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Le MRAP et le racisme anti-Blancs (suite)

par Alain Gresh, 3 décembre 2012

A la suite des polémiques suscitées par le ralliement du Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP) au concept de racisme anti-Blancs, le bureau exécutif de cette organisation a adopté le 26 novembre un texte intitulé « Racisme anti-blanc : un débat tronqué ou le théâtre d’ombres de la lutte des races. ».

J’avais moi-même critiqué l’adoption de ce concept dans un texte de ce blog, « Copé, le MRAP et le racisme anti-Blancs. On peut lire aussi l’excellent texte de Stéphane Beaud et Gérard Noiriel, « “Racisme Anti-Blancs”, non à une imposture ! », lemonde.fr, 14 novembre 2012.

Essayons de poursuivre le débat.

Afin de le faciliter et d’éviter les accusations de travestissement, je reproduis en italique l’intégralité du texte du bureau exécutif, entrecoupé par mes commentaires.

« Le MRAP, dans le texte d’orientation de son dernier congrès, a fait porter l’essentiel de son analyse sur la radicalisation raciste, parmi les plus importantes durant ces dernières décennies, à l’encontre des populations noires, arabes, immigrées, de leurs filles, leurs fils... Il s’est inquiété d’un réveil de l’antisémitisme, d’une islamophobie galopante, mais également d’un racisme structurel violent, brutal, à l’égard des Roms.

Le MRAP a également stigmatisé les fantasmes identitaires qui gangrènent les discours politiques, médiatiques, comme autant de diversions aux luttes sociales : un discours de race qui se substitue à un discours de classe !

L’enfermement identitaire (poursuit le texte d’orientation du MRAP) émane des groupes dominants, mais se reproduit dans les groupes dominés : le racisme anti-blanc en représente un avatar.

Plus de deux mois après le vote de ce document, d’aucuns se sont "émus" de ce que le MRAP avait évoqué le racisme anti-blanc comme un avatar […] du racisme dominant, nous accusant de mettre sur le même plan les réactions de rejet, qui seraient du ressort de l’émotionnel, lorsqu’il s’agit de ceux qui souffrent du racisme et des discriminations, et constituerait un système organisé d’oppression à l’encontre d’une catégorie de la population.

Plus encore, ce que le texte d’orientation du MRAP, approuvé par son congrès, évoquait comme un “avatar” (avatar : incarnation sous différentes formes, métamorphose) devient, pour nos détracteurs, le signe honteux du ralliement du MRAP aux thèses du Front national. »

Je ne pense pas que quiconque ait parlé de ralliement du MRAP aux thèses du Front national. Mais les critiques ont simplement fait remarquer, à juste titre, que ce concept de racisme anti-Blancs avait été introduit dans le débat français par le Front national. Est-ce totalement neutre ?

D’autre part, la direction du MRAP fait comme si le débat en cours l’opposait à des ennemis extérieurs, des gens qui voulaient salir l’organisation. Or, l’association elle-même est loin d’être unanime sur ces questions. De nombreuses sections locales ont contesté cette thèse, mais aussi des amis du MRAP qui ont toujours apprécié et soutenu son combat.

On peut avoir une idée de ces débats internes, par exemple, sur le site de la section de Pau de l’organisation. Ou encore ici Repères contre le racisme, pour la diversité et la solidarité internationale.

Les thèses de l’actuelle direction du MRAP n’ont d’ailleurs triomphé qu’après de longues batailles internes, marquées par la mise à l’écart, avant même son décès, de Mouloud Aounit. Une partie de l’actuel bureau, organisée en tendance sous le nom « Avenir du MRAP », s’était d’ailleurs illustrée lors d’une véritable guérilla lancée contre Aounit.

