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Afghanistan-Pakistan, « mission impénétrable »

par Alain Gresh, 23 février 2009

Dans une libre opinion publiée par le site du International Herald Tribune le 18 février, « Mission impenetrable », William Pfaff s’interroge sur les objectifs de la nouvelle administration américaine dans la région.

« Que pensons-nous que nous faisons en Afghanistan et au Pakistan ? Sommes-nous là-bas pour libéraliser leurs formes de pratiques religieuses, ou pour mener une guerre au sujet de la théologie, ou pour prendre le contrôle permanent de l’Afghanistan (ou du Pakistan) et établir là-bas des bases permanentes de l’OTAN, comme beaucoup d’Afghans le croient ? Ou sommes-nous à la recherche d’Oussama Ben Laden et de ses principaux collaborateurs afin de les traduire en justice pour les attaques du 11-Septembre contre les tours du World Trade Center à New York et contre le Pentagone à Washington ?

Il semble que nous faisions tout cela à la fois, mais pourquoi ? Il est important que la nouvelle administration Obama réponde de manière précise. Clairement, nous voulons Ben Laden, mais il est également clair, sur la base de l’expérience sur place comme en Irak, qu’ajouter 40 000 soldats aux 40 000 déjà sur place et aux forces de l’OTAN, ne donne aucune assurance que nous pourrons capturer le chef d’Al-Qaida.

(...)

Est-ce que nous voulons écraser les croyances religieuses des talibans et libéraliser l’islam ? Envoyer des hommes de religion, des réformateurs sociaux et des universitaires féministes pour tenir des séminaires ? Voulons-nous imposer avec les armes une nouvelle Inquisition de facture américaine ? »

Après avoir rappelé un des derniers épisodes au cours duquel l’aviation américaine a tué une quinzaine de civils afghans – des « erreurs » que l’OTAN et les Etats-Unis annoncent régulièrement qu’ils veulent éliminer (lire « Quand la mort vient du ciel) » –, il ajoute :

« Comme ceux qui connaissent le mieux la région le reconnaissent en majorité, cette guerre entre les Etats-Unis et les talibans a provoqué, depuis l’invasion américaine de l’Afghanistan, une insurrection de type religieux et nationaliste parmi les Pachtouns, le plus important groupe tribal en Asie centrale. On estime leur nombre à 40 millions de personnes fortement soudées par des liens tribaux.

La dernière question que je voudrais poser est de savoir si c’est sur cette voie que Barack Obama et son administration veulent réellement engager le peuple américain dans les quatre prochaines années. »

Ces inquiétudes sont aussi exprimées par le journaliste britannique Patrick Seale, « Obama and the AFPAK Trap » » (Obama et le piège de l’Afghanistan-Pakistan, 21 février).

« Selon des sources à Washington, l’instinct d’Obama le pousse à déclarer la fin de la guerre globale contre le terrorisme proclamée par George W. Bush. Il serait prêt à s’engager dans un dialogue avec les ennemis des Etats-Unis – aussi bien en Iran qu’en Afghanistan –, plutôt que d’essayer de les soumettre par la force militaire, ce qui en Afghanistan est un objectif sans espoir. On parle beaucoup à Washington de tracer une ligne de séparation entre les talibans modérés et Al-Qaida. Le mouvement des talibans est sûrement profondément divisé, avec plus d’une douzaine de commandants ayant en charge chacun une région. Mais, comme ils sentent que l’évolution sur le terrain leur est favorable, ils ne sont pas pressés de discuter avec les Etats-Unis. Le seul sujet sur lequel ils sont prêts à parler est le retrait des Occidentaux.

Peut-être parce qu’il a passé son enfance en Indonésie et parce qu’il est “mélangé racialement”, Obama est mieux à même que ses prédécesseurs de comprendre la manière fervente dont les tribus pachtouns sont attachées à leur indépendance et à leurs traditions. S’il doit y avoir une réconciliation, sans même parler de paix, cela doit être respecté. Il serait plus sage de mettre l’accent sur la reconstruction et la création d’institutions que sur les opérations de combat.

Certains au moins des conseillers d’Obama lui diront que, pour gagner les coeurs et les esprits, les populations dans les zones de guerre doivent être protégées, pas bombardées et tuées en grand nombre par des tirs de missiles à partir des drones de la CIA – comme cela arrive malheureusement encore.

En un mot, les Etats-Unis et leurs alliés n’auront pas d’autre option que se retirer d’Afghanistan. Ils doivent chercher une stratégie de sortie et le plus tôt sera le mieux. »

Dans ces conditions, quel peut être le rôle de l’Europe et notamment de la France ? La décision de celle-ci de réintégrer le commandement militaire intégré de l’OTAN, au moment même où des pressions s’exercent pour que les différents pays membres accroissent leurs effectifs en Afghanistan, est inquiétante. La seule stratégie est une stratégie de sortie, comme l’explique Patrick Seale. Si les Etats-Unis ne la mettent pas en œuvre, il faudra que l’armée française se retire.

