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Ben S’mim, la source de la colère

Une exposition retrace à Paris la révolte de la population du petit village marocain de Ben S’mim, proche d’Ifrane, ville qui accueille l’une des résidences royales. Une révolte emblématique pour le Maroc, mais aussi pour de nombreux pays du Sud. Le droit à la vie de toute une communauté villageoise a été mis en péril par la privatisation de l’eau dans sa forme la plus brutale : la confiscation de l’eau d’une source pour… la mettre en bouteilles !

par Marc Laimé, 7 novembre 2008

Le Maroc est d’ores et déjà en état de stress hydrique, l’eau s’y raréfie. Les précipitations deviennent irrégulières avec le changement climatique. Et 80 à 85 % des ressources disponibles sont utilisées pour les exportations agricoles. A cela s’ajoute un déséquilibre prononcé entre les villes et le milieu rural laissé pour compte.

Au Maroc aussi, la gestion déléguée à des entreprises transnationales a conduit à une augmentation des tarifs de l’eau et de l’électricité, qui a provoqué des manifestations à l’automne 2006, et qui s’est retrouvée au cœur des manifestations de 2007 contre la vie chère. L’eau y suscite des convoitises conduisant à la privatisation des sources. Certaines le sont depuis l’époque coloniale, d’autres sont désormais menacées en catimini.

Comptant 3500 habitants, le village de Ben S’mim est situé à 200 kilomètres de Rabat et 70 kilomètres de Fès. En 1999, l’Euro-africaine des eaux, société écran qui dissimule des intérêts marocains, commence à s’intéresser à la source du village. En 2001, un contrat est signé pour 30 ans avec l’Etat, qui possède 60 % de la source, le reste appartenant à la collectivité locale et religieuse du village. Il prévoit le démarrage des travaux en 2004 et un prélèvement de 3 litres/seconde sur la source. Le projet semble s’enliser.

En 2006 la population se mobilise, une première pétition est lancée. En 2007, l’entrepreneur contre-attaque et parvient à signer un protocole d’accord avec huit représentants des villageois. Mais les réticences demeurent très fortes et l’entreprise préfère laisser passer les élections législatives du 7 septembre 2007.

Le 10 septembre, les premières machines de terrassement sont installées sur les 3 hectares alloués par l’Etat, sous la protection d’un important dispositif de gendarmerie. Le 13 septembre, la population se mobilise et marche sur la source. 7 personnes sont arrêtées, 3 seront relâchées dans les heures qui suivent et 4 emprisonnées jusqu’au 17 octobre, qui sont toujours sous la menace de poursuites judiciaires.

Le village est encerclé par les forces de l’ordre, les deux routes d’accès sont fermées avec interdiction de sortir sous peine d’arrestation. L’électricité est coupée tous les soirs en pleine période de ramadan pour empêcher les villageois de se réunir. L’état de siège durera jusqu’au 6 octobre. Bilan : plusieurs fausses couches dues à l’impossibilité d’accéder à un hôpital, des blessés dont un vieillard sérieusement molesté.

A l’initiative de Medhi Lahlou, professeur d’économie à l’Institut national de statistiques et d’économie appliquée de Rabat, engagé de longue date dans les luttes démocratiques dans son pays, la mobilisation s’organise. Il a participé à la création de la Coalition mondiale contre la privatisation et la marchandisation de l’eau, puis au Forum alternatif maghrébin de l’eau. Il est à l’origine de la création de l’Association marocaine pour un contrat mondial de l’eau (ACME-Maroc), fondée en juin 2006.

Une déclaration commune de l’Association marocaine pour les droits de l’homme, d’ATTAC-Maroc, de l’Association pour la préservation des deniers publics et de l’ACME-Maroc est rendue publique le 4 octobre 2007. Le Parti socialiste unifié apporte son soutien à la population. Un collectif de dix avocats est constitué pour venir en aide aux villageois poursuivis. Outre ceux qui ont été arrêtés, les pouvoirs publics menacent une vingtaine de jeunes de poursuites pour manifestation illégale. Depuis lors la mobilisation ne faiblit pas et a dépassé les frontières du Maroc.

Une exposition au Pavillon de l’eau

La source de la colère

Une exposition de Jean-Claude Oliva (textes) et Jérômine Derigny (photos) retrace, à Paris, la lutte exemplaire des villageois de Ben S’mim.

« Qui dit privatisation, dit paupérisation, cela coule de source », déclarent les chorfas (nobles) du village.

La raréfaction de l’eau est déjà une réalité dans la région et dans la vie quotidienne des villageois de Ben S’mim. Le réchauffement climatique y est à l’œuvre. La mondialisation aussi : les habitants de Ben S’mim sont déjà des laissés pour compte du développement, va-t-on maintenant les contraindre à l’exode rural, voire à l’émigration ? Les choix agricoles sont en question : assécher les lacs pour exporter des fruits sur le marché européen, ou économiser et partager l’eau entre tous pour vivre ici ?

« Sans eau, la vie peut s’arrêter », crie une jeune mère.

Au Pavillon de l’eau, 77, avenue de Versailles, 75016 Paris. (Tél : 01-42-24-54-02. www.pavillondeleau.fr.)

Lire aussi :

Ben S’mim, une bataille de l’eau qui s’éternise dans le Moyen Atlas marocain

Waternunc, 23 janvier 2009.

Marc Laimé

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