Ils avaient ainsi dénoncé la plainte portée par le MRAP contre France soir, s’attirant des commentaires favorables d’un site d’extrème droite qui s’indignait de l’« l’aberrante et déshonorante prise de position imposée au MRAP par Mouloud Aounit de porter plainte contre le journal France-Soir, à la suite de sa publication de caricatures controversées. » (La fatwa du MRAP contre France Soir (archive)). Ce texte est signé notamment par Gérard Kerforn, un des membres de cette nouvelle direction. Rappelons que le bureau exécutif élu lors du précédent congrès est monocolore, ayant exclu tous les contestataires. Pourtant la motion 7, qui contestait l’usage du terme de racisme anti-Blancs, avait recueilli quarante-neuf voix pour et soixante-et-une contre. Et la dénonciation de l’islamophobie (motion 5) a été entérinée par une courte majorité (soixante voix contre cinquante-deux), contre l’avis de la plupart des membres de l’actuelle direction.

Enfin, le texte du congrès est adopté à un moment politique bien précis, avec le ralliement de l’UMP aux thèses du racisme anti-Blancs et à une campagne sans précédent contre les populations d’origine musulmane ou africaine, car ce sont bien elles qui sont visées. Peut-on s’abstraire de ce contexte ?

« Chacun appréciera la qualité théorique des raisonnements par analogie qui devraient conduire à qualifier le MRAP, à l’égal de nombre de ses détracteurs, de crypto-lepénistes, puisqu’opposés à la guerre en Irak... comme le Front national ! Ces mauvaises polémiques ne sont pas les nôtres. Revenons à l’essentiel du débat. »

Quelle est l’argumentation théorique (elle existe) des adversaires du racisme anti-Blancs ? On ne le saura pas. Etrange manière d’engager le débat.

Tout le monde comprend, bien sûr, que l’adoption par le FN de positions politiques hostiles à la mondialisation libérale ou sa condamnation de la guerre d’Irak ne disqualifient pas ceux qui, à gauche, combattent cette mondialisation ou contre les guerres impériales. Mais là, nous ne sommes pas dans le même registre. Nous évoquons un concept idéologique que le FN fut le premier à introduire en France. La capacité du Front national à imposer son propre agenda politique et idéologique ces dernières années a été largement dénoncée. Oui, il existe une lepénisation des esprits ; elle a atteint non seulement Copé et l’UMP mais contamine aussi le Parti socialiste. Cela ne signifie nullement que l’UMP ou le PS sont équivalents au Front national. Mais le ralliement du PS à la politique sécuritaire, au nom de la « réalité » est-il vraiment neutre ? La politique actuelle vis-à-vis des Roms tend à prouver le contraire.

« Le MRAP n’a nul besoin de décliner les innombrables combats qu’il a menés depuis 1949 auprès des victimes de racisme. Rappelons à tout le moins que, parmi les derniers qu’il a initiés, certains concernaient Brice Hortefeux, ministre de l’intérieur, Claude Guéant, également ministre de l’intérieur poursuivi devant la Cour de justice de la République et dernièrement Jean-Marie Le Pen, tous pour des propos racistes contre des Arabes, des Comoriens ou des Roms. Autant de groupes des plus dominés, victimes d’un système organisé d’oppression, aux côtés desquels le MRAP s’engage au quotidien. »

Bien sûr et tant mieux. Ce qui fait la différence entre le MRAP et d’autres organisations (y compris de gauche comme le Parti socialiste), c’est sa place à part, sa longue tradition de solidarité, ses combats internationalistes et c’est pour cela que son inflexion suscite un tel trouble chez tous ceux qui ont connu son courage et les combats du MRAP. De voir le MRAP rejoindre la Licra sur le terrain du racisme anti-Blancs a vraiment de quoi choquer ceux qui se sont toujours reconnus dans les combats du MRAP (Lire Elise Vincent, « Le “racisme anti-Blancs” divise les antiracistes », leMonde.fr, 26 octobre 2012).

