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Japon-USA : la base de trop

La remise en cause de l’accord sur les bases militaires : c’est sur ce terrain ultra-sensible que le gouvernement de centre-gauche du premier ministre japonais Hatoyama a choisi de tester sa crédibilité face au « parrain » américain. Washington le pressait de confirmer, avant la venue ce vendredi dans l’archipel du président Barack Obama, son intention d’appliquer un accord conclu en 2006 sur le déménagement d’une base de l’US Air Force. Le premier ministre, invoquant l’hostilité de la population de l’île d’Okinawa, avait annoncé — en marge d’une visite du secrétaire à la Défense, Robert Gates, fin octobre — qu’il ne trancherait pas avant d’en débattre directement, sur place au Japon, avec le président Obama lui-même.

par Philippe Leymarie, 13 novembre 2009

Dès son arrivée au pouvoir, en septembre, le premier ministre Yatoyama avait souhaité revoir l’accord sur le redéploiement d’une partie des quarante sept mille soldats américains stationnés au Japon — accord conclu par son prédécesseur conservateur. Plus de la moitié de ces soldats sont stationnés à Okinawa, la grande île au sud de l’archipel, qui abrite les trois quarts des bases US (1).

Le gouvernement souhaiterait reloger dans une autre partie du Japon la base d’hélicoptères Futenma, située à proximité de la ville de ville Ginowan : source de danger et de nuisances pour la population, elle devait de toute façon — en vertu de l’accord de 2006 — être transférée d’ici 2014 dans une baie plus isolée d’Okinawa.

Dimanche 9 novembre, à quelques jours de l’arrivée du président américain, plus de vingt milles personnes ont à nouveau manifesté pour demander un déplacement de la base dans une autre île de l’archipel. Un sondage effectué récemment par les quotidiens Mainichi (national) et Ryukyo Shimpo (local) indique que 70 % des personnes interrogées à Okinawa souhaitent que la base de Futenma soit évacuée de l’île ou du Japon.

Payer l’occupant

Les opposants aux bases invitent le gouvernement japonais à « braver » l’exécutif américain, après cinquante ans de soumission. Yukio Yatoyama, avait promis lors de la campagne pour les élections législatives du 30 août dernier, à la veille de mettre fin à un demi-siècle de domination du parti libéral-conservateur, que plus une seule base étrangère ne devait subsister à Okinawa.

Mais l’équipe du premier ministre semble divisée ; et les Américains — qui ne manquent pas de moyens de pression — chercheront à éviter une remise en cause de l’accord de redéploiement de 2006, valable en principe jusqu’en 2014, qui prévoyait l’évacuation de 8 000 marines vers l’atoll américain de Guam et le transfert de la base de Futenma.

Géostratégie du Japon
Carte de Philippe Rekacewicz

En vertu de cet accord jugé « léonin » par la gauche, le Japon doit prendre en charge les deux tiers (6 milliards de dollars) des frais de déménagement, consacrés en partie à la construction de nouveaux cantonnements… en territoire américain – ce qui scandalise une part de l’opinion nippone, qui s’estime contrainte de « payer » pour de « débarrasser de l’occupant ».

Selon le sous-secrétaire américain à la Défense de l’époque (2006), le plan de redéploiement dans son ensemble devrait coûter en fait plus de 25 milliards de dollars à l’Etat japonais, si on y inclut les sommes que ce pays va devoir dépenser pour moderniser ses propres forces armées (avec notamment le développement d’une capacité antimissile, destinée à contrer la menace nord-coréenne).

Prisonniers dans leur tête

Les Etats-Unis assurent la défense du Japon depuis sa défaite, à la fin de la seconde guerre mondiale. Mais le premier ministre Hatoyama – qui doit donner des gages d’indépendance, s’il veut satisfaire son électorat — souhaiterait, à quelques mois du cinquantième anniversaire de l’alliance, rediscuter de l’ensemble des questions de défense entre son pays et Washington. « C’est la première fois que le Japon se rebelle contre les Etats-Unis depuis plusieurs décennies », a relevé l’analyste politique Minoru Morita, auteur du livre Guérir le Japon de sa dépendance à l’Amérique, cité par l’AFP. « Mais les Japonais ne sont pas indépendants dans leur tête, et si l’Amérique sent que l’administration Hatoyama est faible, elle va devenir encore plus agressive et imposer ses exigences », a-t-il averti.

Le président Obama est partisan également de la modernisation de ce cadre de sécurité trop bilatéral, défini durant les années de « guerre froide ». Il a l’occasion de développer ses idées au cours d’une tournée asiatique qui le mènera ensuite à Singapour, en Chine et en Corée sud. De même qu’il a prévu, à propos de l’engagement en Afghanistan, de consulter ceux de ses partenaires qui lui ont apporté des contributions « robustes », soit sur le plan financier, comme le Japon, ou sur celui des effectifs, comme la Corée du Sud (qui vient d’annoncer un renfort de 300 hommes). Le Japon, en revanche, compte mettre fin en janvier prochain à sa mission civilo-militaire de ravitaillement en pétrole des flottes occidentales impliquées dans le soutien de la guerre en Afghanistan.

Il n’est pas question pour autant de renoncer aux relations privilégiées qu’entretiennent Tokyo et Washington. Pour l’amiral Mike Mullen, le chef d’état-major américain, qui prenait contact le mois dernier avec les nouvelles autorités japonaises, « la relation Japon-Usa est vitale, sur le plan bilatéral. C’est une région vitale dans le monde. Je passe une grande part de mon temps dans ce Pacifique en pleine croissance, avec un accent particulier sur nos relations avec cette région. Nous voyons comment renforcer nos liens, notamment en matière d’anti-piraterie ou de défense anti-missile ».

Le président Obama, tout juste après avoir posé lepied sur le sol nippon, a assuré que les Etats-Unis avaient l’intention de renforcer leur présence et leurs liens de sécurité avec les Etats du Pacifique et d’Asie, considérés comme des partenaires désormais majeurs. Mais, pour un responsable du Département d’Etat américain, cité par le Washington Post, « le dossier le plus difficile aujourd’hui n’est pas la Chine, mais le Japon » pour l’administration Obama.

Philippe Leymarie

(1Bien qu’en voie de diminution, notamment en Europe, le dispositif militaire américain à l’extérieur comprend encore environ 700 implantations, avec plus de 300 000 soldats expatriés, dont 140 000 au sein des corps expéditionnaires au Moyen-Orient (Irak, Afghanistan, Koweit), 90 000 stationnés depuis plus d’un demi-siècle en Asie-Pacifique (Japon, Corée), 18 000 à bord des navires de guerre, etc.

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