militaire, une « tragédie » aux yeux de beaucoup –, l’histoire se répétait, en « farce » : M. Samak était à son tour écarté du pouvoir – destitué par la Cour constitutionnelle pour avoir perçu de l’argent d’une entreprise privée… en l’occurrence, avoir animé une émission de cuisine à la télévision ! Certains membres du PPP ont allégué la relative innocuité du motif pour pousser M. Samak à être candidat à sa succession, ce que la Constitution n’interdisait pas. Mais, le matin de la session parlementaire, M. Samak a été lâché par un tiers des membres de son parti et par les cinq formations minoritaires de la coalition gouvernementale. L’ancien premier ministre jetait alors l’éponge, à la plus grande joie des partisans de l’APD, qui exigeaient sa démission depuis plus de cent dix jours.

Déstabilisation du pouvoir
Trois facteurs auront fragilisé M. Samak. Primo, l’armée lui aura par trois fois refusé son soutien. Le général Anupong avait pris ses distances avec M. Samak dès l’occupation du siège du gouvernement (lire « Anupong shows that he’s the boss », par Avudh Panananda, The Nation, 30 août 2008). Puis, après l’instauration de l’état d’urgence, il a tenu à en atténuer la portée, en n’ordonnant ni couvre-feu ni dispersion des rassemblements - il a aussi indiqué que les militaires n’agiraient pas contre les manifestants : « A mon avis, c’est le Parlement qui a le devoir de démêler cette crise. (...) Si les militaires devaient entreprendre quelque chose, nous choisirions le côté du peuple et n’utiliserions pas la force ou la violence contre le peuple. » Les mains de la police étaient ainsi liées par une armée toujours susceptible de revenir sur le devant de la scène (lire « Gen Anupong’s role in Samak’s crisis », par Wassana Nanuam, Bangkok Post, 4 septembre 2008). Enfin, jeudi 11 septembre, le général Anupong donnait le coup de pied de l’âne en précisant qu’il était favorable à un gouvernement d’union nationale – soit la proposition défendue par l’opposition.

Secundo, l’état d’urgence mécontentait les hommes d’affaires et déstabilisait l’économie d’un pays déjà touché par la crise mondiale – un pays où les investissements directs étrangers (IDE) ne se montaient plus qu’à 2,95 milliards de dollars pour le premier trimestre 2008 (contre 4,17 milliards pour la même période l’année précédente), où la Bourse a perdu 24 % depuis le début des manifestations, fin mai, et où le baht est à son plus bas niveau depuis un an. Les professionnels du tourisme (un secteur-clé de la richesse nationale) voyaient avec inquiétude une vingtaine de pays (dont la France) déconseiller à leurs ressortissants de se rendre en Thaïlande et chiffraient déjà les pertes en centaines de millions d’euros…

Tertio, alors que des manifestants occupaient, de façon très humiliante, le siège de son gouvernement, pénalisant le travail de son administration, le premier ministre ne se ralliait pas le pouvoir judiciaire. Il avait certes obtenu, mercredi 27, que la cour criminelle délivre des mandats d’arrêt contre neuf des principaux dirigeants de l’APD ; mais l’ordonnance n’avait pas été suivie d’effet. De plus, la justice n’avait pas émis d’ordre d’expulsion à l’encontre des manifestants. Plusieurs sénateurs et juristes s’élevaient contre les demandes gouvernementales, notamment contre l’accusation de « trahison », qui rend les meneurs des manifestants passibles de... la peine de mort. Quant à l’état d’urgence, il n’empêchait aucunement, dans les faits, les rassemblements de se tenir. La destitution finale de M. Samak par la justice prend ainsi valeur de symbole, et augure mal des futurs procès que celui-ci doit encore affronter (le prochain, le 25 septembre, pourrait lui valoir une condamnation à deux ans d’emprisonnement).

A ces trois facteurs s’ajoute le fait que l’APD, si elle n’a pas balayé le gouvernement en quelques jours comme elle l’espérait, remporte une victoire logistique et tactique, puisqu’elle parvient à retenir, jour après jour, ses sympathisants en leur assurant ravitaillement et informations (par le biais de la chaîne ASTV, propriété de M. Sondhi Limthongkul, l’un de ses cinq dirigeants, et par celui des intervenants qui se relaient sans interruption sur la scène centrale), et qu’elle semble indélogeable par la force, sauf à provoquer un bain de sang. Quiconque passe un peu de temps avec le service de sécurité – et avec toute personne de l’Alliance – se convainc de sa détermination et de son efficacité, déconcertant mélange de bouddhisme militant et de discipline militaire.

