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Egypte, une nouvelle étape ?

par Alain Gresh, 12 août 2012

La décision du président égyptien Mohamed Morsi de limoger le maréchal Hussein Tantaoui et de nommer un nouveau ministre de la défense et commandant en chef des forces armées en la personne d’Abdel Fattah Al-Sissi est une étape importante dans l’histoire (encore brève, ne l’oublions pas) de la révolution égyptienne entamée le 25 janvier 2011. Le président a aussi démis les principaux chefs des armées, le chef de l’état-major (Sami Annan), ceux de l’armée de l’air et de la marine, celui de la défense aérienne – Tantaoui et Annan ont été décorés et nommés conseillers du président !

Morsi a aussi annulé la déclaration additionnelle à la Constitution qu’avait adoptée le Conseil supérieur des forces armées (CSFA) à la veille du second tour de la présidentielle et que j’avais qualifiée de tentative de coup d’Etat constitutionnel – rappelons que selon cette déclaration additionnelle, le président n’a pas les pouvoirs de révoquer les chefs de l’armée. Disponible ici en anglais, le nouveau texte constitutionnel décrété par le président lui donne l’ensemble des pouvoirs exécutifs et législatifs, ainsi que la capacité de désigner une nouvelle Assemblée constituante si celle qui existe n’était pas en mesure d’accomplir sa tâche.

Enfin, Morsi a nommé un vice-président, le juge Mahmoud Mekki. Ce magistrat est connu pour son indépendance et pour sa participation en 2005 au mouvement des juges égyptiens contre les ingérences du pouvoir politique, ingérences qu’il a toujours dénoncées.

Un rapport d’Amnesty International rappelle que Sissi, alors chef du renseignement militaire, avait rencontré une délégation de l’organisation au début 2012 qui s’était inquiétée de l’usage des tests de virginité. Sissi avait répondu que ces tests avaient été faits pour que l’armée ne soit pas accusée de viol, mais avait aussi assuré qu’ils ne se reproduiraient plus.

Rappelons que Morsi, un membre des Frères musulmans, a été élu président en juin 2012 : c’est la première fois qu’un civil était élu à la tête de l’Etat égyptien depuis la prise du pouvoir, en juillet 1952, par les « officiers libres ». Rappelons également que, en 1954, un bras de fer avait déjà opposé les militaires et les Frères musulmans.

Il est encore difficile de mesurer l’impact de cette décision, et de savoir si elle va se heurter à des oppositions, au sein des militaires ou au sein de l’appareil judiciaire, qui pourrait en contester la constitutionnalité. La presse égyptienne reprend des sources internes au CSFA selon lesquelles la décision était attendue et n’a pas surpris Tantaoui. Il n’est pas impossible qu’existe, parmi les officiers, un courant qui voulait en finir avec Tantaoui, un représentant de l’ancien régime et de sa corruption et qui cherche à trouver un nouvel équilibre entre l’armée et le pouvoir civil. La récente attaque contre des militaires égyptiens à Gaza, qui a fait seize morts, n’a sans doute pas renforcé le prestige de l’armée et Morsi en avait profité pour limoger le chef du renseignement.

Parmi les premières réactions, celle d’Abdel Moneim Aboul Foutouh, arrivé en quatrième position au premier tour de l’élection présidentielle, qui a annoncé son soutien à Morsi (rappelons les scores que les quatre principaux candidats ont obtenu au premier tour de la présidentielle : Morsi, 24,8 % des voix, Ahmed Chafik (candidat de l’ancien régime), 23,6 %, Hamdin Sabbahi (nassérien), 20,7 %, et Aboul Foutouh, 17,5 %.

Cette crise confirme l’affaiblissement du rôle de l’armée. Celle-ci, ou en tous les cas le CSFA, avait longuement hésité, après le second tour de la présidentielle, à en accepter le résultat : il fallut une semaine, alors même que les chiffres étaient connus depuis longtemps, pour que la Commission électorale proclame la victoire de Morsi (lire « L’Egypte entre révolution et contre-révolution »). Désormais, il semble assuré que le retour en arrière n’est plus possible.

Cela ne règle nullement les problèmes de l’avenir de l’Egypte. Deux défis intérieurs majeurs restent posés : celui de la consolidation d’un régime démocratique représentatif ; celui des transformations économiques et sociales. Pour relever le premier, les Frères musulmans doivent participer à la solution dans la mesure où il ne peut exister de démocratie dans ce pays sans leur participation aux affaires, au même titre que les autres forces politiques. Pour le second, les choses sont moins évidentes : les Frères, ou en tous les cas leur direction, prônent le libéralisme économique et l’économie de marché ; dans le même temps, ils ne sont pas liés au capitalisme prédateur qui a pillé l’Egypte depuis deux décennies et, tout en conservant leurs orientations, ils pourraient « moraliser la vie économique », ce qui ne serait pas une mince victoire.

Un article le rappelle, les Egyptiens entre 18 et 29 ans représentent un quart de la population et la moitié vit dans la pauvreté. C’est pour sortir de cette misère mais aussi pour retrouver leur liberté et leur dignité que ces jeunes ont renversé Moubarak, et ils ne sont pas près de l’oublier.

Alain Gresh

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