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Chine, une nouvelle équipe... mais pour quoi faire ?

par Any Bourrier, 16 novembre 2012

Après une année de bouleversements, marquée par une succession de scandales et de luttes en coulisse, la Chine a enfin connu sa nouvelle équipe dirigeante, désormais aux commandes pour les dix ans à venir.

Au terme du XVIIIe Congrès national du Parti communiste chinois (PCC), M. Xi Jinping a été élu secrétaire général. Il deviendra pleinement président du pays lors de la session annuelle de l’Assemblée nationale populaire, en mars 2013. Il aura à ses côtés le premier ministre Li Keqiang. C’est la cinquième génération de leaders communistes, depuis celle des fondateurs – les révolutionnaires historiques qui, autour de Mao Zedong et Deng Xiaoping, ont façonné cette puissance émergente, aujourd’hui la deuxième économie mondiale.

M. Xi Jinping succède donc à M. Hu Jintao et prend également le contrôle de l’armée après avoir été désigné à la tête de la Commission militaire centrale. A première vue, il aura un pouvoir exceptionnel puisqu’il sera à la fois le patron du Parti, aujourd’hui transformé en appareil de pouvoir, ainsi que de l’Armée populaire de libération nationale. Toutefois, comme Deng Xiaoping avait imposé un système collectif de décision pour éviter les risques d’un pouvoir personnel à la Mao, la Chine est depuis gouvernée par un groupe d’hommes cooptés. Ils forment le Comité permanent du bureau politique (CPBP), dont le nombre a été ramené de neuf à sept membres. Sa composition est le résultat de délicates négociations où la représentation des courants doit être équilibrée et refléter toutes les tendances (officieuses) au sein du PCC.

Parmi les cinq noms choisis pour encadrer le duo Xi Jinping-Li Keqiang, se trouvent deux personnalités fort contrastées. M. Wang Qishan, ex vice-premier ministre, économiste, est l’un des représentants du « parti des princes héritiers », cette fameuse aristocratie rouge qui a accaparé les postes et les prébendes. On le dit réformateur, si tant est que cette catégorisation ait quelque sens en Chine ; il sera chargé de la lutte contre la corruption. M. Liu Yunshan, considéré comme conservateur, est issu de la Ligue de la jeunesse communiste, responsable jusqu’alors du département de propagande, qui contrôle étroitement la presse et Internet.

Un autre nouveau venu, M. Zhang Dejiang, qualifié d’intransigeant, provient lui aussi du « parti des princes héritiers » et est diplômé de l’Université Kim Il Sung de Pyongyang. Son arrivée au Comité permanent serait la récompense pour les services rendus après le scandale et la chute de Bo Xilai, qu’il a remplacé à la tête de la municipalité de Chongqing.

Quant à M. Wang Yang, considéré comme le plus réformateur en raison de ses prises de position dans la province de Canton, où il est secrétaire du parti, il n’a pas accédé aux plus hautes fonctions que beaucoup le voyaient atteindre. Considéré comme l’un des fils spirituels de Hu Jintao, M. Wang Yang s’est imposé comme le chef de file de la réforme et de l’Etat de droit. En 2010, il a publié le budget de la province, jusque là secret d’Etat. Puis il a géré avec habileté (certains disent à son profit) la crise de Wukan en 2011. Spoliés des terres communales, les paysans s’étaient révoltés et avaient obtenu des élections libres et la démission des caciques. Avec l’approbation de M. Wang, l’un des chefs de file de la révolte a ainsi été promu secrétaire du parti.

Enfin, les deux personnalités les moins connues du grand public sont M. Yu Zhengsheng, maire de Shanghai et M. Zhang Gaoli, maire de Tianjin, port proche de la capitale chinoise, nommés tous deux au Comité permanent pour la première fois cette année. On remarquera que, cette fois encore, pas une seule femme n’accède à ce haut lieu du pouvoir.

Dans le Grand hall du peuple, place Tiananmen, rompant avec la tradition, M. Xi Jinping, chaleureux et souriant, s’est lancé dans un bref discours soulignant « les énormes responsabilités » de la nouvelle équipe et reconnaissant que le PCC était confronté à de « graves défis », dont la corruption. Les nouveaux dirigeants sont mobilisés pour « assurer une vie meilleure » au peuple, a-t-il assuré lors de sa première rencontre avec la presse, entouré de ses six collègues du CPBP, tous portant costumes noirs et cravates rouge. Sera-t-il capable de répondre aux aspirations d’une opinion publique chaque jour plus exigeante ? Elle qui s’exprime désormais à travers les réseaux sociaux et condamne les conséquences catastrophiques sur l’environnement du développement impétueux ? Elle qui exige également une meilleure distribution des richesses et s’insurge contre la corruption au sommet du PCC ? Elle qui, enfin, proteste contre la spoliation des paysans, dont les terres sont saisies sans contrepartie par des promoteurs immobiliers ou par des potentats locaux ?

Tous ces problèmes sont d’ailleurs clairement analysés et considérés comme cruciaux par le PCC lui-même. Dans le rapport final du XVIIIe Congrès, le constat est clair : il faut changer de modèle de croissance, en adoptant le nouveau concept de « développement scientifique ». Cette approche est censée donner toute sa place à l’innovation et à la recherche, en se substituant au modèle basé sur les exportations. Elle vise à réduire les disparités sociales, notamment entre les villes et les campagnes et à protéger l’environnement. Lors du Congrès, il a surtout été reconnu qu’il fallait agir vite pour éviter un divorce entre le parti et le peuple.

Vaste programme pour un président qui reste une énigme : Xi Jinping est-il partisan du statu quo ou est-il le dirigeant dont la Chine a besoin pour réformer un système à bout de souffle sans remettre en cause l’hégémonie du PCC ? A l’heure où ce « fils de prince » prend les commandes, la question demeure.

Any Bourrier

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