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Le Japon à l’heure du virage nationaliste

par Martine Bulard, 17 décembre 2012

Comme une éclipse, ou presque. Absent du pouvoir pendant près d’un demi-siècle, le Parti démocratique du Japon (PDJ) a été massivement rejeté moins de quatre ans après avoir pris les rênes de l’archipel. Elu pour redonner du tonus au pays qui glissait lentement mais sûrement sur la pente de la récession, le parti du premier ministre Noda Yoshihiko est tombé, faute d’avoir su faire face à la catastrophe de Fukushima, aux défis de la reconstruction et d’avoir pu redonner espoir à la population. Le rejet de ce parti a atteint son paroxysme avec le doublement du taux de la TVA (de 5 à 10 %) qu’il a initié et qui sera effectif d’ici à 2015. Le PDJ et ses alliés passent ainsi de deux cent quarante-huit sièges en 2009 à cinquante-six élus ! Un désaveu total.

Le Parti libéral démocrate (PLD) rafle la mise et retrouve le pouvoir. Il dispose de la majorité absolue des sièges : au moins deux cent quatre-vingt treize sur les quatre cent quatre-vingt que compte la chambre des représentants (ou chambre basse). Allié au Nouveau komeito (droite bouddhiste), il rassemble les deux tiers des élus — niveau d’ailleurs indispensable pour faire passer toutes les lois, en cas de désaccord avec la chambre des conseillers (chambre haute renouvelée par moitié tous les trois ans au suffrage universel). Cette « supermajorité » inquiète particulièrement les pacifistes, le chef de file du PLD et futur premier ministre Abe Shinzo ayant inscrit dans son catalogue de campagne la révision de la Constitution et l’essor des dépenses militaires. Il est fort à parier qu’il tiendra ses promesses.

Un discours musclé

C’est effectivement autour d’un discours musclé et aux accents nationalistes que le PLD a su mobiliser, promettant le retour d’un Japon « fier de lui-même », selon l’expression de M. Abe, apte à parler haut et fort aux voisins chinois et coréens. Un discours finalement proche de celui tenu par le Parti de la restauration, né en septembre dernier à l’initiative de l’ultranationaliste maire d’Osaka, le jeune Hashimoto Toru, et de son vieux mentor, l’ex-gouverneur de Tokyo Shintaro Ishihara. Alors qu’il se présentait pour la première fois, ce parti a obtenu cinquante-deux élus, presque autant que le PDJ. Pour l’heure, M. Abe a rejeté toute alliance avec cette nouvelle formation à la Chambre — il n’en a pas besoin. Mais nul n’exclut des passerelles. Du reste, à peine élu, M. Abe a repris les diatribes de M. Shintaro et tenu à réaffirmer que les « îles Senkaku [Diayou, pour les Chinois] font partie intégrante du territoire japonais. Ce n’est pas négociable. »

De toute évidence, les électeurs japonais sont sensibles à un nationalisme renforcé. Du moins chez ceux qui ont voté : le taux d’abstention a dépassé les 40 %, soit dix points de plus qu’en août 2009.

Sept premiers ministres en six ans

Avec sept premiers ministres en six ans, un record d’instabilité, le Japon conjugue crise politique et crise économique, au point de déchirer le consensus légendaire de la société nippone. Troisième économie mondiale derrière la Chine, peinant à reprendre le chemin de la croissance et frôlant régulièrement la récession, le pays se sent déclassé, après avoir été la première puissance asiatique, capable de rivaliser avec la puissance américaine dans les années 1980. A l’époque, il était de bon ton de citer comme exemple le « modèle japonais » — son mode d’organisation en entreprise et sa flexibilité. Certes, le Japon reste dans le peloton de tête : son produit intérieur brut (en parité de pouvoir d’achat) dépasse les 35 000 dollars par habitant, tandis qu’il s’élève à près de 47 000 dollars pour les Etats-Unis et à 8 500 dollars pour la Chine. Ses réserves financières se situent au deuxième rang, juste derrière la Chine, et représentent 20 % du PIB (ce qui lui confère des marges d’action).

Toutefois, le modèle du tout-export connaît ses limites (les ventes de voitures nippones ont régressé l’an dernier en raison du conflit avec la Chine, mais aussi de la crise économique en Europe). La dette publique atteint 230 % du PIB. Même si le pouvoir peut puiser dans l’épargne nationale (et ne pas dépendre des marchés financiers mondiaux), la situation à long terme n’est pas tenable : la population vieillissante commence à réduire son bas de laine, tandis que les plus jeunes, précarisés, n’ont pas les moyens de mettre de l’argent de coté. D’autant que si, officiellement, le taux de chômage reste faible (4,2 %), les emplois à temps partiel ont explosé. Le travail précaire touche massivement les femmes (65 % des précaires) et le salaire moyen a baissé de 9,4 % entre 1997 et 2010 (lire Yan Rousseau, « Japon ou le pays de la récession heureuse », Les Echos, 20 novembre 2012).

Relance du nucléaire civil et militaire

Face à ces désordres sociaux qui plombent le pays depuis près d’un quart de siècle, le discours volontariste de M. Abe a tout pour séduire. Il réclame auprès de la Banque du Japon un financement plus large de l’économie (sur le modèle de la banque centrale des Etats-Unis) et des interventions massives pour mettre fin à la surévaluation du yen (qui handicape les exportations). Au nom de la lutte pour l’emploi, il promet une relance de la politique de grands travaux, source en outre de corruption massive, à laquelle le PDJ n’a d’ailleurs pas échappé. On ne compte plus les scandales liés aux détournements de fonds à l’origine destinés à la reconstruction des zones dévastées par le tsunami (240 milliards de yens, soit 2,2 milliards d’euros). Enfin, le patron du PLD veut rouvrir la plupart des centrales nucléaires et maintenir l’activité des deux actuellement en service. Les marchés financiers ont salué comme il fallait l’arrivée de M. Abe et fait flamber les actions de la Tokyo electric power compagny (Tepco) de sinistre mémoire pour les habitants de Fukushima et au-delà. Il n’est pas sûr que cet engouement pour le nucléaire suscite l’enthousiasme des Japonais, y compris chez ceux qui ont voté PLD par rejet des démocrates.

M. Abe, qui a déjà occupé le poste de premier ministre pendant douze mois (du 26 septembre 2006 au 25 septembre 2007), risque pourtant de se heurter aux élus locaux qui doivent affronter des habitants peu enclins à accepter de potentiels Fukushima à côté de chez eux.

« Rêve chinois » contre « fierté nippone »

Le discours nationaliste et va-t-en guerre du nouveau premier ministre nippon suffira-t-il à faire passer ce programme ? Rien n’est moins sûr. Il est, en tout cas, fort dangereux. D’autant que, du côté chinois, l’humeur est également à la démonstration de force. En tournée dans le sud de la Chine, le nouveau numéro un Xi Jinping a mis en avant ce qu’il nomme le « rêve chinois » de régénération du pays. « Ce rêve, a t-il précisé, peut être considéré comme le rêve d’une nation forte, et pour les militaires, c’est le rêve d’une armée forte. Nous devons atteindre le grand renouveau de la nation chinoise, et nous devons assurer l’union entre un pays prospère et une armée forte. »

Un « rêve » qui peut tourner au cauchemar dans une région où les dépenses militaires ne cessent de grimper et où les provocations succèdent aux provocations.

Martine Bulard

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