« Alors, faisons une bonne fois litière des accusations infondées contre le MRAP, au prétexte qu’il voudrait mettre sur le même plan le racisme et son cortège de discriminations, s’inscrivant dans un système, dans un ordre social inégalitaire, et le racisme anti-blancs qui, pour beaucoup mais pas pour tous, constitue la réaction de certains de ceux qui vivent au quotidien des situations d’humiliations, de rejet, de discrimination, etc. »

Qui a dit que le MRAP mettait sur le même plan toutes les formes de racisme ? En entérinant le concept de racisme anti-Blancs, il adopte une position idéologique. Il est étonnant qu’il le fasse, mais explique en même temps que ce choix n’a pas une grande portée.

« Aujourd’hui, aucun chercheur, aucune association antiraciste de terrain ne conteste l’existence de violences ou d’insultes à l’encontre de “la population majoritaire” pour reprendre la terminologie de l’INED ou, plus précisément, le groupe perçu comme dominant. Un phénomène qui apparaît dans l’enquête “Trajectoires et origines” menée par l’INED et à partir de laquelle travaillent encore des chercheurs.

Il nous est expliqué que 16 % de “la population majoritaire” a vécu une situation raciste. Ces chiffres, tout autant que la nature de ce racisme, disons-le haut et fort, sont sans commune mesure avec ceux relatifs aux populations noires, arabes, roms, etc., qui subissent des discriminations dans le travail, le logement…, ce qui n’est pas le cas du groupe perçu comme dominant.

Mais ces chiffres commandent qu’une association antiraciste se questionne et analyse ce que recouvre le racisme anti-blancs, les conséquences de telles manifestations sur la racialisation de la société et les réponses qu’elle doit apporter dans son combat universel et indivisible contre le racisme. »

Je l’ai déjà écrit dans mon précédent envoi consacré au sujet. Le MRAP, qui s’était engagé avec courage contre le racisme aux Etats-Unis dans les années 1960 et ensuite dans le combat contre l’apartheid en Afrique du Sud, n’a jamais, à ma connaissance, dénoncé les phénomènes de rejet par les populations noires des Blancs, rejet qui existait à l’état endémique et parfois violent. Il a soutenu le mouvement des Black Panthers qui réclamaient une indépendance noire face aux classes dominantes blanches. Il se situait ainsi dans la lignée de Sartre qui parlait d’un racisme antiraciste,.

« Trois éléments sont constitutifs du racisme : une idéologie, des représentations et des actes. Aujourd’hui, personne ne conteste sérieusement l’existence de préjugés et d’actes à l’encontre de la population perçue comme dominante — qui se définit par rapport aux “minorités visibles” — suscités pour l’essentiel par les frustrations vécues au quotidien. »

L’élément fondamental que le texte oublie est que le racisme est avant tout un système institutionnel, plus ou moins légal, plus ou moins officiel, de discrimination. Cela l’était aux Etats-Unis ou en Afrique du Sud, cela l’est en France où les populations d’origine musulmane, africaine ou rom subissent un véritable ostracisme : des contrôles policiers aux discriminations au logement, en passant par les difficultés d’accès à l’emploi. Ce sont les gens qui s’appellent Mohammed, Mamadou ou Fatima qui se voient refuser un travail, du simple fait de leur prénom, pas les Alain, Muriel ou René.

« Qu’en est-il de l’idéologie ? Le MRAP est préoccupé par l’émergence d’un corpus de discours communautaristes qui visent à racialiser les rapports sociaux — c’est-à-dire à réintroduire la notion de lutte des races —, ce qui revient à enfermer l’individu — blanc et non blanc — dans une assignation identitaire. »

Un corpus idéologique ? Le MRAP reste particulièrement discret sur qui sont ceux qui veulent racialiser les rapports sociaux. Il aurait été intéressant qu’il explique qui sont les coupables. Existe-t-il un grand parti politique porteur de ce discours communautaire ? Un grand média ? Une grande association ? Le MRAP a-t-il réfléchi à l’usage du terme de communautarisme, imposé par la droite, et à laquelle il semble se rallier (Lire Sylvie Tissot, « Qui a peur du communautarisme ? », Les Mots sont importants, 7 novembre 2012).

