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Dialogue interculturel à Jaipur

par Wendy Kristianasen, 24 février 2009

Par notre envoyée spéciale

Le quatrième festival de littérature de Jaipur, consacré à la diversité culturelle et au dialogue transculturel et interreligieux, est devenu l’un des plus grands événements culturel de l’Asie du Sud. Cette année, il a réuni cent soixante-sept écrivains – auteurs de renommée internationale et jeunes talents – ainsi que des personnalités du spectacle originaires de Chine, Australie, Malaisie, Afrique du Sud, Mali, Sierra Leone, Algérie, Etats-Unis, Royaume-Uni, Pakistan et Bangladesh. Les derniers événements de Bombay, qui ont ravivé les tensions entre l’Inde et le Pakistan, ont donné à cet événement une forte tonalité politique, notamment chez les intellectuels.

De nombreux écrivains pakistanais qui redoutaient de se voir refuser leur visa ont pu finalement prendre part au festival. Un nombre important de Pakistanais ont également participé activement aux débats ouverts au public.

La présence de nombreux artistes et écrivains d’origine mixte, dont le jeune Pakistanais Daniyal Mueenudin, a facilité le dialogue interculturel sous toutes ses formes. Après avoir longtemps résidé aux Etats-Unis et en Norvège, cet écrivain vit aujourd’hui entre le Pakistan et Le Caire. Son premier recueil de nouvelles, In Other Rooms, Other Wonders, a été publié à la fois à Londres (Bloomsbury) et à New Delhi (Random House India).

Ce mariage des cultures s’est aussi exprimé lors des concerts. « Au lendemain des tragiques événements de Bombay, nous avons voulu offrir des spectacles de musique traditionnelle sacrée pour favoriser un dialogue entre religions et cultures. Après les horreurs de Bombay et les attentats terroristes musulmans contre des hindous et des juifs, il nous a paru essentiel de promouvoir et d’encourager ce dialogue en Inde. Des musiciens musulmans du Rajasthan ont joué un premier soir, des bauls hindous du Bengale un second. Le musicien turc Kudsi Erguner et l’Américain Coleman Barkes ont célébré le soufisme pluraliste et tolérant de Rumi en jouant du ney [instrument de la tradition musicale soufie] et en lisant de la poésie. Un griot musulman du Mali a accompagné à la kora des chanteurs de dhrupad hindous de Benares. Pour terminer, un concert judéo-musulman pour la paix a réuni la poétesse palestino-new yorkaise Suheir Hammad, le chanteur de qawali indo-israélien Shye Ben Tzur et ses musiciens hindous et musulmans, ainsi que le groupe de rock soufi pakistanais Junoon », raconte William Dalrymple, le co-directeur du festival (avec Namita Gokhale).

Cinéma, musique, littérature et politique

« Le cinéma, la musique et la littérature procurent aux Asiatiques du Sud une identité, du bonheur et le sentiment de normalité dont ils ont tant besoin, a, de son côté, expliqué le chanteur Salman Ahmed du groupe Junoon. C’est pour cette raison que les fanatiques détestent ces arts. Brider les artistes, c’est permettre aux fanatiques et aux va-t-en-guerre de triompher. L’artiste doit être aussi intraitable dans sa quête de l’harmonie culturelle que le terroriste dans sa volonté de la détruire. »

Si cette démarche a effectivement inspiré le festival, la politique était également à l’ordre du jour : l’historien de l’art Simon Schama a autant parlé de politique américaine – la nouvelle ère Barack Obama – que d’art. Le spécialiste des questions politiques et régionales de l’Asie du Sud Christophe Jaffrelot a débattu du nationalisme. Un groupe d’experts a comparé les fondamentalismes chrétien, hindou et musulman. L’écrivain et diplomate indien Shashi Tharoor a analysé l’impact des transformations économiques, politiques et sociales dans l’Inde émergente. Des écrivains ont partagé leur vision de certains mouvements insurrectionnels (Népal  (1), les Naxalites (2)) dans leurs œuvres de fiction et leurs essais. L’écrivain d’origine chinoise Lijia Zhang a parlé de socialisme, autour de son livre Socialism is great ! (Atlas and Co, New York, 2008). Trois intervenants ont animé un débat public très vif sur le Cachemire, etc.

Le festival littéraire de Jaipur a pour particularité d’être libre d’accès et ouvert à tous. De nombreux écoliers ont écouté les débats, assis sur la pelouse. Le public a participé à des discussions et s’est entretenu directement avec les écrivains. Tous les participants ont fait la queue pour se restaurer, y compris l’acteur vedette, producteur et présentateur de télévision Amitabh Bachchan (toujours entouré d’une nuée d’admirateurs) ou le romancier à succès Vikram Seth.

Le festival s’est déroulé dans le majestueux Durbar Hall de Jaipur et dans les jardins du Diggi Palace, où deux grandes tentes ont été plantées et où diverses activités ont été proposées : sessions de sanskrit ou de dialectes locaux, traditions orales, lecture de l’épopée hindoue Le Mahabharata (dont les premières éditions ont été illustrées par des musulmans), écrivains de la diaspora… Des auteurs de récits de voyages très respectés – dont Dalrymple, Colin Thubron et Paco Iyer – ont transporté le public vers des contrées lointaines. Dans les jardins, l’écrivain Vikas Swarup a expliqué comment son roman Les Fabuleuses Aventures d’un indien malchanceux qui devint milliardaire a été adapté au cinéma. Si l’ancien diplomate a gardé ses distances avec la version cinématographique de son œuvre, il a avoué que le succès de Slumdog Millionaire ne l’avait pas dérangé…

Wendy Kristianasen

(1Lire « De la guérilla à la démocratie au Népal », par Marie Lecomte-Tilouine, Le Monde diplomatique, mai 2008.

(2Lire « En Inde, expansion de la guérilla naxalite », par Cédric Gouverneur, Le Monde diplomatique, décembre 2007.

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