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Une rafale de vœux aux armées

Premières servies dans cette saga des vœux républicains de Nouvel an, étalée sur plus d’une semaine, les armées ont bénéficié en outre d’un déplacement présidentiel le 4 janvier, sur la base aérienne de Saint-Dizier, à l’est de la France, laquelle met notamment en oeuvre des appareils participant à la dissuasion nucléaire. Dassault peut faire le fier : une carlingue de son Rafale, bijou guerrier toujours invendu – sauf à l’Etat français – servait de décor au discours de Nicolas Sarkozy : petit coup de pouce parmi d’autres à ce groupe politico-industriel que le numéro un français oublie rarement de cajoler, tant il est consubstanciel à la Vème république. Décryptage des vœux présidentiels aux armées…

par Philippe Leymarie, 6 janvier 2011

 « [Ma présence à St-Dizier] est la marque de mon attachement aux hommes et aux femmes qui ont choisi de défendre leur pays… La nomination du ministre d’Etat Alain Juppé à la défense est un geste de confiance à l’égard des armées… »

L’actuel occupant du fauteuil présidentiel n’est jamais passé pour un passionné de la chose militaire – ce dont pas grand monde ne lui tiendra rigueur. Il l’a encore prouvé mardi à St Dizier , sur un mode mineur, en se vantant d’avoir manié un fusil Famas, qui n’avait en fait commencé à doter les unités que deux ans après la fin de son service militaire : il confondait avec l’antique pistolet-mitrailleur Mat49.

Quant à Alain Juppé, ancien premier ministre recyclé en « ministre d’Etat », il a fait plutôt profil bas jusqu’ici. Il est vrai que la trace laissée au ministère de la défense par Michèle Alliot-Marie, qui avait précédé Hervé Morin, est encore fraîche. Actuellement ministre des affaires étrangères, "MAM"a une tendance naturelle à porter aussi la casaque « défense », quand ce n’est pas celle de « l’intérieur ».

Coups sérieux

 « La mission des 4 000 soldats français en Afghanistan sera achevée lorsque les autorités afghanes seront en mesure d’assurer seules la sécurité de leur pays, permettant à un Afghanistan stable et en paix de rejoindre la communauté internationale ».

Le président français évite donc une nouvelle fois de donner un terme à cette présence en Afghanistan, qui ne concerne – pour la partie française de l’effort – qu’une fraction minime des soldats étrangers déployés, et du territoire contrôlé dans ce pays. La plupart des partenaires de la France dans cette aventure évoquent la fin de l’année 2011, parfois 2012, ou en tout cas la butée finale de 2014, etc...

 « Le transfert progressif des responsabilités opérationnelles aux forces afghanes est amorcé ».

C’est vrai, mais cela se paie d’une déperdition importante – du côté des forces afghanes – en terme d’absentéisme, désertions, blessures et morts. Sans parler de la corruption qui gangrène le pouvoir jusqu’au sommet.

 « Vos efforts ne sont pas vains. Peu à peu, avec méthode, avec obstination, nos forces réduisent sur le terrain l’initiative de l’adversaire et rendent chaque jour un peu plus probable le retour à une vie normale pour les Afghans ».

C’est moins évident. L’encadrement taliban a certes essuyé des coups sérieux cette année : les services du général Petraeus, le commandant des forces américaines et européennes, considèrent que 2 000 de leurs chefs ont été éliminés en 2010. On remarque aussi, côté militaire français, que l’aviation de l’OTAN (et par exemple les chasseurs embarqués sur le porte-avions Charles de Gaulle, qui ont opéré dans le secteur le mois dernier) ont eu moins "d’ouvertures de feu", ce qui peut signifier que les insurgés se sont montrés moins entreprenants.

Selon le gouvernement de Kaboul, 5225 d’entre eux ont été tués en 2010. Du côté des forces de la coalition, le nombre de victimes s’élèverait à 1292 policiers, 810 soldats afghans, et 711 militaires étrangers – soit des pertes globales de 2813 éléments : « Pour une perte amie il y a donc 1,85 perte ennemie, commente le blog Secret défense . Au vu de la disproportion des moyens entre les deux camps, le résultat n’est pas militairement extraordinaire pour notre camp ».

