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Wen Jiabao, sa mère, sa femme, son fils et les autres

par Martine Bulard, 30 octobre 2012

L’affaire Bo Xilai avait déjà compliqué la préparation du XVIIIe congrès du Parti communiste chinois. Celle de la famille du premier ministre Wen Jiabao, dont l’immense fortune a été révélée dans le New York Times du 26 octobre, fait monter la fièvre d’un cran. Cette grand-messe chinoise, qui s’ouvre le 8 novembre prochain à Pékin, ne devait être qu’une simple formalité, le changement des principaux dirigeants — une première dans l’histoire de ce pays — ayant été préparé de longue date.

Le futur secrétaire général du Parti et président de la République populaire, M. Xi Jinping, occupe le poste de vice-président depuis cinq ans et a déjà fait la tournée des grands ducs à l’étranger, y compris et singulièrement aux Etats-Unis. Celui qui est pressenti pour assumer la fonction de premier ministre, M. Li Keqiang est, lui aussi, sur les rangs depuis plusieurs années. Le reste de l’équipe, qui compose le Comité permanent du Bureau politique (CPBP) — le cœur du pouvoir —, s’avère plus difficile à constituer. Les équilibres entre ceux qui prônent une certaine ouverture politique et ceux qui la redoutent ; ceux qui réclament une nouvelle vague de privatisations et ceux qui la récusent ; ceux qui cherchent à garantir des droits sociaux et ceux qui s’y refusent... sont très difficiles à établir, d’autant qu’aucun des deux camps n’est clairement défini.

Les révélations sur la fortune de la famille de M. Wen ne pouvaient donc tomber plus mal. Officiellement, l’actuel premier ministre est issu d’une famille modeste, avec un père devenu éleveur des porcs lors d’une des campagnes de « rectification » de Mao Zedong et une mère institutrice. Rien ne prédestinait cette dernière, aujourd’hui âgée de quatre-vingt-dix ans, à disposer, il y a cinq ans, de 120 millions de dollars pour investir dans une société chinoise d’assurance. Quant à la femme du premier ministre, Mme Zhang Beili, elle est depuis longtemps connue pour avoir exercé ses talents dans l’industrie diamantaire... un secteur régulé par l’Etat. Il faut aussi ajouter le fils, le frère, le beau-frère et quelques amis plus ou moins prête-noms. Au total, selon l’enquête du journaliste David Barboza du New York Times, la fortune du clan atteindrait 2,7 milliards de dollars (2 milliards d’euros).

Dans cette nouvelle affaire, rien ne permet de dire qu’il y a eu actes délictueux ou détournements de fonds. Mais tout porte à croire que le prestige et le pouvoir de M. Wen ont joué en faveur de la famille, même au corps défendant du premier ministre. Barboza cite certains câbles révélés par Wikileaks, accréditant cette idée : « “Wen est écœuré par les activités de sa famille, mais il ne peut pas ou ne veut pas se mettre en travers”, déclarait aux diplomates américains un cadre d’origine chinoise employé par une société américaine à Shanghai, selon un câble de 2007. » Et toujours selon les documents diffusés par Wikileaks, M. Wen aurait même « songé à divorcer, car sa femme avait utilisé ses liens familiaux pour le commerce de diamants ». Il reste que sans être forcément illégales — ce qui reste à prouver —, ces actions mettent en lumière la collusion entre affaires et politique, ainsi que l’opacité du système. M. Wen a fait publier, par deux avocats chinois, un démenti global, affirmant que « la famille ne possède aucune part dans des sociétés. Sa mère n’a d’autre bien que le revenu de sa retraite. », menaçant alors de porter plainte contre le journal américain. Mais selon ce dernier, aucune plainte n’a été reçue.

Quelques semaines plus tôt, ce sont des révélations sur la fortune accumulée par M. Xi Jinping et sa famille qui ont fait couler beaucoup d’encre ... à l’étranger. Car en Chine, aucun journal n’a fait état de ces enquêtes journalistiques. Le site du New York Times, en chinois et en anglais, a même été bloqué. Tout comme l’avait été celui de Bloomberg qui avait donné des informations sur les richesses du futur président. Mais à l’ère des blogs et des réseaux sociaux, ce genre de censure ne fait qu’alimenter les rumeurs et renforce la perte de confiance dans le Parti communiste. Et ce n’est pas le communiqué officiel sur la lutte contre la corruption qui suffira à la rétablir. Dans son édition du 29 octobre 2012, China daily titre sur « le système national de lutte contre la corruption » : « De janvier à août, les procureurs ont instruit 17 % d’affaires supplémentaires par rapport à la même période de l’année précédente. (...) Les secteurs particulièrement touchés sont l’ingénierie, le bâtiment, le transport, les chemins de fer... » 

Pas de quoi, en effet, faire oublier le cas Wen. Le coup est d’autant plus rude que le premier ministre était, jusqu’à présent, plutôt respecté. N’avait-il pas utilisé les médias pour montrer son empathie avec les foules, lors du tremblement de terre du Sichuan en 2008 ou à l’occasion de grands rassemblements populaires ? N’a-t-il pas expliqué, lors de la dernière Assemblée nationale populaire en mars dernier, que « la Chine est à la croisée des chemins » et a un « besoin urgent de réformes » ? Certains commentateurs voient derrière l’enquête du New York Times, l’influence des amis de M. Bo Xilai, dont le procès doit avoir lieu prochainement sous le double chef d’accusation de « corruption massive » (ce qui était attendu) et de « relations sexuelles inappropriées » (ce qui est pour le moins surprenant). Personne n’avait jamais entendu parler de harcèlement ou autre délit de ce genre.

D’ores et déjà, plusieurs centaines de personnalités chinoises ont signé une pétition pour un procès équitable, alors qu’actuellement « les faits reprochés ne sont pas clairs, les preuves pas évidentes et les procédures pas très légales ». Parmi les signataires, il y aurait l’ancien patron du Bureau national des statistiques Li Chengrui et l’ex-rédacteur en chef d’un journal de Shanghai, Securities Daily, mais leur nom n’a pas été confirmé. Une chose est sûre : le cadavre politique de M. Bo bouge toujours.

Quant à une éventuelle intervention des amis de M. Bo dans les affaires de M. Wen, elle n’est pas impossible. Toutefois, Barboza dément avec force avoir bénéficié d’interventions extérieures.

De toute façon, cela ne change pas grand chose au fait qu’il y a dix ans, au début de sa carrière comme premier ministre, M. Wen et sa famille ne disposaient d’aucune fortune et qu’au sortir, ils ont accumulé un joli magot. Visiblement, ils ne sont pas les seuls. Et cela commence à se savoir.

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Martine Bulard

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