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« Pétrole contre nourriture » : qui jugera les responsables de la destruction de l’Irak ?

par Alain Gresh, 23 janvier 2013

On va célébrer — si l’on peut dire — au mois de mars prochain, le dixième anniversaire de l’invasion américaine de l’Irak. Le Monde diplomatique publiera dans sa livraison de mars un bilan de cette guerre. Mais un procès qui s’est ouvert à Paris le 21 janvier amène à revenir sur quelques aspects oubliés de ce conflit.

« Dix ans après le procès Elf, deux ans après celui des ventes d’armes à l’Angola, dit “Angolagate”, l’affaire “pétrole contre nourriture” qui arrive à son tour devant le tribunal correctionnel de Paris, lundi 21 janvier, distille le même parfum de diplomatie parallèle et de corruption.

Comme dans les affaires précédentes, la justice intervient alors que le train de l’histoire est passé depuis longtemps. Celle qui va être jugée pendant quatre semaines naît... trente ans plus tôt, quand l’Irak de Saddam Hussein est mis au ban des nations après l’invasion du Koweït, en 1990. »

Ainsi la journaliste Pascale Robert-Diard commence-t-elle son article « Politique et affairisme sur fond de pétrole irakien » (Le Monde, 21 janvier).

Son collègue du Figaro, Stéphane Durand-Souffland, relate quant à lui l’affaire en ces termes (« Quand l’argent du pétrole irakien était détourné », 21 janvier) :

« L’Irak était alors sous embargo. Afin de soulager la population, victime des conséquences de la guerre menée par la coalition occidentale contre Saddam Hussein après l’invasion du Koweït, l’ONU avait imaginé un mécanisme : du pétrole contre de la nourriture — ou, plus exactement, contre des équipements à but humanitaire.

À partir de la fin 1996, le brut irakien réapparaît ainsi sur le marché, sous la surveillance théoriquement stricte des Nations unies. Le produit des ventes, conclues selon un prix spécifique, devait être réparti de la sorte : deux tiers pour le programme humanitaire, un tiers pour l’indemnisation du Koweït.

Seulement voilà, le régime de Bagdad s’empresse de créer une dérivation dans le circuit, au plus grand bénéfice de ses caciques, à commencer par le raïs et ses fidèles séides, comme Tareq Aziz. Des centaines de millions de dollars sont prélevés par le biais de “surcharges” imposées aux acheteurs — lesquels violent, souvent en parfaite connaissance de cause, la résolution 986 du Conseil de sécurité de l’ONU.

Parallèlement, le pouvoir irakien décide de gâter des personnalités qu’il considère comme amies car, par exemple, elles prennent publiquement position contre l’embargo. Il alloue donc des millions de barils de brut à des individus choisis, lesquels arrondissent leurs fins de mois en les revendant, via des sociétés peu regardantes. Le système perdure jusqu’en 2003. »

De nombreuses personnalités sont impliquées, notamment d’anciens diplomates et des figures gaullistes, ainsi que des dirigeants de l’entreprise Total. Certains se sont enrichis personnellement, d’autres ont accepté en toute connaissance de cause de contourner un embargo qu’ils estimaient injuste.

Et la journaliste du Monde de conclure :

« La question est de savoir ce que les autorités françaises savaient de ces procédures parallèles. Pendant l’enquête, le directeur de la direction du trading de Total, Bernard Polge de Combret, a confié : “C’était une période de pleine hypocrisie. Je dirais même que tous les gouvernements étaient au courant de ce système de surcharges à l’époque.” »

Est-ce vraiment la question ? N’est-elle pas plutôt de savoir pourquoi les responsables politiques qui ont imposé pendant plus d’une décennie un embargo meurtrier à l’Irak demeurent impunis ?

J’avais déjà soulevé ce problème il y a plusieurs années, dans un texte publié sur le site du Monde diplomatique, « Irak : un scandale peut en cacher un autre » (11 août 2005).