Ligne Bush

 « Laisser l’Afghanistan aux mains des talibans, ce serait admettre l’existence d’un sanctuaire pour les terroristes : un sanctuaire qui n’aurait d’autre but que d’exporter le totalitarisme religieux et à partir duquel nos compatriotes seraient directement menacés ».

La sécurité des Français « ici en France » est invoquée, une fois de plus, par le président Sarkozy, fidèle à sa « ligne Bush », qui n’est pourtant plus celle des USA, ni même de la Grande-Bretagne conservatrice. C’est aussi poser en principe qu’il est légitime de « remodeler » le régime en Afghanistan, pour le rendre internationalement acceptable. Ou qu’un retour des nationalistes au pouvoir en Afghanistan s’accompagnerait inmanquablement de la reconstitution d’une base terroriste internationale.

 « Des Rafale de Saint-Dizier seront bientôt de nouveau engagés en Afghanistan. Ils seront équipés du nouveau Pod de désignation Damocles qui permet l’acquisition et la désignation de la cible de manière autonome. C’est un développement important de la capacité opérationnelle du Rafale (...), un des systèmes les plus performants que le pays ait jamais construit pour sa défense ».

Le chef de l’Etat français n’a pas évoqué la question délicate des ventes à l’étranger du chasseur construit par Dassault, jusqu’ici infructueuses en dépit de diverses tentatives et promesses. Le Brésil devrait se décider finalement en 2011 sur le choix d’un appareil de cette catégorie, mais le Rafale – qui semblait avoir les faveurs de l’ancien président Lula, partisan d’un partenariat stratégique étendu entre son pays et la France – n’est plus très sûr de l’emporter, entre les soucis de gestion de la nouvelle présidente brésilienne, et l’hostilité déjà exprimée par ses état-majors contre cet appareil. A Abou Dhabi, selon le ministre Alain Juppé, la négociation serait repartie (après une pause due, semble-t-il, à l’achat par la France à Israël de matériel de sécurité), mais paraît suspendue à un marché triangulaire où on retrouve ... le Brésil.

Vocation à l’ingérence

 « La protection de nos ressortissants est une mission prioritaire des armées. C’est aujourd’hui la première préoccupation des 900 hommes de la force Licorne en Côte d’Ivoire. Là-bas aussi, il n’y a aucune ambiguïté. Nos soldats, les soldats de la France, n’ont pas vocation à s’ingérer dans les affaires intérieures de la Côte d’Ivoire. Ils agissent en vertu d’un mandat des Nations Unies ».

Une série de cas, certes plutôt anciens, incitent tout de même à la prudence dans ce domaine. Partis de la protection des ressortissants, dans un souci d’urgence et de sauvegarde humanitaire, les militaires français se sont souvent retrouvés en Afrique dans une position d’acteurs et non plus seulement de sauveurs : derniers épisodes en date, le Tchad et la Centrafrique.

Au surplus, puisque mandat des Nations unies il y a pour la force Licorne (ce qui n’était pas le cas pour les autres forces françaises précédemment stationnées en Côte d’Ivoire), c’est surtout afin qu’elle puisse remplir un rôle de force de réaction rapide au profit des casques bleus de l’ONUCI, en cas de besoin. Si l’ONU un jour appelle au secours, les soldats français seront bien obligés d’intervenir pour faire autre chose qu’évacuer leurs propres ressortissants…

Chèque-cadeau

 « Le budget de la Défense a évolué à un rythme supérieur à l’évolution du rythme du budget général. En 2011, compte tenu des recettes exceptionnelles qui sont prévues, ce sera encore le cas. »

La cure d’amaigrissement pour 2011, à laquelle n’échappe pas la défense, implique la perte de 6 000 postes, une amputation de 3,6 milliards sur ses crédits, et la dernière phase du programme de fermeture de régiments et du regroupement des unités autour d’une cinquantaine de « bases de défense » inter-armées. Le « chèque-cadeau » attribué à Dassault – une anticipation de commandes, pour lui permettre de maintenir ouverte sa chaîne de fabrication – a contraint à décaler d’autres programmes. L’acquisition et l’aménagement de « l’Air Sarko One » a également alourdi la barque.

