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Un rêve d’Europ Aid

Le séisme à Haïti a suscité une mobilisation internationale plus rapide et massive qu’à l’ordinaire. La plupart des initiatives sont menées dans un cadre bilatéral, plus prompt et efficace, et avec l’emploi de moyens professionnels militaires ou de sécurité civile, en liaison avec des ONG spécialisées dans le secours d’urgence. L’Union européenne, qui a activé pour l’occasion son système de gestion de crise, ne possède toujours pas de centre permanent de secours en cas de catastrophe.

par Philippe Leymarie, 15 janvier 2010

Parmi les premiers gestes, l’envoi :
 par la Belgique, à bord d’un Airbus A330 de l’armée de l’air, d’une équipe « B-Fast » (intervention rapide en cas de catastrophe) ;
 par la France,par avion, de près de 300 sapeurs-pompiers et sauveteurs de la Sécurité civile, ainsi que des gendarmes, depuis l’Hexagone ou depuis la Martinique proche de Haïti, deux navires de la marine nationale faisant route vers l’ile ;
 par l’Italie, d’un poste médical et chirurgical avancé, ainsi qu’une équipe de secours et de recherche urbaine dite « Pisarte » (équipe d’intervention d’urgence de Pise), élément d’un programme européen en cours de mise au point, dont ce sera le premier déploiement réel ;
 la Suède a offert un poste médical avancé, l’Espagne plusieurs avions de vivres, le Portugal une équipe de sauveteurs comme la Grande-Bretagne, l’Allemagne de l’argent, etc. ;
 Médecins sans frontières, Télécom sans frontières, Caritas, le CICR (1) ont été parmi les premières ONG à réagir.

Mais ces initiatives européennes ne sont qu’une partie des aides qui convergent actuellement vers Haïti, en grande majorité américaines, que l’Organisation des Nations unies – avec l’ancien président Bill Clinton, comme représentant spécial – tentera de coordonner. Le danger, comme l’ont montré certaines mobilisations désordonnées de ces dernières années, est de transformer les secours en une seconde catastrophe : c’est ce qui menaçait déjà ces jours-ci l’aéroport de Port-au-Prince...

Effet désastreux

Lors du tsunami du 26 décembre 2004, en Asie, Michel Barnier, alors ministre français des Affaires étrangères et chargé d’une mission de coordination européenne, constatait sur place l’arrivée d’avions sans coordination, l’improvisation dans l’urgence avec perte de temps, l’argent dépensé à tort et à travers… et, accessoirement, l’absence de visibilité de l’Union européenne en tant que telle, etc. Politiquement, l’effet était désastreux : se porter au secours d’un Etat ou d’une communauté en difficulté est un geste humanitaire apprécié à la fois des populations et des gouvernants, mais également une manifestation de puissance, un acte diplomatique, susceptible d’avoir des retombées importantes. En revanche, une absence se remarque fortement...

En mai 2006, dans un rapport à la Commission de l’UE où il présentait son projet d’une force européenne de protection civile baptisée « EuropAid » (PDF), Michel Barnier constatait qu’il y a « juxtaposition des interventions d’urgence » dans les divers pays européens. Son expérience, en tant que ministre de l’environnement et de la prévention des risques naturels, puis de commissaire européen lors des séismes en Turquie et en Grèce, par exemple, avait consisté en conciliabules entre capitales, sur le mode du « Qu’est-ce qu’on fait ? », débouchant le plus souvent sur des : « Rien ! »

Les feux de forêt en Italie et en Grèce avaient été mieux gérés. Dès les premières quarante-huit heures, neuf pays de l’Union européenne avaient contribué aux secours en Grèce, en août 2007, avec plus de trente-cinq aéronefs spécialisés. Ils étaient coordonnés, à partir de la commission européenne à Bruxelles, par une cellule légère mais opérationnelle 24 heures sur 24. Depuis, un dispositif informel de mutualisation des moyens aériens anti-feu a été mis en place, à l’initiative des pays disposant des flottes les plus importantes (France, Grèce, Espagne).

En août 2008, suite aux affrontements en Géorgie, l’Union européenne avait activé à nouveau ce « mécanisme de veille et de coordination sécurité civile » (MIC), avec notamment une participation française et autrichienne, et celle de plusieurs pays d’Europe de l’Est, pour fournir et acheminer en urgence tentes, matériels de couchage, réservoirs d’eau, fournitures médicales, etc. Le MIC avait été mobilisé à dix-sept reprises en 2007, et pour vingt catastrophes en 2008, en parallèle – pour ne pas dire en concurrence – avec le Centre euro-atlantique de coordination des réactions en cas de catastrophes (EADRCC), qui a participé à une cinquantaine d’opérations au profit des pays membres ou partenaires de l’OTAN, depuis sa création en 1998.

