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Apocalypse, année zéro ?

L’agenda sur le nucléaire militaire a rarement été aussi chargé que cette année. Trois rapports, trois sommets, un nouveau traité sur la limitation des arsenaux américain et russe (START), la révision du Traité de non-prolifération (TNP), les initiatives de l’Iran ou de la Corée du Nord et les répliques de la « communauté internationale », les premiers pas du nouveau patron de l’Agence internationale de l’Energie atomique (AIEA)...

par Philippe Leymarie, 4 janvier 2010

«Le nucléaire rend sage » : la formule est du général Gallois, un des pères de la dissuasion française. Est-ce la raison pour laquelle un faisceau d’initiatives, cette année, devraient converger pour tenter de réorganiser ce secteur ? La première salve sera tirée fin janvier, avec la publication presque parallèle d’un rapport sur la nouvelle politique de dissuasion nucléaire russe, et d’un autre issu de la Nuclear review américaine. Le président Barack Obama a en outre programmé un rendez-vous sur le désarmement en avril, un an après son discours de Prague, où il avait défendu l’idée d’un monde sans armement nucléaire. Et l’organisation des Nations unies a convoqué pour mai, à New York, une réunion internationale pour passer au crible le TNP

Entretemps, les promoteurs de l’initiative « Global Zero », lancée fin 2008 par une centaine de personnalités politiques et militaires russes et américaines, auront tenté, lors d’un sommet à Paris en ce début d’année 2010, de défendre leur plan, qui vise à l’élimination totale des armes nucléaires en quatre étapes, sur vingt ans : il prendrait appui sur le nouveau Strategic Arms Reduction Treaty (START 2) – en cours de négociation entre Russes et Américains (lesquels concentrent à eux seuls 95 % des moyens nucléaires militaires mondiaux) ; mais il préconise d’en élargir les engagements.

Sous surveillance

Dans l’esprit de ses concepteurs, cette initiative aurait un double effet : consolider dans un premier temps le Traité de non-prolifération, mis à mal par la dangereuse chevauchée des « cavaliers de l’Apocalypse » du moment – Iran, Israël, Pakistan, Corée du Nord – et les ambitions de plusieurs pays (dont des détenteurs actuels de l’arme nucléaire, comme la Chine) ; et inciter progressivement l’ensemble des pays à s’engager sur la voie du désarmement.

Global Zero a publié ces derniers mois un sondage mené dans vingt et un pays par le Program on International Policy Attitudes (PIPA), de l’Université du Maryland, où il était bien précisé que tous les pays seraient surveillés, pour vérifier qu’ils appliquent l’accord de désarmement. Dans les cinq pays disposant d’importants arsenaux nucléaires, une large majorité se serait déclarée en faveur de ce plan d’action – Russie (69%), Etats-Unis (77%), Chine (83%), France (86%) et Grande-Bretagne (81%). Dans les pays qui n’ont pas d’armes nucléaires, des majorités de même ampleur se seraient dégagées – ce qui est moins étonnant.

Vide stratégique

Global Zero affirme avoir notamment le soutien d’une pléiade d’anciens décideurs politiques et militaires, comme l’ambassadeur Richard Burt, ancien négociateur en chef américain dans les discussions stratégiques sur la réduction des armes ; Jack Sheehan, général en retraite, ex-commandant en chef du Commandement US Atlantic ; Lawrence Eagleburger, ancien secrétaire d’Etat américain ; Franck Carlucci, ancien secrétaire américain à la défense ; le Dr Anthony Lane, ancien conseiller américain à la sécurité nationale ; Alexander Bessmertnykh, ancien ministre russe des Affaires étrangères ; Yevgeny Maslin, général en retraite, ancien directeur au ministère russe de la défense ; le Dr Evgeny Velikhov, président de l’Institut Kurchatov, etc. L’association revendique au total le soutien de neuf anciens chefs d’Etat ; huit anciens ministres des affaires étrangères (américains, russes, britanniques ou indiens) ; trois anciens ministres de la défense (anglais et américains) ; six anciens conseillers à la sécurité nationale (Russie, Inde, Pakistan), et dix-neuf anciens commandants militaires (américains, chinois, anglais, indiens et pakistanais).