Le PPP apparaît donc affaibli. Pourtant, il n’a pas, loin s’en faut, perdu la confiance de toute la population. Si la personnalité de M. Samak faisait moins rêver que celle de son prédécesseur, M. Thaksin, dont il a repris les orientations et un temps tenté de préparer le retour, il savait user de ses talents d’orateur pour composer, par le canal de médias acquis à son gouvernement, un personnage public proche du peuple, particulièrement des paysans du Nord et du Nord-Est qui constituent le gros de son électorat, et même des classe défavorisées de Bangkok. Le PPP, en effet, reprend les politiques qui font hurler la classe moyenne thaïlandaise : couverture des dettes des paysans, octroi de microcrédits, assistance médicale à très bas prix pour tous, par exemple. L’APD n’y voit que « clientélisme » et « populisme ». S’il est probable que les affairistes qui gouvernent le pays n’ont cure, moralement, de la valetaille qui leur octroie ses voix, la myopie de l’Alliance quant aux bénéfices réels que ces mesures entraînent pour la population sidère. L’analyste Pravit Rojanaphruk le lui reprochait par exemple ainsi, le vendredi 5 septembre, dans le quotidien anglophone The Nation : « Est-ce que les pauvres, urbains ou ruraux, qui forment le plus grand nombre des votants doivent revenir aux temps féodaux et accepter les règles d’un petit groupe satisfait de lui et soi-disant bienveillant ? (...) Si l’APD se fait le champion de ce gouvernement de quelques-uns – qui pourrait facilement dégénérer en un gouvernement des élites d’entre les élites –, alors il n’existe aucune place réelle, électorale ou politique, pour ces pauvres, urbains ou ruraux, dans le projet de “nouvelle politique” [expression qui condense le programme, vague, de l’Alliance] (...). Le drame actuel [le conflit gouvernement-APD] n’est rien d’autre qu’une lutte des classes entre deux groupes d’élites opposés. »

Une mosaïque hétéroclite
L’APD est souvent présentée comme une mosaïque paradoxale de royalistes, de syndicalistes et de représentants de la société civile. Leur détestation de M. Thaksin et de M. Samak, qui les rassemble, provient en bonne partie du sentiment, politiquement peu fécond, d’avoir été grugés. M. Chamlong Srimuang, l’un des cinq dirigeants de l’APD, a été le mentor de M. Thaksin dans les années 1990 ; M. Sondhi, propriétaire de la chaîne ASTV, a fait des affaires avec l’ancien premier ministre (sur le background de l’Alliance, lire « Le PAD, un mouvement hétéroclite et anti-démocratique », par Arnaud Dubus, Radio France Internationale, 27 août 2008). Selon eux, l’immense fortune du magnat des télécommunications devait le tenir à l’écart de la corruption, endémique en Thaïlande. C’est le contraire qui s’est produit : M. Thaksin en a rajouté dans le lien quasi mafieux entre le politique et l’économique. Les mêmes disent à présent vouloir démanteler jusqu’à la racine le « système Thaksin », qui gangrène le processus démocratique. Mais ils mettent en avant ce qu’ils qualifient de valeurs éthiques, tels les principes du bouddhisme theravada, la confiance dans l’éducation et une foi inébranlable en la « Thaïlande éternelle », royaliste, fortement stratifiée socialement, voire militariste et nationaliste. Un cocktail qui peut devenir explosif, comme quand il s’agit de savoir à qui appartient le temple de Preah Vihar (disputé depuis des siècles entre la Thaïlande et le Cambodge), ou imbuvable, comme lorsque la chaîne ASTV (lire « Free media amplifies Thai protests », Asia Times Online, par Marwaan Macan-Markar, 6 septembre 2008) distille des informations à la limite de la propagande.

