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La propriété, c’est Google

La propriété intellectuelle est le sujet le plus politique qui soit, dans notre société dite de « l’information ». C’est d’une part une arme économique et stratégique de dissuasion massive. Mais surtout, mise aux mains des juristes et des fiscalistes, et convenablement agencée, c’est un incomparable outil d’évasion fiscale. Pendant ce temps-là, on amuse le bon peuple avec les fameux mails hadopistes.

par Philippe Quéau, 25 novembre 2010

Le Sénat vient d’adopter un projet de « taxe Google » sur les activités en ligne. Le Sénat français m’a en effet tout l’air d’un courageux chevalier blanc, bien décidé à répandre la justice fiscale. On est en droit de douter du résultat. Pour être un peu sérieux, il faudrait s’attaquer à l’harmonisation du droit fiscal européen, et en finir une fois pour toutes avec les paradis fiscaux.

Une étude de Bloomberg explique par exemple comment Google arrive « en toute légalité » à ne payer que 2,4 % d’impôts sur les 12,5 milliards de dollars de bénéfices réalisés en dehors des Etats-Unis.

L’astuce ? Très simple. Google a installé une holding aux Bermudes, qui détient les droits sur ses brevets et sa « propriété intellectuelle »(moteur de recherche, publicité en ligne et marques déposées). Cette holding possède une filiale en Irlande, Google Ireland Ltd, qui contrôle toutes les activités de Google en Europe, au Moyen-Orient et en Afrique.

L’Irlande, ce « tigre celtique » qui fait un peu trop parler de lui en ce moment, a une fiscalité particulièrement avantageuse en matière de propriété intellectuelle. En Irlande, les impôts sur les royalties sont fort minimes lorsque celles-ci doivent être reversées à l’étranger, et à condition que ce soit en Europe, et non dans le Triangle des Bermudes.

Mais ce n’est pas un problème. Google Ireland Ltd reverse donc toutes ces royalties (qui représentent 88% des revenus) à Google Netherlands Holding BV, une coquille vide ne comportant aucun salarié, basée comme son nom l’indique aux Pays-Bas. Puis l’argent repart sur les Bermudes. Apparemment c’est plus facile de là, fiscalement parlant.

Dans cet intéressante affaire on voit plusieurs choses à l’œuvre :

  1. La propriété intellectuelle est utilisée pour maximiser les royalties, échappant à l’impôt en Europe, et destinées à être « rapatriées » dans un paradis fiscal. En effet la holding des Bermudes peut demander le prix qu’elle veut à sa filiale européenne pour l’usage de sa « propriété intellectuelle » : il n’y a pas de « prix de marché » et donc aucune référence possible…
  2. L’Irlande a mis en place une législation fiscale très attractive pour les grandes entreprises. L’évasion fiscale est ainsi légalement organisée par le biais fort opaque des redevances sur la propriété intellectuelle. Cette évasion se chiffre par milliards de dollars pour la seule firme Google. Toutes les autres grandes entreprises font systématiquement de même, alors que le pays en est réduit à demander l’aide européenne pour alléger ses problèmes budgétaires. Il vient d’obtenir 100 milliards d’euros d’argent public pour « sauver son système bancaire ».
  3. La législation fiscale d’un autre pays européen, les Pays-Bas, permet apparemment les transferts des royalties dans les paradis fiscaux à travers des sociétés paravents.

Cet exemple est très représentatif du système actuel. Privatisation totale des profits maximisés. Socialisation des pertes, des déficits et des faillites. Annulation presque complète de toute fiscalité sur les entreprises le plus riches. Taxation des classes pauvres et moyennes, pour venir en secours aux banques et aux bourses.

C’est pourquoi, amis du libre et de l’ouvert, vous pouvez rêver aux lendemains qui chantent. Sans doute le « domaine public » fera encore des progrès significatifs. Mais jamais la propriété intellectuelle ne s’est mieux portée. Pour rétribuer les créateurs ou les inventeurs ? Mais bien sûr !

Philippe Quéau

Article initialement publié sur Metaxu. Voir aussi ce billet sur le même sujet : « Propriété intellectuelle et évasion fiscale », 28 janvier 2010.

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