Une claque à l’Egypte ?

La décision du gouvernement israélien de rejeter la proposition de cessez-le-feu à Gaza et de lier celui-ci à la libération du soldat Gilad Shalit a suscité nombre de réactions défavorables, y compris de Bernard Kouchner, le ministre français des affaires étrangères (« French FM : No reason to link Shalit deal with Gaza crossings » », Barak Ravid et Jack Khoury, Haaretz, 21 février). Mais c’est sûrement la claque à l’Egypte qui attire le plus l’attention. Sur son blog, Checkpoint Jerusalem, Dion Nissenbaum, correspondant de McClatchy Newspapers à Jérusalem, écrit un article sur le bilan de la guerre israélienne contre Gaza, « Did Israel deter Hamas in Gaza ? » (20 février). Il cite Amos Gilad, l’envoyé spécial d’Olmert auprès de l’Egypte, qui a conduit les négociations indirectes avec le Hamas :

« Je ne comprends pas ce qu’ils (les dirigeants israéliens) sont en train de faire. Insulter les Egyptiens ? Nous les avons déjà insultés. C’est de la folie. De la folie simple. L’Egypte est restée presque notre dernier allié ici. Pourquoi ? Après tout, cela nuit à notre sécurité nationale. Notre choix est entre des mauvais choix, et des choix plus mauvais encore. Les Egyptiens ont fait preuve d’un incroyable courage. Ils nous ont donné un marge de manœuvre, ils tentent de négocier, il font preuve d’une bonne volonté qu’ils n’ont jamais eue avant. Sur le terrain cela veut dire que l’on a obtenu 60 % et pas 100 % (de ce qu’on voulait). Alors qu’allons-nous faire ? Moubarak a été juste et courageux : le point de passage de Rafah est fermé, le Hamas subit un siège. Qu’est-ce que nous pensons ? qu’ils travaillent pour nous ? Qu’ils sont une unité qui nous est soumise ? Nous parlons d’un pays de 85 millions d’habitants, un pays qui nous a pratiquement détruit en 1948 et qui nous a porté un coup sérieux en 1973. Regardez ce qui se passe dans la région, la lave bout, tout se soulève. Ils ont aussi les Frères musulmans, regardez la Jordanie, la Turquie. Voulons-nous perdre tout cela ? »

Est-ce cette claque qui a amené l’Egypte, dimanche 22 février, à ouvrir pour trois jours le terminal de Rafah (« L’Egypte autorise des centaines de personnes dans la Bande de Gaza à franchir la frontière, selon un porte-parole ») ?

Exactions du Hamas

Dans un article publié dans Le Monde des 22-23 février (et qui n’est pas sur le site du journal), intitulé « Règlements de comptes, violences : sous la coupe du Hamas, Gaza vit dans la crainte », Michel Bôle-Richard publie des témoignages sur les pressions, les intimidations et les exécutions auxquels sont soumis des militants du Fatah, et parfois même leur famille. Ces témoignages rejoignent ceux d’organisations palestiniennes. Ainsi, le Independent Commission for Human Rights (ICHR) demande dans un communiqué l’arrêt des exécutions extrajudiciaires : « ICHR Demands to Halt Extra-Judicial Killings and Attacks on Citizens in the Gaza Strip ».

Pour se défendre, un porte-parole du Hamas, Taher Al-Nounou, déclare à Michel Bôle-Richard qu’il fallait « prendre en compte les actions de la résistance pour se protéger des collaborateurs en temps de guerre ».

Ces informations appellent deux remarques :

 Les conditions de guerre et la présence avérée de collaborateurs durant l’agression israélienne de Gaza doivent bien sûr être prises en compte ;

 les témoignages indiquent néanmoins que ce type d’exactions était déjà opéré par le Hamas avant l’agression et qu’elles ont continué après.

Et aussi plusieurs réflexions :

 Les pratiques de ce type ont été inaugurées par l’Autorité palestinienne en Cisjordanie et elles doivent être aussi condamnées ; on compte plusieurs centaines de prisonniers politiques du Hamas dans les prisons de l’Autorité ;

 ces pratiques des deux côtés sont dommageables parce qu’elles rendent plus difficiles toute réconciliation palestinienne ;

 elles sont surtout dommageables pour l’avenir car elles entérinent des comportements qui risquent de perdurer même après l’indépendance de la Palestine. Ainsi, certaines pratiques du Front de libération nationale (FLN) algérien durant la guerre de libération, justifiées par les conditions de la guerre, ont pesé sur la construction du nouvel Etat et continuent à jouer un rôle négatif aujourd’hui.

Alain Gresh

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