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Le Hezbollah et l’assassinat de Rafic Hariri

par Alain Gresh, 26 mai 2009

La dépêche de l’AFP est tombée le samedi 23 mai à 19 h 23, sous le titre « Assassinat Hariri : l’enquête désignerait le Hezbollah comme responsable (presse) ». Le Journal du dimanche titrait, le 24 mai : « Rafic Hariri : le Hezbollah accusé ». Libération du 25 mai publiait sur trois colonnes un article signé du service étranger et titré « Le Hezbollah, cerveau de l’assassinat d’Hariri ». Un surtitre précisait toutefois : « Selon Der Spiegel, le parti chiite serait impliqué » ; moins prudent, le site de ce journal titrait, lui : « Meurtre d’Hariri au Liban : l’enquête pointerait le Hezbollah ». Enfin, LeMonde.fr titrait le 24 mai : « Assassinat de Hariri : troublantes accusations contre le Hezbollah ». L’article n’était pas signé. En revanche, l’édition papier datée du 26 mai ne signale même pas la nouvelle. Quant à l’International Herald Tribune du 25 mai, il ne consacre qu’une brève à cette information.

Rappelons aussi, ce que tout le monde semble oublier, Le Figaro aussi, c’est que ce quotidien avait déjà proféré la même accusation il y a plusieurs années, sous la plume de Georges Malbrunot. Ainsi, l’article intitulé « L’ombre du Hezbollah sur l’assassinat de Hariri », publié le 15 octobre 2007. C’est exactement sous le même titre que Malbrunot avait publié un autre texte dans Le Figaro, le 19 août 2006, au lendemain de la victoire du Hezbollah dans sa guerre avec Israël. Que Le Figaro du 24 mai 2009, qui reprend l’information sur l’implication du Hezbollah, ne fasse même pas référence aux articles de son correspondant en dit long sur la crédibilité à accorder à ce qu’écrit ce dernier...

Tous les articles de ce week-end sont, si l’on peut dire, inattaquables. Ils emploient tous le conditionnel ou renvoient à l’article du Spiegel dont sont tirées ces informations. Les médias pourront se défendre : le Hezbollah est « accusé » d’avoir commis l’attentat, mais cela ne veut pas dire qu’il soit coupable... L’enquête le « désignerait », mais on n’en est évidemment pas sûr... Et pourtant, bien que ne reposant sur aucun fait vérifiable, ces articles créent un climat, une « atmosphère » qui désigne bien un coupable.

C’est l’hebdomadaire allemand Der Spiegel, très favorable à Israël, qui a donné la nouvelle. On trouvera le texte de l’article en anglais sur le site du journal, sous le titre « New Evidence Points to Hezbollah in Hariri Murder », sous la signature d’Erich Follath. Le chapeau résume l’article : « Le tribunal spécial des Nations unies chargé de l’enquête sur l’assassinat de l’ancien premier ministre Rafic Hariri est arrivé à d’étonnantes conclusions — qu’il garde secrètes. Selon des informations obtenues par le Spiegel, les enquêteurs croient maintenant que le Hezbollah est derrière le meurtre de Hariri. »

Evidemment, les sources sont anonymes. Et qu’importe que les porte-parole du tribunal aient démenti l’information. Le Hezbollah a aussi, bien évidemment, nié avec la plus grande fermeté, comme le rapporte l’article du quotidien anglophone The Daily Star du 25 mai : « Hizbullah dismisses Spiegel allegations as ’fabrications’ ». La journaliste Dalila Mahdawi reprend une déclaration de Walid Joumblat qui met également en doute ces rumeurs.

Evidemment, nous ne sommes pas dans le secret des rois, encore moins dans celui des journalistes bien introduits dans les services de renseignement occidentaux.

Pourtant, on peut rappeler, à l’instar de Joshua Landis sur son blog SyriaComment (« Spiegel article Probably a Plant », 23 mai) quelques arguments simples à l’encontre de cette thèse :

 La date de la publication, à quelque jours des élections générales du 7 juin dans lesquelles, même si tout le monde prévoit un scrutin très serré, le Hezbollah et son allié le Courant patriotique libre du général Aoun sont donnés gagnants (cet argument est repris par Zvi Bare’el, dans le quotidien israélien Haaretz du 24 mai, sous le titre « How will ’revelation’ on Hariri impact Lebanon vote ? »).

 L’équipe du tribunal international a été très prudente durant les derniers mois à ne pas politiser son travail ; il est peu probable qu’elle ait fait fuiter quoi que ce soit (elle a d’ailleurs démenti les informations) ;

 Hassan Nasrallah n’a jamais fait assassiner des personnalités qui s’opposaient à lui ;

 Les accusations contre la Syrie en 2005 et 2006 ont été proférées en s’appuyant sur des faux témoins ; pourquoi faudrait-il croire celles contre le Hezbollah ?

Pour les autres arguments, on pourra se reporter au texte de Landis.

Notons que toutes ces accusations sont à replacer dans le contexte à la fois des élections et de l’arrestation de dizaines d’agents libanais liés à Israël.

Le 22 mai, le vice-président américain Joe Biden a fait escale au Liban, où il a affirmé que les Etats-Unis détermineraient leur programme d’aide au pays selon « la composition et la politique du gouvernement » issu des législatives du 7 juin prochain, ce que le Hezbollah et d’autres ont dénoncé comme une ingérence directe dans les affaires intérieures du pays. D’autre part, le quotidien Al-Hayat publie le 22 mai un commentaire de sa correspondante Randah Taqiy-al-Din sur la rencontre à Paris entre le sous-secrétaire d’Etat américain Jeffrey Feltman et des officiels français, le 20 mai. Selon la journaliste, toujours bien informée, « les Français ont expliqué que la France avait des amis au Liban mais n’appuyait pas un camp contre l’autre, alors que les Etats-Unis ont une approche différente parce qu’ils ont peur que le 8 mars [c’est-à-dire le Hezbollah et Aoun] gagne les élections ».

Sur le rôle des chrétiens et du Courant patriotique libre du général Aoun, notamment dans les élections à venir du 7 juin, on pourra lire l’article de Nicolas Dot-Pouillard, « Révolution chez les chrétiens du Liban », dans Le Monde diplomatique de juin (disponible en kiosques dès mercredi 27 mai).

Enfin, sur le démantèlement du réseau d’espions israéliens (plus d’une vingtaine de personnes arrêtées et le coup le plus rude porté aux services israéliens dans la pays depuis des décennies), on lira, entre autres, « Le Liban fait la chasse aux espions israéliens », par Sibylle Rizk, Le Figaro, 28 février, et « Spies’ Roots Reach Deep in Lebanon », par Robert F. Worth, New York Times, 22 mai. Le principal accusé est Ziyad Homsi, maire adjoint et membre du Courant du futur de Saad Hariri.

Alain Gresh

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