« Mais le scandale le plus criant n’a pas suscité la création d’aucune commission d’enquête. L’adoption de sanctions contre l’Irak en août 1990 et surtout leur maintien après la libération du Koweït en 1991, ont eu des effets dévastateurs dont l’Irak payera encore très longtemps le prix. Si les médias ont mis souvent en avant les difficultés du pays à se procurer de la nourriture et des médicaments — y compris après le début du programme “pétrole contre nourriture” en 1996 —, ils ont sous-estimé les conséquences destructrices des sanctions sur la société irakienne elle-même. Les infrastructures sont petit à petit tombées en ruine, malgré l’extraordinaire inventivité des ingénieurs irakiens ; les services essentiels à la population, les ministères, les centrales électriques, l’eau potable, sont devenus fragiles ; la corruption s’est développée du haut en bas de l’échelle. La délinquance a explosé : les habitants de Bagdad, qui avaient l’habitude de laisser ouvertes les portes de leur maison ou de leur voiture, se sont barricadés. Au moment de l’invasion américaine, il n’a fallu qu’un dernier coup de boutoir pour que l’Etat s’effondre : il était déjà vermoulu. »

Par ailleurs, la communauté dite « internationale » obligeait l’Irak à dédommager les victimes de son invasion du Koweït, par un système d’extorsion de 30 % des recettes pétrolières. Ce système a servi surtout à enrichir de riches compagnies et des pays aussi pauvres que... les monarchies du Golfe (lire « L’Irak paiera ! », Le Monde diplomatique, octobre 2000).

Cette politique a abouti à la mort de dizaines de milliers d’Irakiens innocents, à qui on reprochait de ne pas être capables de renverser la dictature qui les opprimait.

Et, comme si tout cela ne suffisait pas, le président George W. Bush décidait, en mars 2003, l’invasion de l’Irak. Le Monde diplomatique, comme je l’ai dit, reviendra sur cet événement, mais le bilan est bien plus lourd que les quelques millions de dollars qui auraient été détournés par les personnes actuellement jugées à Paris : des dizaines de milliers de morts, des infrastructures détruites, un pays fragmenté, des divisions confessionnelles et ethniques attisées, sans parler de la déstabilisation de la région. N’est-il pas temps de trainer les responsables de cette stratégie devant les tribunaux ?

Les femmes dans le monde arabe et méditerranéen

Université populaire, organisée en collaboration avec le blog Nouvelles d’Orient

Samedi 9 février (10h30-18h)

Séance 1 (10h30-12h30)

Histoire et état des lieux de la condition des femmes dans le « monde arabe », avec Sonia Dayan Herzbrun, Professeure à l’UFR de Sciences Sociales de l’Université Paris Diderot-Paris 7. Elle est Directrice de la Revue Tumultes, revue interdisciplinaire sur les phénomènes politiques contemporains.

Séance 2 (14h-16h)

Femmes et féminismes en Iran, avec Azadeh Kian, Professeur de sociologie à l’Université Paris 7 – Diderot, responsable du Cedref et chercheur associée à l’UMR Mondes iranien et indien, CNRS

Séance 3 (16h-18h)

Qu’est-ce que le féminisme islamique ? , avec Zahra Ali. Engagée depuis de nombreuses années au sein de dynamiques musulmanes, féministes et antiracistes, elle est doctorante en sociologie à l’École des hautes études en sciences sociales (Ehess) et à l’Institut français pour le Proche-Orient (Ifpo). Elle est l’auteure de Féminismes islamiques (La Fabrique, 2012).

Contact et inscription : universite-populaire@iremmo.org

Participation : 20 euros pour la journée (12 euros pour les étudiants et les demandeurs d’emploi).

Horaires : Séance 1 : 10h30-12h30 Séance 2 : 14h-16h Séance 3 : 16h-18h

Lieu : 5, rue Basse des Carmes - 75005 Paris (Métro : Maubert-Mutualité)

Inscrivez-vous dès maintenant, pour l’année : 120 euros (80 euros en tarif réduit*).

Alain Gresh

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