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« C dans l’air », un exemple de propagande

par Alain Garrigou, 20 mai 2011

Qu’est-ce aujourd’hui que la propagande ? Le mot a en effet pris un caractère suranné (1), si étroitement associé aux pratiques des régimes totalitaires qu’on ne voit rien dans les démocraties qui ressemble à ces mises en condition sommaires des esprits à coups de slogans simplistes assénés par haut-parleurs. C’est entendu, aujourd’hui, on fait de la communication. Autrement dit, la propagande – car qui aurait cru que cela n’existât plus ? – est mise en œuvre dans la dénégation. Si elle apparaît, elle perd tout ou partie de son efficacité. Il a donc fallu trouver d’autres formules pour obtenir le consentement. La propagande des pays démocratiques doit ainsi sacrifier aux critères des pays démocratiques. Ce pourrait être d’ailleurs un propos de propagande que de dire qu’il faut une expression libre. Dans la sphère privée, la liberté d’expression ne gêne plus guère les régimes autoritaires : son contrôle est partout devenu moins tatillon ou plutôt moins policier. La parole publique importe plus aux pouvoirs. En la matière, quel peut être le sens de la liberté d’expression ? Comment se conjugue-t-elle avec, par exemple, le choix des invités dans les médias ? Il faut bien qu’il y ait d’autres critères légitimes de choix et donc d’expression que la liberté qui est censée être une vertu universellement partagée. Or, les places sont comptées.

Les médias des pays démocratiques offrent la parole à l’extérieur du monde professionnel aux personnes qui leur permettent de satisfaire trois impératifs de légitimité démocratique : l’expertise, la notoriété et le pluralisme. Il faut avoir une compétence spéciale pour s’exprimer sur les plateaux ou dans les journaux… même si les micro-trottoirs ont le double avantage de la facilité et du souci citoyen. Si la personne est connue, elle a droit à une latitude plus grande, quitte à malmener un peu le principe collectif du pluralisme. Dans l’organisation d’un plateau, c’est devenu une obsession que de respecter le pluralisme. Respecter est bien l’idée sinon le mot qui rend compte du caractère normatif du dispositif. Il faudrait plutôt parler d’organiser le pluralisme, c’est-à-dire mettre en place un groupe de personnes qui permette de dresser un tableau le plus exhaustif possible de la diversité des opinions dans la société. Comme il n’est pas possible d’être exhaustif, les organisateurs se satisfont de la diversité pratiquement la plus grande. Et comme cela est très limité, c’est la diversité qui ne suscite pas, ou le moins possible, d’objection des principaux partis et dirigeants politiques. Même des médias ayant une orientation politique déclarée sacrifient parfois à cet impératif démocratique. Certains plus que d’autres. Sa nécessité s’impose particulièrement dans les médias grand public et encore plus dans les chaînes de télévision, notamment dans les émissions politiques. Un casse-tête pour les organisateurs.

Telle est la partie apparente du dispositif, celle qui concerne les apparences et qui est plus ou moins avouée comme une contrainte. Le contrôle exercé sur la parole publique est plus difficilement avoué parce qu’il n’est pas avouable, à commencer pour les journalistes. Un dispositif collectif et « neutre » a été substitué à une machine autoritaire telle qu’on imagine encore la propagande. Il faut alors certaines conditions pour percer le voile. Ce travail passe habituellement par l’analyse de contenu, méthode immédiatement disponible puisque le matériel est public. Cela ne vaut pas grand-chose sans une connaissance minimale du système et des coulisses c’est-à-dire des manières dont les contenus sont produits.

Il apparaît alors combien les critères légitimes d’expression – un choix des personnes par lequel chacun des interlocuteurs est légitime et par lequel le groupe est une assemblée légitime – sont soumis à un impératif caché de conformité. Toute opinion n’est pas également légitime et la liberté de les émettre est le résultat d’un rapport de forces permanent entre organisateurs et invités. On a trop abusé de l’expression de « politiquement correct » pour prétendre expliquer ainsi le cadre d’expression publique. Un critère de sélection des candidats est la capacité – d’aucuns diraient la soumission – à s’insérer dans le cadre de l’expression publique légitime. Première entorse au principe de pluralisme par la réduction de la diversité. Des personnes font l’affaire, en notoriété, en expertise, en conformité et en disponibilité : en d’autres termes, on pourrait dire qu’elles jouent le jeu. Cela explique l’ubiquité de quelques intervenants. Bien sûr, les organisateurs de débats se justifient-ils par les aspects techniques de la sélection. Tant pis si on n’y trouve ni la pétulance des idées ni la diversité des points de vues dont se réclament pourtant les organisateurs. Pour échapper à ces difficultés et aux reproches, ils recourent encore au genre le plus simple d’organisation du pluralisme : les duels. Avantages : les coûts faibles, la familiarité avec les têtes, les propos et les oppositions mêmes. Désavantage : la caricature et au bout d’un certain temps l’ennui engendré par la répétition. Au moins échappe-t-on à l’accusation de propagande.

