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Probo Koala

Malgré la convention de Bâle, l’Afrique reste un dépotoir

par Jean-Christophe Servant, 22 octobre 2008

A la fin des années 80, une série de scandales – de la plage de Koko Beach au Nigeria à l’île équato-guinéenne d’Annobon – révélés par la presse locale et relayés par les médias internationaux mettait cruellement en lumière la considération que le monde occidental portait pour l’Afrique. Le continent noir était devenu la poubelle du monde riche. Alors que l’Europe se mettait à l’écologie, ses résidus chimiques, remugles hospitaliers, et autres déchets toxiques, sous-traités par des commanditaires souvent liés à la mafia italienne, se retrouvaient débarqués dans les décharges ouest-africaines avec le consentement d’intermédiaires locaux liés aux dictatures alors en place. « Même les gouvernements les plus pauvres, même les gouvernements les plus corrompus avaient alors fini par prendre conscience du danger que faisait courir le stockage définitif, sans retraitement, de dizaines de millions de tonnes de métaux lourds, d’acides, de solvants usagés, de cyanure et de pesticides », rappelait alors le défunt géographe Albert Didier Ogoulat, de l’université de Libreville (Gabon).

De cette prise de conscience naquit la convention de Bâle (1) suivie par d’autres traités, tels que pour l’Afrique celui de Bamako (2). L’Union Européenne, ainsi que 168 autres nations ont depuis entériné la convention de Bale. Organisé en l’absence de ses principaux maîtres d’œuvre, le procès tronqué qui vient de se dérouler à Abidjan autour de l’affaire du Probo Koala – dont le déversement de la cargaison de déchets pétrochimiques dans un quartier populaire de la capitale économique ivoirienne avait causé la mort d’au moins 16 personnes et l’intoxication de milliers d’autres – atteste malheureusement que l’on continue à violer les lois internationales. Et que sans doute, expliquait dès 2006 l’estonien Stavros Dimas, alors commissaire européen à l’environnement, le Probo Koala « n’est que la partie émergée de l’iceberg ».

L’actualité Africaine ne cesse en effet de rappeler cette triste évidence. Sur les plus de 100 millions de tonnes de déchets toxiques qui seraient produits chaque année, estiment les experts en environnement, 10% seraient ainsi exportés, souvent au mépris des lois internationales, et en partie à destination du continent africain. Pour l’allemand Andreas Bernstorff, spécialiste de ce trafic et à qui l’on doit un rapport détaillé commis au début de ce siècle pour l’association Greenpeace (3)) le continent abriterait près 80 sites recélant parmi les déchets les plus néfastes de la planète. Dans le Golfe de Guinée, l’ile d’Annobon, ou selon une enquête du Spiegel publiée le 28 aout 2006 , des déchets radio-actifs auraient pu être enfouis, reste fermée aux enquêteurs et journalistes. Il est vrai que c’est un territoire equato-guinéen, l’une des dictatures les plus féroces du continent.

Les récentes revendications des pirates somaliens contrôlant le navire ukrainien MV Faina – et sa cargaison de tanks et de matériel militaire destiné au gouvernement soudanais – qui continue à caboter, sous la surveillance de navires américains et français, au large du Puntland, rappelle aussi comment le business des déchets toxiques peut contribuer, tout autant que les diamants du sang, à financer une guerre civile. Citant un porte parole des flibustiers, la chaîne Al Jazeera (4) révèle ainsi que leur demande d’une rançon de 8 millions de dollars serait une façon de réagir « aux déchets toxiques qui ont été continuellement déversés sur les rivages de notre pays depuis 20 ans ». Le Tsunami de 2004, et son onde de choc ressentie jusqu’à l’Afrique de l’est, avait de fait révélé d’étranges épaves drossées sur les rivages du non-Etat somalien. Des containers de matières toxiques, entre autre immortalisés par le photographe français Pascal Maître. Déchets uranifères ; Plomb ; Cadmium ; Mercure. Monnayés 2,50 dollars la tonne (contre 1000 dollars pour être retraités en Europe), ces cargaisons ou l’on retrouverait à nouveau la présence de la mafia italienne, auraient non seulement contribué à financer certains chefs de guerre durant la longue guerre civile somalienne, mais affecté durablement le quotidien de milliers de personnes vivant sur les côtes. Or il semble aujourd’hui, malgré ou cause de la dangerosité de la mer baignant la Corne de l’Afrique, que ce trafic se poursuive au su et au vu de la flotte internationale chargée de parer à la piraterie maritime.

Moins spectaculaire, mais tout aussi inquiétant et emblématique des manières dont les lois internationales continuent à être contournées et bafouées, l’e-waste – le matériel électronique obsolète – menace aujourd’hui la santé des habitants les plus pauvres des mégapoles anglophones d’Afrique de l’ouest. Selon les Nations Unies, 20 à 50 millions de tonnes d’e-waste sont produits annuellement. Officiellement, l’OCDE s’est engagée à ce que ces déchets ne soient plus exportés à destination des pays émergents. En Europe, une écotaxe est aujourd’hui destinée à financer une filière de collecte des appareils en fin de vie. Pour autant, ce ce sont plus de 6 millions de tonnes qui continuent à disparaître dans les pays en voie de développement. Et après les marchés de la Chine et de l’Inde, c’est au tour de Lagos (au Nigeria) et d’Accra (au Ghana) de subir les conséquences de la quête permanente des consommateurs du Nord pour le matériel dernier cri. Alors que nous achetons téléviseurs à écrans plats, téléphones 3G et nouveaux ordinateurs portables, leurs ancêtres, à l’instar des voitures d’occasion, sont l’objet d’un juteux trafic à destination des consommateurs des pays du Sud. Un trafic, qui, s’il fait le bonheur de la nouvelle classe moyenne africaine, contribue surtout au malheur du petit peuple qui le dépèce dans les décharges sauvages, à la recherche des morceaux d’aluminium, de cuivre et autres composants qui seront revendus au mieux 2 dollars les 5 kilogrammes. Il n’est certes pas interdit d’exporter du matériel d’occasion. Sauf que 3/4 de ces cargaisons sont en fait juste bonne pour la poubelle. Deux récents rapports, celui de Consumers International (5) et de Greenpeace (6) attestent que l’Afrique de l’ouest est en train de devenir un dépotoir en matériel électronique.

L’enquête de Consumers International révèle ainsi que chaque mois, sur les 500 000 ordinateurs usagées qui débarquent au port de Lagos, 75 % d’entre eux finissent dans les décharges, exposant entre autre les enfants qui y travaillent à des substances comme le mercure et à des teneurs en plomb cent fois supérieures aux normes tolérées. Avec à terme autant de conséquences sur le système reproductif que nerveux. Dans celle de Greenpeace, des commerçants Ghanéens reconnaissent que pour obtenir une cargaison de quelques ordinateurs en état de marche, ils sont obligés d’accepter le restant : écrans, téléviseurs et ordinateurs hors d’usage , allant de Philips à Nokia, de Dell à Microsoft, de Siemens à Sony, arrivés d’Allemagne, de Suisse, de Corée ou des Pays Bas, et exportés sous la fausse appellation « d’occasion ».

Au Procés du Probo Koala, la cour d’assises d’Abidjan a condamné à 20 et 5 ans de prison deux des lampistes ivoiriens… Pour l’affréteur du navire, la multinationale Trafigura, et Puma Energy, sa filiale locale, les affaires continuent.

Jean-Christophe Servant

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