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Les cauchemars d’Alain Besançon, membre de l’Institut

par Alain Gresh, 2 février 2010

Slimane Zeghidour, journaliste à TV5-Monde, qui tient l’excellent blog Deus Ex Machina, « la géopolitique des religions au fil de l’actualité », me signale cet article d’Alain Besançon, publié dans la revue Commentaires, et que reproduit le site Polémia, un site qui semble proche des thèses très à droite du Club de l’Horloge d’Alain de Benoist. C’est un compte-rendu du livre de Christopher Caldwell, Reflections on the Revolution in Europe : Immigration, Islam and the West.

« Le vrai sens du livre, écrit Besançon, est donné par son sous-titre, “Can Europe be the same with different people in it ? – L’Europe peut-elle rester la même avec en son sein des peuples différents ?” Caldwell est à ma connaissance le premier à poser la question dans toute son étendue et dans toute sa complexité. Est-ce parce qu’il a le courage d’ouvrir un dossier que les Européens s’efforcent de tenir fermé depuis des dizaines d’années, bien que sans l’ouvrir, ils en sachent déjà parfaitement le contenu ? Le livre devrait faire scandale. Mais parce qu’il détruit des clichés imposés, auxquels personne ne croit plus, et parce qu’il porte au jour des pensées qu’on n’ose plus formuler publiquement, il est possible qu’il soit enterré dans une fosse profonde entourée d’une palissade. On verra s’il est bientôt traduit. »

Une des figures de la rhétorique islamophobe est de prétendre qu’il y a des choses que l’on ne peut pas dire sur l’islam. Il suffit pourtant de se promener dans une librairie ou de consulter les Une des hebdomadaires pour vérifier que « ce qu’on ne peut pas dire » occupe une large place dans nos livres et nos médias.

(...) « L’Europe doit faire face à deux problèmes qui sont distincts bien qu’ils se recouvrent partiellement et qu’on les confondent souvent volontairement, pour ne pas en prendre conscience. Le premier est celui de la capacité de l’Europe à assimiler les immigrants, le second est celui de la difficulté qu’elle rencontre avec l’islam. »

(...)

« Pendant de nombreux siècles, en Europe, l’islam avait été ressenti, avant tout examen, comme l’ennemi inconditionnel. Cet instinct immémorial, qui dispensait de le connaître, avait été documenté et justifié au XIX siècle par les premiers savants islamistes, qui à l’instar de Renan le tenaient en peu d’estime. Le fanatisme qu’on lui attribuait n’était pourtant pas perçu comme un danger, bien moins en fait que le fanatisme religieux que l’Europe avait nourri en elle-même et que les Lumières continuaient de redouter. L’islam était extérieur et au loin. »

« Mais il ne l’est plus. Il y a probablement plus de 20 millions de musulmans installés en Europe, 5 en France, 4 en Allemagne, 2 en Angleterre. Ils approchent de la majorité à Amsterdam et Rotterdam, à Marseille, à Duisbourg et Cologne, dans maintes villes anglaises. Leur taux de fécondité est supérieur. En Autriche, par exemple, il est de 2,34 contre 1,31 pour les catholiques et 0,82 pour ceux qui se déclarent sans religion. A Bruxelles, où 57 % des nouveaux-nés sont musulmans, les sept premiers prénoms qui sont donnés aux garçons sont Mohamed, Adam, Rayan, Ayoub, Mehdi, Amine et Hamza (en 2006). Dans certaines banlieues, il forme une société parallèle, autoségréguée, créant des espaces pour la Charia, construisant des mosquées, capable même de “désassimiler” ceux qui avaient auparavant progressé dans l’“assimilation”. Ces faits méritent d’autant plus d’attention que le jus soli à la française est plus ou moins adopté en Allemagne, en Espagne, et que de toute façon personne ne pense plus que ces populations pourraient repartir, encore moins être expulsées. »

Remplacez simplement musulmans par juifs et vous retrouvez la propagande des années 1930, la peur de ces immigrés juifs venus d’Europe centrale, avec leurs papillotes et leurs drôles de vêtements...

(...)

« Nous en arrivons à un chapitre qui est, selon moi, décisif, mais le plus délicat à traiter : le rapport entre l’islam et le monde chrétien où il a pris domicile. Sachant que les musulmans restent substantiellement fidèles à leur religion, qu’en est-il des chrétiens qui délaissent la leur à vive allure ? »

Car la vrai crainte de Besançon, catholique intégriste, n’est pas dans la menace que l’islam ferait courir à la laïcité, mais dans sa concurrence avec le christianisme... Dans un colloque organisé du 14 au 16 novembre 2003 à l’occasion du cinquième anniversaire de la Fondation du 2 mars, en collaboration avec Le Figaro Magazine, il définissait l’islam comme « une religion directement antichrétienne » dont le dynamisme conquérant passerait par l’« l’attrait des garçons pour les jeunes Beurettes » (sic !). Le 30 novembre 1996, il évoquait dans l’hebdomadaire de droite extrême Valeurs actuelles « les conversions massives à l’islam » (Ces deux citations sont tirées de mon livre, L’islam, la République et le monde.)