Il est néanmoins difficile de reproduire exclusivement un dispositif aussi simple et la plupart sont plus complexes — ils impliquent plus de monde et des rôles plus diversifiés. Une émission peut servir de cas : « C dans l’air », qui présente le dispositif bien réglé d’une émission quotidienne sur l’actualité, organisée autour d’un meneur de jeu et de trois ou quatre invités (2). Ceux-ci varient selon la diversité des thèmes. Mais cette variété n’est elle-même pas infinie et on retrouve souvent les mêmes têtes, en fonction des domaines de spécialité, des appétences entre les organisateurs et les facilités de contact. Il est banal que des amitiés se forgent au cours de longues fréquentations. Et il n’est pas toujours facile de trouver une personne disponible. Il se trouve simplement que ces raisons amènent souvent les mêmes, des commentateurs multicartes qui sont plus apparents dans une émission quotidienne que dans des rendez-vous plus espacés. On les revoit aussi ailleurs. La politique interne est plus concernée par les enjeux de propagande. Et certains sujets sont plus « sensibles » que d’autres : ceux qui apparaissent vitaux au pouvoir. Par exemple, la situation d’une candidature du président sortant un an avant l’échéance présidentielle. Là, le dispositif se trahit comme relevant de la propagande, sans qu’aucun des joueurs ne semble s’en rendre compte, tant l’enjeu est important et tant il est orchestré selon une sorte de partition implicite.

Le dispositif peut être analysé dans sa généralité et dans son exercice lors de l’émission du 4 mai 2011 (Lire la retranscription de cette émission sur le site de l’Observatoire des sondages). Sujet : « Sarko a-t-il une chance ? ». L’architecture est habituelle pour ces sujets de politique intérieure, avec un meneur de jeu – l’hôte journaliste Yves Calvi – et quatre invités si souvent présents qu’on peut à bon droit les qualifier d’habitués. Dominique Reynié, politologue du Cevipof (Sciences Po), directeur de Fondapol, le think tank de l’UMP et donc dans une position ambivalente de politologue et de porte parole du pouvoir politique est l’un des invités les plus présents sur le plateau : 21 fois en 2008, 18 en 2009, 30 en 2010. Pascal Perrineau, directeur du Cevipof et membre de Fondapol, moins fréquent mais en hausse (respectivement 9, 8, 13 et 12 fois depuis le début de l’année 2011). Ce sont deux politologues de Sciences Po proches de la majorité. Jérôme Sainte Marie, un sondeur de CSA, n’a pas grand-chose à refuser à un pouvoir dont il dépend économiquement et professionnellement. Enfin, Raphaelle Bacqué journaliste au Monde, spécialiste des portraits et potins de la classe politique est à la fois une journaliste embarquée et une préposée au témoignage, ou en quelque sorte au qualitatif. Elle est à peine moins une habituée, invitée 10 fois en 2008, 12 en 2009, 8 en 2010 et seulement 3 fois jusqu’au 4 mai 2011.

