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Claude Imbert au Liban : « Je suis un petit peu menteur »

par Alain Gresh, 11 février 2011

Tout le monde s’en souvient. Claude Imbert, fondateur de l’hebdomadaire Le Point, déclare sur LCI (24 octobre 2003) : « Je suis un petit peu islamophobe. » Les propos n’avaient pas suscité, à l’époque, beaucoup de réactions, sauf celle de Daniel Schneidermann (« L’islamophobie d’un patriarche », Libération, 31 octobre 2003).

Imbert signe un éditorial dans Le Point du 3 février 2011, intitulé « Cassandre au Liban ».

Il commence ainsi :

« Dans ces révoltes ou révolutions arabes, au sort encore énigmatique, nous interrogeons aussi notre avenir. Mais un autre pays riverain délivre, ces jours-ci, son message sur le proche, trop Proche-Orient. Il faut l’écouter. Au Liban, la corde se resserre sur l’un des derniers vestiges chrétiens de la région. Victime écartelée entre l’Occident et l’aire musulmane arabo-persique, le Liban fait, ainsi, sur ses remparts de Tyr, entrer Cassandre. Elle ne prophétise rien de bon. »

De quoi parle-t-il ? De la chute du gouvernement de Saad Hariri au Liban, qui a annoncé des « jours intranquilles ». La crise tourne autour du Tribunal spécial pour le Liban (TSL), créé pour juger les assassins de Rafic Hariri, tué le 14 février 2005 (lire, dans Le Monde diplomatique de février, « Beyrouth dans les rets du Tribunal spécial »). Ce tribunal, selon de nombreuses fuites, devrait inculper des membres du Hezbollah ; ce parti dénonce une justice au service des Etats-Unis et d’Israël, et demande au futur gouvernement libanais de rompre ses relations avec le TSL. Il a obtenu, dans le respect de la Constitution, la chute du gouvernement Hariri et la nomination d’un nouveau premier ministre, M. Najib Mikati.

On peut, bien sûr, avoir différentes appréciations sur cette crise. On peut y voir, comme l’écrit Imbert, une manœuvre des chiites et de l’Iran :

« ... le Hezbollah chiite vient donc de mettre en souplesse la main sur le Liban. Et sans les affres d’une guerre civile qui a déjà fait, ici, 140 000 victimes [il n’évoque évidemment pas les milliers de personnes tuées lors des guerres israéliennes contre le Liban, notamment celle de 1982]. Voilà seulement trente ans, nul n’aurait parié sur un tel essor de la communauté chiite, qui était celle des démunis. Mais, aidé par l’argent iranien, le Hezbollah, parti de Dieu, a consolé les pauvres, mis de l’ordre, soigné et construit. Il s’est armé et surarmé. Il a harcelé Israël de ses roquettes, résisté à l’expédition punitive de l’Etat juif et est devenu héros de l’islam. Installé au pouvoir, le Hezbollah peut désormais emberlificoter le tribunal de tous les “Satan, juifs, Américains, Français”... La partie n’est pas terminée, mais Téhéran prend la main. »

Mais sa conclusion est :

« Pour le Liban chrétien et sunnite qui a vu échouer les médiations saoudienne, qatarienne et turque, la pilule est amère. Pour Israël, qui craint, dans la succession de Moubarak, quelque avenir islamique acharné à sa perte, la mainmise du Hezbollah ajoute à sa crispation d’assiégé. Washington dort mal depuis les rébellions de Tunis et du Caire. Mais les sunnites pétroliers voient déjà dans le chiisme “iranisé” du Hezbollah un cauchemar en marche. Cassandre, au Liban, raconte l’avenir... »

Le Liban chrétien ? Petit mensonge par omission de Claude Imbert : il « oublie » que le Hezbollah est allié au Courant patriotique libre (CPL) de Michel Aoun, qui représente la moitié des chrétiens. C’est que ce petit détail met à bas son raisonnement ; alors, il vaut mieux mentir « un petit peu ».

Alain Gresh

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