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Sartre et le « racisme antiraciste »

par Alain Gresh, 6 novembre 2012

Le débat sur le racisme anti-Blancs continue de plus belle. Jean-François Copé tente d’utiliser ce thème pour se faire élire président de l’Union pour un mouvement populaire (UMP). Cette offensive, largement reprise à droite et à l’extrême droite, peu combattue à gauche, tente de mettre un signe d’égalité entre toutes les formes de rejet de l’autre. Elle ignore totalement la spécificité des situations et surtout que le racisme est une forme de domination institutionnalisée.

Jean-Paul Sartre l’avait bien compris, qui s’expliquait dans une préface à l’Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de langue française, de Léopold Sédar Senghor (Presses universitaires de France (PUF), Paris, 1948, rééd. « Quadrige », 2001).

Ce texte, intitulé « Orphée noir » (PDF), se terminait par cette citation d’Aimé Césaire, qui appelait les Noirs à saisir la chance historique censée leur permettre de « pousser d’une telle raideur le grand cri nègre que les assises du monde en seront ébranlées ».

Sartre revient surtout sur la spécificité du combat des Noirs et ce qui le différencie de celui des prolétaires blancs. A méditer quand on évoque les luttes de l’immigration dite post-coloniale, le racisme anti-Blancs et l’islamophobie :

« Le nègre, comme le travailleur blanc, est victime de la structure capitaliste de notre société ; cette situation lui dévoile son étroite solidarité, par-delà les nuances de peau, avec certaines classes d’Européens opprimés comme lui ; elle l’incite à projeter une société sans privilège où la pigmentation de la peau sera tenue pour un simple accident. Mais, si l’oppression est une, elle se circonstancie selon l’histoire et les conditions géographiques : le noir en est la victime, en tant que noir, à titre d’indigène colonisé ou d’Africain déporté. Et puisqu’on l’opprime dans sa race et à cause d’elle, c’est d’abord de sa race qu’il faut prendre conscience. »

« Ceux qui, durant des siècles, ont vainement tenté, parce qu’il était nègre, de le réduire à l’état de bête, il faut qu’il les oblige à le reconnaître pour un homme. Or il n’est pas ici d’échappatoire, ni de tricherie, ni de “passage de ligne” qu’il puisse envisager : un Juif, blanc parmi les blancs, peut nier qu’il soit juif, se déclarer un homme parmi les hommes. Le nègre ne peut nier qu’il soit nègre ni réclamer pour lui cette abstraite humanité incolore : il est noir. Ainsi est-il acculé à l’authenticité : insulté, asservi, il se redresse, il ramasse le mot de “nègre” qu’on lui a jeté comme une pierre, il se revendique comme noir, en face du blanc, dans la fierté. L’unité finale qui rapproche tous les opprimés dans le même combat doit être précédée aux colonies par ce que je nommerai le moment de la séparation ou de la négativité : ce racisme antiraciste est le seul chemin qui puisse mener à l’abolition des différences de race. »

« Comment pourrait-il en être autrement ? Les noirs peuvent-ils compter sur l’aide du prolétariat blanc, lointain, distrait par ses propres luttes, avant qu’ils se soient unis et organisés sur leur sol ? Et ne faut-il pas, d’ailleurs, tout un travail d’analyse pour apercevoir l’identité des intérêts profonds sous la différence manifeste des conditions : en dépit de lui-même l’ouvrier blanc profite un peu de la colonisation ; si bas que soit son niveau de vie, sans elle il serait plus bas encore. En tout cas il est moins cyniquement exploité que le journalier de Dakar et de Saint-Louis. Et puis l’équipement technique et l’industrialisation des pays européens permettent de concevoir que des mesures de socialisation y soient immédiatement applicables ; vu du Sénégal ou du Congo, le socialisme apparaît surtout comme un beau rêve : pour que les paysans noirs découvrent qu’il est l’aboutissement nécessaire de leurs revendications immédiates et locales, il faut d’abord qu’ils apprennent à formuler en commun ces revendications, donc qu’ils se pensent comme noirs. »

« Mais cette prise de conscience diffère en nature de celle que le marxisme tente d’éveiller chez l’ouvrier blanc. La conscience de classe du travailleur européen est axée sur la nature du profit et de la plus-value, sur les conditions actuelles de la propriété des instruments de travail, bref sur les caractères objectifs de la situation du prolétaire. Mais puisque le mépris intéressé que les blancs affichent pour les noirs — et qui n’a pas d’équivalent dans l’attitude des bourgeois vis-à-vis de la classe ouvrière — vise à toucher ceux-ci au profond du cœur, il faut que les nègres lui opposent une vue plus juste de la subjectivité noire ; aussi la conscience de race est-elle d’abord axée sur l’âme noire ou plutôt, puisque le terme revient souvent dans cette anthologie, sur une certaine qualité commune aux pensées et aux conduites des nègres et que l’on nomme la négritude. »