La question de la candidature de Nicolas Sarkozy est spécialement sensible à un moment où les indicateurs sont devenus extrêmement défavorables. Les chiffres font office de façade d’objectivité, systématiquement mis en avant, moins comme faits précis que comme des fétiches d’autorité. Ainsi commence l’animateur en s’adressant au sondeur de service : « Votre dernière enquête pour BFM-RMC et 20 minutes était intitulée “Sarkozy peut-il gagner ?” » Une question de sondage a donc donné le « la » de l’actualité et quasiment la formule familière du titre. Exagère-t-on en disant que l’animateur s’intronise en prêtre de la communauté des adeptes ? Il utilise bien une rhétorique religieuse en invoquant « nous le corps des sondés, si je peux dire ». Le prêtre se veut pédagogue lorsqu’il intercède auprès du technicien pour que ce dernier se mette à la portée des profanes. En demandant de préciser la différence « pour les téléspectateurs, entre sondages quantitatifs et sondages qualitatifs », il saisit une occasion de se prévaloir d’une compétence technique. Il trahit alors l’approximation puisque les « qualis », selon le mot du jargon pour désigner les enquêtes qualitatives, ne sont justement pas des sondages, puisqu’ils ne livrent pas de chiffres et, si l’on suit une définition plus stricte, qu’ils ne sont pas représentatifs d’une population. Le sondeur évite d’ailleurs le terme. On peut supposer qu’aucun téléspectateur ne s’en est avisé. Le dispositif scénique se confond avec une vision idéologique dont on pourrait dire que l’animateur la confesse naïvement au détour de la conversation. Le chiffre permet l’accord auquel il faut être déraisonnable, fou ou mauvais esprit, pour se soustraire : « Je crois que vous avez raison, et en même temps je crois que c’est exactement ce que vous venez de nous dire, sur quoi tout le monde est d’accord autour de cette table, qui fait qu’on a des votes après à l’extrême gauche ou à l’extrême droite, c’est-à-dire la révolte contre la logique des chiffres ». Ils sont effectivement d’accord, comme des agents de propagande. « La révolte contre la logique des chiffres », cela signifie que l’erreur ou l’irrationalité expliquent le vote extrême. On ne saura pas ce qu’elle recouvre, mais seulement que les chiffres sont invoqués avec insistance, plus abstraitement que factuellement, souvent de manière erronée sinon mensongère (c’est-à-dire en connaissance de cause) et surtout invoqués ou révoqués selon qu’ils sont utiles ou nuisibles. Paradoxe, le culte est absolu mais pas les chiffres.

Au fil des minutes, est contée à plusieurs voix une histoire de reconquête (storytelling) validée par la science et spécialement par la manifestation la plus évidente de celle-ci, les chiffres, histoire fondée sur les poncifs du bon sens commun et le ton populaire. L’animateur commence donc à citer un sondage positif pour Nicolas Sarkozy, comme il se croit obligé de le préciser, pour le confesser mais aussi le souligner, en évoquant cette enquête « très intéressante, qui était d’ailleurs l’une des rares enquêtes optimistes ». Optimiste ? Un aveu. Les uns et les autres reviennent sur cette probabilité d’une candidature qui ne fait de doute pour personne. Est-ce bien la question réelle ou plutôt une manière de présenter une réponse ? Candidat ? Tout le monde dit oui. Elu ? Tout le monde dit qu’il peut l’être. Il faut les conditions d’improvisation pour excuser le paralogisme du politologue liant les deux questions : « Il peut bien sûr être réélu, sinon il ne serait peut-être pas candidat ». Pourtant, dans une compétition où il n’y a qu’un gagnant, il faut bien que des perdants se soient trompés sur leurs chances. Les propos se perdent de toute façon dans le bruit médiatique.

Se prendrait-on à rêver d’un débat politique rationnel, sans les artifices de la rhétorique, qu’il faudrait déchanter. Les chiffres ne méritent pas tous d’être invités. S’ils ne sont pas favorables à la cause défendue, ils ne sont pas fiables. Ainsi, le sondeur donne-t-il l’exemple de Dominique de Villepin qui ne peut pas se présenter quand il n’aurait pas 5 % des suffrages mais relativise le score d’intentions de vote de Marine Le Pen qui n’aurait pas autant de suffrages que ce que lui donnent les derniers sondages. Par hasard, le premier chiffre est agréable à Nicolas Sarkozy, qui ne souhaite pas une candidature de Villepin, et pas le second, alors que le président sortant craint que Marine Le Pen ne le concurrence au premier tour. On pourrait croire que le sondeur ne se différencie pas d’un citoyen ordinaire, ou d’un dirigeant politique, qui approuve les bons sondages et désapprouve les mauvais. D’ailleurs le sondeur perd le fil en assurant que Marine Le Pen ne progresse pas mais dit le contraire en qualifiant d’« énorme » son score en intentions de vote « énorme ». L’animateur répète. On en reste là…