Cette initiative est cependant accueillie souvent avec un certain scepticisme : il n’y aurait « pas de relation de cause à effet entre l’intention d’éliminer toutes les armes et la prévention de la prolifération »  (1). Global Zero compte beaucoup sur le soutien, au moins politique, du président américain, mais l’attitude de Barack Obama paraît contradictoire, lorsqu’il affirme « vouloir prendre des initiatives concrètes en vue d’un monde sans armes nucléaires », mais défend le « maintien d’un arsenal sûr et efficace pour empêcher un quelconque adversaire d’agir (2) ». En outre, si la dissuasion nucléaire américaine venait à perdre de sa crédibilité, d’autres pays pourraient tenter d’occuper aussitôt tout ou partie du « vide » stratégique ainsi ouvert ...

Périmètre nucléaire

Depuis décembre dernier, le traité START 1 sur la réduction des armements stratégiques est arrivé à expiration. Signé en 1991 entre les Etats-Unis et l’Union soviétique, il prévoyait une réduction par ces deux puissances de leurs arsenaux nucléaires respectifs à moins de 6 000 ogives et moins de 1 600 vecteurs (3). START 1 aura permis la réduction d’un tiers des arsenaux nucléaires. Mais, malgré six mois de discussions à Genève entre les experts des deux pays, l’accord sur un nouveau traité START 2 – souhaité par les deux parties, et qui prévoit de réduire leurs arsenaux respectifs à un effectif de 1 500 à 1 675 ogives opérationnelles, et de 500 à 1 000 vecteurs – n’a pu être bouclé en temps utile, ouvrant une période de transition.

En dépit d’une relative extension du périmètre nucléaire – cinq Etats en étaient officiellement dotés lors de la signature du TNP, ils sont neuf aujourd’hui, et cinq autres sont en mesure de rejoindre ce « club » –, la politique de dissuasion a plutôt réussi, les Etats s’étant servi jusqu’ici de l’arme nucléaire comme arme de défense et non d’attaque. « Ce raisonnement, relève un rapport parlementaire français, vaut pour les armes nucléaires produites, stockées et maintenues par des Etats capables de maîtriser des processus complexes : mise au point et construction d’unités d’enrichissement d’uranium, fission, miniaturisation, balistique … Il vaut moins pour les autres armes de destruction massive (ADM), dont les techniques de fabrication sont moins complexes, et dont il est difficile de toujours identifier les détenteurs, qui pourraient le cas échéant être autres que des Etats (4). »

La cote du bio

Les auteurs de ce rapport ont listé les « avantages » techniques des ADM chimiques et biologiques, du point de vue de leurs manipulateurs :

— minimum d’outillage et d’espace, et temps court, pour la fabrication ; faible coût financier ;
— facilité de camouflage (un appartement, une cave …) ;
— inutilité d’essais préalables (indispensables pour le nucléaire) ;
— vaste palette de diffusion ( aliments, liquides, vapeur ou aérosol, contact humain direct...) ;
— nature horrible des effets, génératrice de panique et de désordre social ;
— difficulté de détection ;
— laps de temps entre la libération de l’agent biologique ou chimique, et la perception de ses effets (qui permet la fuite des auteurs) ;
— choix de cible plus souple et précis que dans le cas du nucléaire, etc.

Mais les attentats cybernétiques sont d’un usage plus commode encore, car « un moyen rapide, peu coûteux et dépourvu de risque pour désorganiser les sociétés modernes » : selon ce rapport parlementaire, la France serait mal préparée à ce type de guerre, en dépit d’initiatives récentes.

Les députés concluent, sur un mode rassurant en terme de sécurité, que « la dissuasion relève des Etats, et que les terroristes n’ont pas accès aux armes de destruction massive », mais relèvent que l’actuel engouement pour les centrales nucléaires – 439 réacteurs en service dans 31 pays, 240 en projet – peut constituer un risque de prolifération, le nucléaire étant – comme par exemple l’aéronautique – une technologie « duale », susceptible de passer rapidement d’un usage civil à une application militaire...

Philippe Leymarie

(1Rapport sur « les développements en cours en matière de non-prolifération et de désarmement nucléaires », présenté en décembre 2009 devant l’Assemblée européenne de sécurité et de défense, à Paris.

(2Discours place Hradcany, à Prague, le 5 avril 2009.

(3Un accord complémentaire signé à Moscou et 2002 (connu sous le nom de « Traité de Moscou ») envisageait une nouvelle réduction du nombre d’ogives entre 1 700 et 2 200 pour décembre 2012.

(4Jean-Michel Boucheron, Jacques Myard, « Les enjeux géostratégiques des proliférations », Rapport d’information n° 2085, Assemblée nationale, décembre 2009.

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