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Enjeux 2012 (5)

Dissuasion à la française

Crise financière, éventualité d’un nouveau plan de rigueur, budget de l’Etat sous la contrainte : le secteur français de la défense, sanctuarisé pour l’essentiel, échappera-t-il à l’effort national ? Dans le cadre de « l’alter-gouvernement » formé le temps de la publication d’un ouvrage collectif par les éditions Le Muscadier, nous avons joué le rôle d’un alter-ministre de la défense prenant possession de ses bureaux en mai 2012. Après le volet « opex », voici quelles pourraient être les intentions et interrogations d’un gouvernement alternatif sur la question-clé de la dissuasion…

par Philippe Leymarie, 17 janvier 2012

La France est, avec la Grande-Bretagne (mais cette dernière reste fortement dépendante du cousin américain), le seul pays européen à posséder un arsenal de dissuasion nucléaire. Ce dispositif, qui avait fait ses preuves aux débuts de la Ve république dans un contexte de distance prise avec l’OTAN et de conflit Est-Ouest, donnant à la France les moyens de son autonomie stratégique, doit être réexaminé aujourd’hui, sur :

 son efficacité technique (compte tenu de son échelle actuellement très réduite),
 ses justifications stratégiques (en l’absence de son challenger historique, l’ex-Union soviétique),
 son coût (qui absorbe en gros un cinquième des crédits de la défense).

Parapluie nucléaire

Les Etats et les opinions européennes ont considéré ce parapluie nucléaire français à la fois comme un fait imposé et comme une prestation gratuite – qui s’ajoute au dispositif de dissuasion de l’OTAN, dans le cadre du grand parrainage américain. Son fonctionnement ne pouvait se concevoir sans l’appui des moyens de détection américains.

Aujourd’hui, l’apparition de nouveaux types de menaces et de conflits – qui ne peuvent être combattus seulement par la dissuasion, arme de « dernier recours », essentiellement virtuelle – modifie la donne stratégique, et le champ de nos intérêts vitaux.

Dans son format actuel, cette force de dissuasion est à la fois trop ou trop peu. Trop par rapport aux dangers que font courir les Etats terroristes – et par rapport à nos finances ! Mais trop peu par rapport aux autres « grands » du moment, et aux futures grandes puissances – les pays émergents comme l’Inde ou la Chine, qui pourraient développer d’ici quelques décennies des forces nucléaires sans comparaison avec les nôtres.

OTAN sans frontières

Dans le cadre de la nouvelle politique initiée par notre « alter-gouvernement », nous allons réorienter la politique de défense sur plusieurs points. L’une des premières initiatives devra être le réexamen de notre position au sein de l’organisation militaire de l’OTAN, en dressant un premier bilan des quatre ans de réintégration, suite aux décisions prises en 2008-2009 – et en émettant des réserves ou en posant des conditions quant au le rôle que veut s’attribuer une OTAN de plus en plus sans frontières.

La France va prendre, en liaison bien sûr avec notre diplomatie, une grande initiative : l’ouverture d’une négociation internationale sur la sécurité et le désarmement, en prenant en compte les différents types de menaces et d’armements. On ne peut se satisfaire des progrès déjà réalisés dans ce domaine depuis la fin de la guerre froide, qui n’ont pas empêché une dangereuse prolifération des armes de destruction massive.

Cette initiative ne pourra se développer que si, simultanément, la communauté internationale se résout finalement à réformer le mode de gouvernement de l’Organisation des Nations unies (ONU), en faisant la place nécessaire aux puissances émergentes – ce qui nous renvoie aux initiatives que va prendre ma collègue des affaires étrangères.

Dissuasion partagée ?

Parallèlement, nous allons lancer un audit global de la fonction de dissuasion, cinquante ans après sa mise en œuvre. Les menaces n’ont pas disparu avec la fin de la guerre froide, et la possession d’un outil de dissuasion indépendant fait partie d’un héritage stratégique qui ne doit pas être bradé sans assurance ni contrepartie. Mais nous devons déterminer si la stricte suffisance actuelle des moyens nucléaires français permet au dispositif de remplir un rôle effectif.

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ALTER-gouvernement : 18 ministres-citoyens pour une réelle alternative
Le Muscadier, 288 pages, Paris, 14 euros. www.muscadier.fr

Il nous faut également entamer un débat, à l’échelle des experts en stratégie, mais aussi des citoyens, et même de l’Union européenne, sur le périmètre des intérêts vitaux : ceux de l’Hexagone, de son outre-mer, de l’Europe, de l’OTAN. Il faudra alors se poser la question d’un éventuel partage de l’outil nucléaire militaire avec certains de nos partenaires européens (qui dépasserait la simple coopération bilatérale entamée dans ce domaine en 2010 avec la Grande-Bretagne).

Dans la pratique, deux options sont ouvertes : ou la mutualisation à l’échelle européenne, nos voisins participant au financement et au commandement d’un dispositif considéré comme un outil collectif de protection ultime du continent ; ou la disparition pure et simple de cette composante militaire, parallèle au mouvement de sortie du nucléaire que notre gouvernement a initié dans le secteur civil.

Livre blanc européen

Cela donnerait à terme aux armées des moyens supplémentaires pour se moderniser, à l’image de ce qui se fait dans d’autres pays non nucléaires. Avec, dans ce second cas, après désarmement des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE), et un jour du porte-avions Charles de Gaulle, un renforcement par exemple de la flotte de frégates et de bâtiments de projection et de commandement (BPC).

En outre, il faudra clarifier la position française et européenne en ce qui concerne les programmes antimissile lancés par les Etats-Unis et l’OTAN, en veillant à valoriser au maximum les moyens et filières nationales ou européennes, et en ne se cachant pas, là encore, qu’il sera nécessaire de mutualiser les capteurs, lanceurs, etc. Cela devra figurer dans la nouvelle mouture du Livre blanc préparée pour cette année, voire dans le futur Livre blanc européen qui sera négocié avec nos partenaires.

Hollande en « garant de la dissuasion »

Dans une tribune publiée le 22 décembre dernier par Le Nouvel Observateur, le candidat socialiste à l’élection présidentielle, François Hollande – qui évoque très rarement les questions de défense –, ne se démarque guère de la politique de statu quo menée sur ce plan par le régime Sarkozy.

François Hollande assure vouloir permettre à la France de conserver son statut de grande puissance, avec droit de veto au Conseil de sécurité de l’ONU ; il invite à « ne pas baisser la garde », et considère que la dissuasion nucléaire demeure la garantie fondamentale de la sécurité de la France.

Il faut donc, selon lui, en « maintenir la capacité et la crédibilité », en ne renonçant pas à la composante nucléaire aéroportée (NDLR : considérée par certains comme un gisement possible d’économies). « Je serai le garant de la capacité de dissuasion nucléaire de la France : je revendique et assume pleinement cette prérogative spécifique du président de la République », conclut le candidat du PS.

Cet article sur l’avenir de la dissuasion clôt la série de notes sur les « Enjeux 2012 » en matière de défense : « Gérard Longuet dans le texte » (18 novembre 2011), « Stratégie militaire : les potions du docteur Heisbourg » (24 novembre), « Dans le feu des engagements » (5 décembre), « Le boute-feu français » (3 janvier 2012).

Philippe Leymarie

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