Plus généralement, Dominique Reynié marque une distance surprenante avec des résultats de sondages : « Il n’est pas certain que dans l’opinion il y ait une volonté majoritaire de changer ce que représente la politique menée aujourd’hui par Nicolas Sarkozy et son gouvernement. Ça n’est pas certain ». Le directeur général de Fondapol ne croit donc pas à ce résultat où le bilan de son candidat est jugé négativement par 73 % des sondés (BVA-BFMTV-Challenges-Avanquest, 5 avril 2011). L’interview de l’économiste Jean-Marc Daniel, de plus en plus présent à « C dans l’air » (2 fois en 2008, 6 en 2009, 13 en 2010 et 5 jusqu’en mai 2011), professeur d’une business school et directeur d’une revue néolibérale de l’Institut de l’Entreprise, apporte la confirmation d’un bilan positif : « quand on a 120 000 à 130 000 créations d’emploi dans une année dans le pays, la population le voit physiquement dans son destin ». D’ailleurs, il ne faut pas insulter l’avenir dont les premiers signes sont encourageants si on en croit l’animateur : « La croissance repart, même mollement ». Le politologue Pascal Perrineau joue les prospectivistes : « S’il y a plus de 100 000 créations d’emploi dans l’année qui vient, le paysage politique ne sera pas celui qu’il est aujourd’hui ». Comment croirait-on encore aux oiseaux de mauvaise augure ? On craint un moment que le soupçon ne s’étende aux chiffres de statistiques socio-économiques, puisque le directeur de Fondapol soutient qu’il n’y a pas eu d’accroissement des inégalités : « Non ! Les inégalités ne se sont pas creusées ». Nouveau renfort de l’animateur décidément très au courant de la comptabilité nationale : « Les derniers chiffres de l’Insee vont d’ailleurs plutôt dans ce sens ».

L’autorité de la science est aussi convoquée sur l’élection puisque c’est quand même le cœur du sujet. L’animateur tourne la page de manière alambiquée pour demander si des indices économiques « non pas qui tourneraient au vert, mais une baisse continue même modérée du chômage, la croissance qui serait un chouïa plus, est-ce que ça favorise une élection ? ». Entre le conditionnel et le futur. Et pour qu’on comprenne que l’hypothèse est sérieuse, il fait appel à un « spécialiste de sociologie électorale ». Devant l’invite, le politologue ne fait pas très spécialiste en évoquant « le vote du porte-monnaie ». Ridicule ? Heureusement, cela a été « théorisé par un collègue américain ». Le nom est cité. Inconnu pour les profanes. Pour les spécialistes aussi, comme on le comprend à la profondeur de l’invention théorique. Si l’on doutait être dans l’apparence de science, on en serait convaincu par cette autre trivialité de la distinction entre un vote rétrospectif, sur le bilan, et un vote prospectif, sur le projet. Une belle fausse alternative qui n’a heureusement pas accédé au rang de science. De toute façon, il s’agit de donner confiance en l’avenir : « Beaucoup d’enquêtes montrent que le vote n’est pas un vote sur le passé. » Quelles enquêtes ?

Pour l’avenir, les signes ne manquent pas, tous encourageants. Dominique Reynié ne voit-il personne « pour porter un discours » sur la mondialisation ? Si l’on voit bien qu’il s’agit de son programme, comment n’est-il même pas porté par son candidat ? Pas si sûr. Dans cette situation, il vaut mieux repartir à zéro. D’autant plus que la menace est grave : « une forte abstention avec des résultats électoraux qui comme en 2002 [seraient] très surprenants et ensuite problématiques ». Tant pis si l’élection présidentielle est le seul type de scrutin non touché par la montée de l’abstention. Quant à la référence à 2002, il n’y a pas eu une forte abstention au premier tour et l’abstention ne permet pas d’expliquer le résultat de celui-ci. D’ailleurs, il ne faut pas s’y tromper. C’est en route. La journaliste apporte à point le renfort de son intimité avec le pouvoir : « le petit groupe, justement, sur sa campagne, travaille sur ces thèmes, pour présenter de façon positive la France dans la mondialisation… on voit bien qu’il a saisi le défi, est-ce qu’il pourra l’incarner, c’est ce que l’on verra dans les tous prochains mois »