Réponse en amont

Mais, alors que l’Union européenne a multiplié ces dernières années les missions d’interposition militaire et de rétablissement de l’état de droit, ou encore purement humanitaires, elle souffre de l’absence d’un système permanent de sécurité ou de protection civile à l’échelle du continent. Un rapport commun du Haut-Représentant et de la Commission européenne identifiait en mars 2008 sept menaces liées aux conséquences du changement climatique (conflits à propos des ressources, risques pour les villes côtières, migrations, etc.).

Et début 2009, Javier Solana formulait trois recommandations : une analyse plus approfondie des conséquences sur la sécurité au niveau régional ; une intégration de ces analyses dans les mécanismes d’alerte rapide ; et une intensification du dialogue mené avec les pays tiers et d’autres organisations (notamment l’Union africaine). Mais, faute d’une décision politique, l’Union européenne ne dispose d’aucune structure dédiée à la dimension sécurité du changement climatique (2).

Les « douze propositions » de Michel Barnier pour la création d’une force européenne de protection civile s’appuyaient déjà sur la conviction que ces changements climatiques, amplifiés par les pollutions d’origine humaine, déclenchent des phénomènes de plus en plus nombreux et dangereux. Et que, sur quarante catastrophes depuis quinze ans, dix-huit avaient touché plus ou moins directement l’Europe – il s’agissait là d’évènements de type supranational, en face desquels un pays ne peut agir seul : tsunami ou séismes terrestres, pandémies, grandes inondations ou incendies, catastrophes maritimes, accidents dans l’industrie chimique ou nucléaire, voire – dans un genre moins accidentel – un « 11 septembre européen »…

Pour faire face à la crise, la clé est d’avoir su préparer la réponse en amont : le rapport suggérait qu’un centre opérationnel de veille et de réponse aux crises soit installé aux côtés du Central d’opérations militaires de l’Union européenne, et soit relié aux réseaux mondiaux d’alerte et d’observation. Ce centre réagirait en fonction des scénarios, plans et protocoles établis pour chaque type de crise.

Selon Michel Barnier, cette activité devrait respecter un principe de double subsidiarité : celle de l’Organisation des Nations unies, celle de la compétence des Etats-membres ou des régions constituées. Sous l’autorité du conseil des ministres de l’Union, la Commission recenserait les moyens offerts par les pays-membres, qui seraient affectés en fonction des types d’incidents, des zones géographiques, des spécialités techniques de chaque pays, etc.

Cette mise en commun des matériels et des hommes aboutirait à la création de fait d’une force européenne non pas « fédérale », mais « mutualisée », construite sous le label « Europaid », à partir de moyens prépositionnés. Elle pourrait être constituée, si besoin est, sur le mode de la « coopération renforcée », à l’image des militaires ou des sapeurs-pompiers du Sud européen – pour échapper à la pesanteur institutionnelle de « l’Union à 27 ». Un Conseil de sécurité civile pourrait prendre les décisions nécessaires dans un délai de quelques heures…

Etat-major civil

Si « l’Europ Aid » de Michel Barnier n’a pas été retenu, les esprits évoluent à Bruxelles. La crise financière a incité les Etats à modérer leurs ambitions nationales, dans ce domaine de la protection ou de la défense civiles comme en d’autres. En outre, le Traité de Lisbonne, en vigueur depuis quelques mois, élargit le champ des « coopérations renforcées », qui permettent à un groupe limité d’Etats ayant les capacités nécessaires de mettre leurs moyens en commun, et d’en faire profiter les autres pays de l’UE qui le souhaitent. Ceci ouvre la voie aux processus de mutualisation de certains moyens matériels ou unités spécialisées.

Depuis dix-huit mois, un nouveau et premier directeur de la « Capacité civile de planification et de conduite » (CCPC) a été nommé : il gère, dans un style « état-major », les opérations civiles menées par l’UE dans le cadre de dispositifs de pacification et de reconstruction à la suite de crises politico-militaires, mais également les conséquences de catastrophes.

Le général Henri Bentegeat, qui vient de présider le comité militaire de l’UE durant trois ans, souhaite d’ailleurs la mise en place d’un centre de commandement civilo-militaire à Bruxelles, qui amalgamerait les deux volets de la politique de sécurité et de défense (PESD), et gérerait la participation européenne aux crises de toutes sortes de manière permanente. Actuellement, dans le militaire comme dans le civil, ces structures européennes de commandement doivent être « activées » à chaque occasion... puis désarmées.

Philippe Leymarie

(1Comité international de la Croix-Rouge.

(2Revue Défense, septembre-octobre 2009.

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