« Cependant, poursuit Besançon, l’Occident semble paralysé. Il reste sous le remords du “racisme” et des interdits qui se sont associés à lui. Le principal est l’“antiracisme”, ce “communisme du XXIe siècle”. La culpabilité occidentale forme un abri sûr pour les musulmans qui se sont mis sous sa protection. »

« Y a-t-il un islam “modéré” ? Mais qui peut proposer une définition d’un islam modéré ? Si, comme beaucoup le pensent, l’islam n’a rien à voir avec le terrorisme, pourquoi, demande Caldwell, aussitôt qu’il y a un attentat terroriste quelque part, tous les gouvernements vont-ils enquêter dans ces milieux ? Je n’ai pas d’opinion sur ce point. » Une manière de dire, en fait, que son opinion est faite...

(...)

« Quel avenir ? Caldwell voit deux modèles possibles. Le premier est celui de la société multi-ethnique, type États-Unis. Il le juge peu plausible. L’autre est celui de l’Empire ottoman avec son système du millet, c’est à dire la formation d’une mosaïque de communautés plus ou moins autonomes, sous le contrôle d’un Etat impérial. Ce dernier modèle est plus vraisemblable. Mais, si l’Empire ottoman a vécu sous le régime du millet à la longue il en est mort, quand les forces centrifuges ont échappé à son contrôle. »

Cette vision apocalyptique est le propre de nombre de publications en France et en Europe et il semble peu douteux que Caldwell trouvera un traducteur.

Mais le plus intéressant est que ce livre appartient à un genre très développé aux Etats-Unis et dans le monde anglo-saxon, dans le prolongement des délires de Bat Ye’or sur Eurabia.

Dans un petit texte clair et incisif, Justin Vaïsse revient dans la revue Esprit (janvier 2010) sur « l’Europe islamisée : réflexion sur un genre littéraire américain ». Le texte est à lire dans son intégralité, je me borne à en reproduire deux paragraphes :

« Or, tout à leurs prédictions alarmistes, les auteurs comme Caldwell ne mettent jamais leur propos en perspective historique, ce qui les conduit à décrire les défis actuels de l’intégration comme “uniques” et insurmontables. Pourtant, l’histoire des pays européens est faite de défis “uniques” à la construction et à l’unité des Etats qui n’étaient pas moins faciles à surmonter – les régionalismes et séparatismes, l’intégration des “classes laborieuses, classes dangereuses” dans le jeu démocratique au XIXe siècle, la lutte des classes (pensons au Front populaire), les luttes idéologiques (fascisme, communisme, etc.), les totalitarismes (Italie, Allemagne, guerre d’Espagne...), etc. Les problèmes bien réels d’intégration économique, sociale et culturelle des populations immigrées récentes et de leurs descendants sont sans nul doute plus ardus que ceux posés par les vagues d’immigration précédentes, mais ils appartiennent au paysage européen depuis une trentaine d’années et ont connu des évolutions multiples – certaines négatives, beaucoup d’autres positives. A en croire les auteurs comme Caldwell, la situation présente est soudain devenue intenable, et le ciel est prêt à nous tomber sur la tête. »

« L’autre omission de taille, chez tous ces auteurs, concerne l’ampleur des discriminations et du racisme. Dans le livre de Caldwell, ces fléaux ne sont presque jamais rappelés. Ce sont bien plutôt les musulmans ou les immigrants qui adoptent des attitudes communautaristes et de repli, ce sont eux qui refusent l’intégration. Pour l’auteur, le fait que certains Européens insistent sur ces questions est une marque de faiblesse reflétant leur sentiment de culpabilité, leur mauvaise conscience tiers-mondiste déplacée, et dont les immigrés et leurs enfants abusent à leur profit. Le problème, c’est que cette omission fausse le tableau de l’intégration : sans les phénomènes de ghettoïsation et de discrimination (à l’emploi, mais aussi au logement, à l’entrée des boîtes de nuit, etc.), les attitudes communautaires, en particulier chez les “seconde génération” – des individus français nés en France – ne sont explicables que par la culture et la religion. On l’a vu plus haut : les violences urbaines de 2005 (comme celles qui surviennent encore régulièrement à plus petite échelle) sont liées à une multiplicité de facteurs. Mais si l’on évacue, comme le fait Caldwell, les discriminations et ce qui leur est en partie lié (chômage massif, éloignement des centres urbains et concentration de populations pauvres issues de l’immigration, rapports difficiles avec la police), il devient beaucoup plus facile de les expliquer par l’islam et des facteurs identitaires. »

Et sa conclusion :

« Il est important de réagir à ce livre, car s’il présente une image fausse des musulmans européens et des sociétés européennes, en particulier de la situation française, il n’en a pas moins le pouvoir d’infléchir de façon significative les perceptions américaines — et européennes — dans un sens néfaste. Il diffuse un message et des présupposés qui sont la négation même du travail lent et difficile qui s’accomplit en Europe, particulièrement en France : l’intégration de citoyens français musulmans, possédant la liberté de culte et les moyens de l’exercer tout en embrassant pleinement les lois et les principes de la République. C’est cette vision que, sur le plan des principes, Caldwell dépeint comme impossible. En cela, il se retrouve finalement dans le même camp que les islamistes, ses ennemis, aux yeux de qui l’on ne peut être à la fois musulman et européen. »

Alain Gresh

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