On pourrait en convenir facilement quand on n’a pas de prétentions divinatoires : l’avenir est incertain. Pourquoi alors dépenser autant d’énergies et de sottises pour assurer : « l’impopularité ne se transforme pas forcément en échec électoral ». Si un sondeur le dit, un connaisseur en somme, comment ne pas croire que ce n’est pas sensé ? Un candidat sortant, un homme en somme, peut-il apparaître nouveau, « un Sarkozy nouveau » ? Comment ne pas prendre au sérieux un politologue qui assure sur le ton de l’évidence : « Oui, bien sûr. Un candidat président en campagne, ça n’est pas un président » ? Et de citer à l’appui, l’exemple de François Mitterrand en 1988. L’exemple illustre pourtant l’inverse. Il devrait être soumis à Jacques Chirac, qui a été appelé « Monsieur le premier ministre » par le président de la République François Mitterrand dans un débat télévisé qu’il n’a guère apprécié. Mais qui ira vérifier ? D’ailleurs tout le monde est d’accord une nouvelle fois : le sondeur – « Tout à fait […] Ça commence visiblement à donner des résultats, et on voit apparaître… » –, et le politologue – « …un calme, un homme qui habite toute la fonction ». Ils n’auraient sans doute pas eu de mots trop durs pour réprouver le culte de la personnalité dans les régimes totalitaires. Cela ne suffit-il pas ? Il reste encore le mot fétiche du vocabulaire présidentiel : le courage. « La carte du courage politique », s’interroge l’animateur qui sait au moins passer les plats. Et le directeur de Fondapol de saisir la balle en citant les retraites, une réforme que les Français voulaient « de manière indiscutable » – d’après de très bons sondages, comprend-on forcément –, mais que les socialistes veulent défaire – on ne comprend pas bien si les Français sont d’accord – et qui est conforme à l’intérêt général.

Et si on n’est pas encore vraiment convaincu, il reste les arguments négatifs. Pas glorieux, mais rien n’est de trop quand il s’agit de convaincre avec le dernier retranchement du procès, les circonstances atténuantes : « un bilan qui est très difficile à défendre puisqu’il a été complètement perturbé, en particulier par la crise économique et financière de 2008 ». On ne demande plus aux dirigeants politiques d’aujourd’hui d’être à la hauteur de la mission que fixait Pierre Mendès France le siècle dernier : « Gouverner, c’est prévoir ». Rien de glorieux, mais il reste l’ultima ratio de la politique : il n’y a pas le choix. Si l’on ne parvient pas encore à aimer, et même pas à pardonner à Nicolas Sarkozy, il faut au moins être raisonnables : il est trop tard pour lui trouver un substitut dans son camp et, franchissant un pas de plus, il n’est pas d’autre politique possible, un argument qui vaut aussi pour l’opposition comme le lâche l’animateur :

 « Qu’importe qui sera élu, le plan de rigueur sera le même, non ? »

Le directeur de Fondapol en semble tout excité :

 « Oui, absolument, absolument, on peut le dire dès maintenant. »

On est alors à la fin du programme, dans une situation de relâchement où l’on n’ose plus demander à quoi sert une émission politique qui conclut qu’il est inutile de discuter. Si on était assez naïf pour croire que la démocratie suppose des choix et la liberté, la leçon est cruelle. Si on croyait à ce que disent les dirigeants politiques, la leçon l’est encore davantage : ils ne sont pas naïfs mais cyniques et il faut être naïf pour les croire. Les « spécialistes » viennent enfin nous le révéler.

Des propos inachevés, des arguments opportuns, des exemples superficiels, des contre-vérités, des clichés… cela ressemblerait à un café du commerce si derrière ce curieux mélange de titres d’autorité galvaudés, pour faire sérieux, et de médiocrité de pensée, n’existait une ligne mélodique. Le café du commerce, c’est le bruit, cette cacophonie des idées sommaires et hétérogènes qui donne l’image de la diversité. Ne pas s’y tromper, il existe bien une ligne mélodique générale qui s’accommode des fausses notes et qui fait une émission de propagande. Celle-ci a besoin de l’apparence du débat. Il n’y en pas réellement comme le trahit l’animateur en cours d’émission : « tout le monde est d’accord autour de cette table ». Une parodie bruyante de pluralisme.

Alain Garrigou

(1La traduction de l’ouvrage de Edward Bernays, Propaganda. Comment manipuler l’opinion en démocratie, La Découverte, Paris, 2007, ne fait que confirmer dans son titre et relativement aux transformations des moyens.

(2Du lundi au vendredi à 17 h 45 sur France 5. Présentation : Yves Calvi, en alternance avec Thierry Guerrier.

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