« Loin de disqualifier l’idéologie raciste dominante, ce corpus de discours risque de constituer à son tour un système et, de ce fait, de renforcer la racialisation du discours public et donc le repli et l’enfermement identitaires.

En effet, si le MRAP analyse le racisme anti-blanc comme un “avatar”, donc un élément marginal en termes de mobilisation et d’action, ses détracteurs font, par contre, de la non-existence du racisme anti-blanc un élément structurant de leur démarche qui conduit à une acceptation tacite de la “racialisation” du discours politique et médiatique.

Voilà donc la lutte antiraciste “racialisée” : n’y aurait-il de “vrai” racisme que celui qui s’exercerait aux dépens des anciens colonisés et de leurs descendants ? Qu’en est-il alors du racisme que subissent les Juifs et les Roms ? »

Je le répète, la lutte des Noirs américains pour leurs droits était-elle “racialisée” ? La question est celle-ci : le racisme couvre-t-il toute forme de préjugés à l’égard d’une population ? Quand circulent des blagues sur les Belges ou les Suisses, quand s’expriment des visions essentialistes qui visent le “caractère” allemand ou les “rosbifs”, peut-on vraiment mettre ces manifestations sur le même plan que le racisme d’Etat ?

« Qu’en est-il des manifestations de racisme entre populations également dominées et marginalisées ? Doit-on les ignorer, donc s’interdire de les condamner et de les combattre ?

Pour certains, il n’existe de racisme que dans un rapport dominants-dominés. De fait, ils substituent la responsabilité individuelle à la responsabilité collective : la société française étant inégalitaire et les minorités visibles subissant lourdement ces inégalités, le “Blanc” serait un dominant quelle que soit sa situation propre et porterait la culpabilité de cet état de fait. »

A étendre le racisme et la lutte à toute forme de préjugés national ou religieux, on vide le combat à son encontre de tout contenu politique, pour le réduire à un vague humanisme : aimons-nous les uns les autres et le monde ira mieux.

« A ceux qui — au nom d’un déterminisme racial basé sur la couleur de la peau ou l’origine ethnique — considèrent, comme Cl. Guéant, que toutes les civilisations ne se valent pas, répondent, en écho, à ceux qui essentialisent “le blanc” en dominant raciste.

La situation n’exige-t-elle pas que soient analysés avec lucidité ces risques de dérives vers une lutte des races ? S’y rallier ou s’y résoudre ne conduirait-il pas à l’abandon des fondamentaux même de l’antiracisme ?

L’action du MRAP, c’est aussi de donner toute son importance à la loi de 1972 qui se fonde sur les valeurs de la République. Elle fixe les limites du permis et de l’interdit, sans faire de distinction selon l’origine ou la couleur de peau. Elle a valeur de réparation pour la victime et, par la sanction, réintroduit le coupable dans le corps social.

Le MRAP ne renoncera pas au caractère universel et indivisible de son combat antiraciste. En identifiant, à leur juste mesure, les manifestations de ce racisme, le MRAP relève le défi que lancent le Front national et J.F Copé qui inscrivent leur démarche dans la stigmatisation des populations immigrées. »

Oui, il faut se situer du côté de l’universalisme. Mais la direction du MRAP n’est pas sans savoir que, au cours de l’histoire de la gauche, l’universalisme a connu bien des déclinaisons et des dérives. C’est au nom d’un idéal universaliste que certains à gauche ont soutenu l’œuvre de « civilisation » coloniale. C’est au nom des Lumières et de la lutte contre la barbarie qu’ont été condamnées les insurrections anticoloniales menées sous le drapeau de la religion. C’est aujourd’hui au nom de principes soi-disant universalistes que se mènent nombre de guerres impériales.

L’universalisme internationaliste doit prendre en compte les divisions entre dominants et dominés, à l’échelle mondiale comme à l’échelle de chaque pays. L’oublier, c’est ouvrir les voies à des dérives et des manipulations dont le concept de racisme anti-Blancs est le dernier avatar.

Alain Gresh

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