En outre, les « recettes exceptionnelles » invoquées (ventes de terrains et bâtiments militaires, vente de fréquences hertziennes, etc.) n’ont pas tenu les promesses escomptées en 2009 et 2010. Il n’est pas sûr que la « prévision » tienne beaucoup mieux pour la suite. Ces recettes pour le moment virtuelles « doivent en théorie compenser l’effort de 3,6 milliards d’euros demandé récemment au ministère de la Défense, au titre de la lutte contre les déficits publics », rappelle le blog Zone militaire.

Capacité opérationnelle

 « Il vaut mieux un peu moins d’effectifs et davantage d’équipements, et d’équipements modernes ».

En fait, une ponction de 54 000 hommes et femmes, sur 5-6 ans, qui ne passe que grâce à une légère augmentation des soldes : c’était comme une anticipation, dès 2009, de la réforme imposée à partir de 2011 au régime des retraites civiles ... Et au total, moins d’équipements, même si certains sont effectivement plus modernes. Avec souvent un décalage des commandes ou livraisons – l’habituelle variable d’ajustement.

 « La France n’est pas un pays comme un autre. La France est membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies. La France a un rôle sur la scène internationale ».

L’invocation d’une France « pas comme les autres », est une ritournelle classique, notamment à droite ! Mais il est vrai que si l’armée française perdait sa capacité opérationnelle inter-armes, et devenait dépendante (par exemple des USA) sur un segment important de son système de défense, y compris sur un plan industriel, elle perdrait de fait le « droit » à prétendre conserver un siège permanent, qu’elle peine à défendre face aux géants actuels du Conseil de sécurité (USA, Chine, Russie) ou aux prétendants les plus crédibles (Allemagne, Inde, Brésil, Afrique du Sud).

Cœur de métier

 « Depuis le 1er janvier, Saint-Dizier est l’une des 51 bases de défense métropolitaines. L’administration générale et le soutien courant de l’ensemble des formations s’effectue désormais dans un cadre mutualisé ».

Cette mutualisation, qui a nécessité des fermetures de bases et des dissolutions de régiment, provoque un mouvement de « shaker » dans le milieu militaire (et le personnel civil de défense), avec à la clé un début d’externalisation (privatisation qui ne dit pas son nom) dans des domaines considérés comme éloignés du cœur de métier (cantines, habillement, maintenance, voire instruction de base, surveillance, etc.) – une démarche discutée par les militaires, et condamnée par les syndicats des personnels civils de l’Etat.

 « Si on lui demande de faire de l’aménagement du territoire, alors l’armée française le fera, mais elle sera moins performante pour assurer la protection des intérêts de la France ».

Certes, mais mettre fin brutalement au stationnement dans des villes moyennes de province, notamment à l’est, d’unités ou établissements qui sont depuis des décennies les premiers employeurs ou pourvoyeurs de consommateurs de ces régions, a fait du dégât, ajoutant à leur « mal vivre ».

A la traîne

 « C’est aussi la recherche de l’efficience qui nous a conduits à signer un traité de coopération en matière de défense et de sécurité avec nos amis britanniques (...) C’est un choix de collaboration sans retour ».

On verra à l’usage, mais l’histoire prouve que les relations entre les « bouffeurs de grenouilles » et la « perfide Albion » n’ont jamais été vraiment linéaires, ni de tout repos. Les responsabilités internationales ne sont pas toutes « communes », au contraire de ce qu’assure le président français, et les menaces non plus. Quant aux programmes en coopération, à part récemment le missile Météor, ils n’ont pas débouché sur grand-chose : le projet de construction en commun de porte-avions a échoué. La liste des 17 accords signés en novembre dernier est spectaculaire, notamment parce qu’elle touche au nucléaire, mais assez imprécise quant à ses conséquences pratiques. En revanche, sur le plan politique, cette entente semble avoir porté un coup indirect à l’Europe de la défense, qui se retrouve à la traîne…

Philippe Leymarie

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