Les propositions politiques de l’APD soulèvent des réticences au sein de la « communauté internationale », notamment parce qu’elles mettent en question le système électoral. « Nous appelons à aller au-delà du système parlementaire, autrement dit la “démocratie des quatre secondes” [celles du vote], autrement dit le culte qui consiste à utiliser les élections pour tout régler. Le pouvoir des représentants sera réduit, tandis que le rôle et le pouvoir du peuple sera accru », écrivait fin juin M. Suriyasai Katasila, porte-parole de l’APD, sans préciser comment… Et d’ajouter : « Personne ne peut nier que la démocratie représentative ou parlementaire a été ridiculisée de par le monde, limitée et rendue incapable de faire face aux crises mondiales où le capital diabolique contrôle tout. Le mouvement international et mondial de développement démocratique a donc commencé à se pencher sur une réforme du système démocratique, pour y renforcer la participation du peuple. » (Pour le texte intégral et une critique, voir « Suriyasai’s “New Politics of the PAD challenge” and a critique », Pratachai.com, 3 juillet 2008.) Concrètement, l’Alliance souhaite limiter, au nom de la lutte contre le clientélisme et la corruption, le nombre de sénateurs et de parlementaires ; une proportion importante de ceux-ci (au moins la moitié) serait non plus élue, mais désignée (sans qu’on sache par qui) parmi des personnes choisies « pour leur compétence, leur moralité et leur discernement » (voir par exemple « Seeking a new political order post-Samak », par Nattaya Chetchotiros, Bangkok Post, 4 septembre 2008). Tollé général, puisqu’il s’agit rien moins que d’ôter du pouvoir au peuple dans son ensemble pour le transférer vers le « peuple » éduqué – et sur quels critères ?

Ce recul démocratique ne choque pas toutes les oreilles thaïlandaises. Le prestige de la royauté et celui du bouddhisme theravada, considérables, font passer chez certains l’idée qu’une bonne gouvernance venue d’en haut peut réguler de façon harmonieuse la société. Des classes moyennes de Bangkok sont donc prêtes à échanger le « plat de lentilles » que constitue, pour elles, le droit de vote, contre le rêve d’une refondation de la société, plus morale, qu’elles dirigeraient. Quelle que soit son issue, ce conflit aggravera donc le clivage entre les classes sociales.

Le positionnement des universitaires, depuis trois semaines, est nuancé. L’argument le plus convaincant contre les méthodes de l’APD, qui pour l’instant flirtent avec la désobéissance civile et qui, à l’avenir, pourraient tourner à l’élitisme, voire à l’autoritarisme, est que l’institution judiciaire thaïlandaise fonctionne mieux que jamais. Après tout, M. Thaksin n’a-t-il pas préféré se dérober à la justice de son pays ? Le PPP n’est-il pas menacé de dissolution pour fraude électorale ? Et, finalement, M. Samak n’a-t-il pas été destitué ? D’autres font valoir que la crise déclenchée par l’APD a ceci de positif que les militaires ne sont pas intervenus, attestant la solidité de la société civile. La démocratie, même en difficulté, même mise en chantier, aurait ainsi atteint une maturité nouvelle dans un pays où les coups d’Etat (le dernier en date n’ayant pas deux ans) règlent généralement les différends politiques.

Plusieurs observateurs, comparant l’action actuelle de l’APD à la campagne victorieuse qu’elle a menée deux ans plus tôt contre M. Thaksin, soulignent que l’Alliance, en dépit de son credo non violent, n’a pas hésité à durcir son engagement en envahissant, par exemple, les studios de la chaîne progouvernementale NBT dès le mardi 26 août ; et en tuant, dans la nuit du 2 septembre. Des liens serrés avec certaines factions de l’armée sont avancés pour l’accuser de chercher l’escalade. Car, derrière l’angélisme, l’indignation sincère et la bonne foi de la plupart des militants de l’APD, les critiques font valoir que les dirigeants de l’Alliance sont de vieux routiers endurcis pas des décennies d’activisme politique, soutenus par des hommes d’affaires soucieux de leurs intérêts, voire par une aristocratie pointilleuse sur ses prérogatives.

L’éviction de M. Samak n’est en tout cas, pour eux, qu’un préambule, et ils annoncent qu’ils refuseront un premier ministre issu des rangs du PPP, lors de l’élection du mercredi 16 septembre. Ce même jour, la Cour suprême devrait rendre son verdict dans l’affaire de corruption pour laquelle M. Thaksin, qui risque treize ans d’emprisonnement, s’est enfui au Royaume-Uni, le mois dernier. Sa condamnation, probable, et la demande d’extradition qui s’ensuivrait apporteraient de l’eau au moulin de l’APD. Une question plane, en filigrane : l’armée, renforcée par l’autorité dont fait preuve le général Anupong, restera-t-elle dans l’ombre ? Tous les observateurs soulignent qu’elle peut siffler la fin de la partie à n’importe quel moment, par exemple à la demande « muette » du roi Bhumibol Adulyadej. Installé dans sa résidence de Hua Hin, station balnéaire sur le golfe de Thaïlande, il est, depuis le début de la crise, demeuré en retrait.

Xavier Monthéard

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