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Avignon, quatre théâtres pour deux Chine

par Martine Bulard, 20 juillet 2011

Depuis plusieurs années déjà, sous l’égide du centre culturel taïwanais à Paris, des théâtres de Taipei ont pignon sur rue au Festival d’Avignon. Avec bonheur, singulièrement pour l’une des troupes les plus novatrices, M.O.V.E Théâtre de Taïwan, dirigée par Fu Hong-Zheng. Ce dernier présente 1:0  (1), un spectacle à l’énergie fulgurante, mêlant savamment musique, danse et… partie de ping-pong, en accéléré ou d’une extrême lenteur. Une plongée dans le monde impitoyable du sport où la pression sociale, celles des autorités paternelles ou professionnelles, le dopage et le stress, conduisent à l’explosion. Le tout emmené dans un ballet parfois drôle, parfois tendu, toujours poétique. Cet exercice de théâtre dansé est d’une rare originalité.

La République populaire de Chine, elle, a mis du temps avant d’investir la cité des papes. Au terme d’une convention signée avec la direction du « off », sept compagnies ont fait le déplacement, emmenées par Weng Jinghui, metteur en scène et directeur du Beijing Fringe Festival qui, depuis trois ans, réunit de jeunes créateurs (théâtre, opéra, danse…) à Pékin en septembre. Du théâtre « officiel », comme le dénoncent certains, qui regrettent ce partenariat ? Sans aucun doute, si l’on considère les financements, en grande partie publics, et la présence à Paris du ministre de la culture chinois lors de la présentation du programme. Mais si l’on s’en tient aux spectacles, on est très loin de l’académisme et encore plus d’un quelconque théâtre hagiographique.

A preuve Reading Mistake, de Feng Jiangzhou et Zhang Lin (2), qui associe danse, vidéos et musique contemporaine. Cette critique très réussie de la société chinoise commence par l’arrivée successive de six jeunes, sans qu’aucun ne lève les yeux de son téléphone portable sur lequel il joue : un monde d’incommunicabilité qui ne peut que mal tourner. Certes, deux jeunes femmes dialoguent dans une danse sensible. Elles se détachent progressivement de la vidéo pour entrer dans la réalité, dans un mouvement empreint de grâce et de beauté contrastant avec leur visage où s’impriment tour à tour l’étonnement, la douleur, puis l’effroi. Ainsi défilent la vie au quotidien, les journaux qui se succèdent, les foules qui s’affolent, les autoroutes qui se construisent, les voitures qui envahissent… jusqu’aux meurtres en série, en bouquet final. Seule une jeune femme – celle qui tentait de faire entendre les douleurs – sera sauvée. Une attaque mordante pour un théâtre inventif.

Tous les spectacles proposés ne sont pas aussi créatifs. Ainsi, The Love of the Three Oranges, la comédie musicale sur l’impossibilité d’aimer de Weng Jinghui, metteur en scène et cinéaste pourtant très connu à Pékin, n’est pas d’une folle originalité, malgré une musique folk réussie mais datée. Quoi que l’on pense de leurs prestations, et sans ignorer la réalité de la censure et de l’autocensure (3), on ne peut que se féliciter de cette percée des artistes chinois sur le front avignonnais. Elle enrichit le « off », et elle permet à ces créateurs de se confronter au plus grand théâtre du monde qu’est Avignon (près de mille troupes).

En marge de ce partenariat, mais toujours en provenance de l’empire du Milieu, Gérard Gelas éclaire l’un des pan de la culture chinois en mettant en scène Si Siang Ki ou l’histoire de la Chambre de l’Ouest  (4), une adaptation du texte de Wang Che-Fou, poète et auteur de théâtre du XIIIe ou XIVe siècle, fort connu en Chine.

En vingt-sept tableaux, Gelas fait vivre cette légende où l’amour triomphe des conventions, tandis que la jeunesse s’impose sur fond d’affrontement des seigneurs de guerre… Le spectacle commence par une scène où deux jeunes adolescents d’aujourd’hui sont sauvagement tués par de sordides voleurs – histoire de souligner la modernité du propos de Wang. La traduction, d’une grande rigueur – ce qui n’est toujours le cas dans les autres pièces –, permet d’apprécier la musique des mots interprétés par les artistes chinois. Les costumes d’époque (somptueux) et les lumières (d’une très grande finesse) donnent à l’ensemble une poésie lyrique de facture classique mais agréable.

Gelas a monté cette pièce à la demande de Hang Sheng, président de l’académie de théâtre de Shanghai. Plus exactement, l’aventure s’est forgée après une rencontre entre les deux hommes lors de la visite d’une délégation de Shanghai au Festival d’Avignon, en 2009, année où Confidence à Allah, créé au Chêne Noir par Gelas, a été couronné (Prix de la révélation théâtrale par le Syndicat national de la critique, puis le Molière 2010 pour la révélation féminine). Invité à diriger une Master Class à Shanghai, en 2010, le metteur en scène a prolongé son travail avec dix acteurs chinois pour nous offrir un spectacle d’une grande poésie.

Il faut également signaler le marionnettiste Faï Yeung (5), qui raconte l’histoire de sa famille (cinq générations de marionnettistes), victime de la répression lors de la Révolution culturelle – spectacle créé au Théâtre de Vidy-Lausanne.

Martine Bulard

(1Fu Hong-Zheng, 1:0, Théâtre de la Condition des Soies, Avignon, à 13 h 30, jusqu’au 30 juillet 2011.

(2Feng Jiangzhou et Zhang Lin, Reading Mistake, Collège de La Salle, Avignon, jusqu’au 30 juillet.

(3Sur l’arbitraire du pouvoir et les limites de la critique interne, lire Jing Jun, Sun Liping, Shen Yuan et Guo Yuhua, « Des chercheurs chinois réclament des réformes dans leur pays », dans le numéro de juillet du Monde diplomatique, actuellement en kiosques.

(4Gérard Gélas, Si Siang Ki ou l’histoire de la Chambre de l’Ouest, de Wang Che-Fou, Théâtre du Chêne Noir, Avignon, jusqu’au 30 juillet 2011.

(5Faï Yeung, Hand Stories, Théâtre du Chêne Noir, Avignon, jusqu’au 30 juillet 2011.

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