« Or il n’est, pour cons­tituer des concepts raciaux, que deux manières d’opérer : on fait passer à l’objectivité certains caractères subjectifs, ou bien l’on tente d’intérioriser des conduites objectivement décelables ; ainsi le noir qui revendique sa négritude dans un mouvement révolu­tionnaire se place d’emblée sur le terrain de la Réflexion, soit qu’il veuille retrouver en lui certains traits objectivement cons­tatés dans les civilisations africaines, soit qu’il espère découvrir l’Essence noire dans le puits de son cœur. Ainsi reparaît la subjectivité, rapport de soi-même avec soi, source de toute poésie dont le travailleur a dû se mutiler. Le noir qui appelle ses frères de couleur à prendre conscience d’eux-mêmes va tenter de leur pré­senter l’image exemplaire de leur négritude et se retournera sur son âme pour l’y saisir. Il se veut phare et miroir à la fois ; le premier révolutionnaire sera l’annonciateur de l’âme noire, le héraut qui arrachera de soi la négritude pour la tendre au monde, à demi prophète, à demi partisan, bref un poète (...). Et la poésie noire n’a rien de commun avec les effusions du cœur : elle est fonctionnelle, elle répond à un besoin qui la définit exactement. Feuilletez une anthologie de la poésie blanche d’aujourd’hui : vous trouverez cent sujets divers, selon l’humeur et le souci du poète, selon sa condition et son pays. Dans celle que je vous présente, il n’y a qu’un sujet que tous s’essayent à traiter, avec plus ou moins de bonheur. De Haïti à Cayenne, une seule idée : manifester l’âme noire. La poésie nègre est évangélique, elle annonce la bonne nouvelle : la négritude est retrouvée. »

Regards croisés de femmes en lutte

Chemins vers un féminisme sans frontières

Rencontre internationale de femmes
Paris les 16, 17 et 18 novembre 2012
21 ter Rue Voltaire 75011 Paris.
Métro Rue des Boulets

Programme

Vendredi 16 novembre

— Les enjeux du féminisme dans le contexte français

19h30 Accueil et ouverture du colloque par le CFPE. Soirée : buffet festif.

Samedi 17 novembre

— Emancipations et attachements

Les femmes engagées dans les luttes pour leur émancipation sont souvent sommées de choisir entre le respect de leur culture, de leur tradition, de leurs communautés d’appartenance et leur émancipation du système de domination patriarcale.

Les colonisations et le modèle d’émancipation prétendument universel qu’elles ont imposé pervertissent en profondeur le questionnement et la préfiguration de formes d’émancipation libres.

Conflits de loyauté de classe, de race, de conviction et injonctions paradoxales, l’émancipation des femmes se dessine souvent douloureusement au cœur des systèmes de dominations multiples, tous inacceptables.

9h00-12h00 : Luttes, résistances et alliances en situations (post) coloniales.

14h30-17h00 : Alliances et/ou conflits de loyauté.

— Les femmes dans les processus de changements politiques

La participation massive des femmes aux soulèvements récents dans les pays arabes n’est plus à démontrer. Visibles pendant les grands processus révolutionnaires, elles sont ensuite fréquemment renvoyées à l’invisibilité et à leurs rôles traditionnels.

Quelle participation des femmes à la vie publique et politique ? Quels accès aux fonctions décisionnelles et gouvernementales ? Quelle représentation de leurs préoccupations et revendications ?...

17h30-20h : Les femmes dans les soulèvements populaires arabes.

Dimanche 18 novembre

9h30-12h30 : Les femmes dans les changements politiques et sociaux.

14h00-16h00 : Conclusion : enjeux communs et perspectives de lutte et de mise en réseau.

INTERVENANTES : Zahra Ali (Irak), Paola Bacchetta (Etats-Unis), Amel Bensaïd (Tunisie) Sueli Carneiro (Brésil), Sonia Dayan Herzbrun (France), Rokhaya Diallo (France), Habiba Djahnine (Algérie), Maïssan Hassan (Egypte), Nassera Ghozlane (Algérie), Asma Lamrabet (Maroc), Ziba Mir Husseini (Iran), Yvonne Ngoyi (République Démocratique du Congo), Aminata Traoré (Mali), Amina Wadud (États-Unis)

En partenariat avec : la Fondation Un Monde Par Tous, le Cedetim/IPAM, Participation et Spiritualité Musulmanes, l’association Islam&Laïcité et la Région Ile-de-France

PAF : à partir de 15 euros, pour toute la durée du colloque et buffet compris
Inscription à : cedetim@reseau-ipam.org
Contact : Cfpe2004@yahoo.fr

Alain Gresh

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