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Le « renseignement » dans la ligne de mire du Sénat

Le projet de loi de programmation militaire (LPM) pour 2014-2019, examiné par le Sénat à partir du lundi 21 octobre, comporte notamment une petite dizaine de « dispositions relatives au renseignement » qui vont modifier l’environnement et les conditions de travail des « services ». En leur donnant plus de moyens. Mais au prix d’un contrôle légèrement accru du Parlement.

par Philippe Leymarie, 18 octobre 2013

Les six principaux services de renseignement en France totalisent une dizaine de milliers de fonctionnaires militaires et civils :

 sous l’autorité du ministère de la défense : la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), la Direction du renseignement militaire (DRM) et la Direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD) ;

 sous le contrôle du ministère de l’intérieur, la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), composée de l’ancienne Direction de la surveillance du territoire (DST) et d’une partie des anciens Renseignements généraux (RG) ;

 dans l’orbite du ministère des finances, la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) et le Traitement du renseignement et de l’action contre les circuits financiers clandestins (TRACFIN).

La nouvelle LPM, qui érige le renseignement en « priorité majeure », prévoit notamment la mise à disposition d’un nouveau fichier auprès de tous les services, le « PNR » (pour Passenger Name Record), qui collectera les données recueillies par les compagnies aériennes lors de la réservation des vols : identité, itinéraire, moyens de paiement (et aussi, le cas échéant, précisions sur la corpulence, les préférences alimentaires, etc.).

Libertés publiques

Ce fichier serait créé en France « par anticipation de l’adoption d’un projet de directive européenne », précise le texte de la LPM. Les Etats-Unis tentent d’en imposer l’usage depuis les attentats qui les ont visés en 2011, mais les membres de l’Union européenne (UE), tout comme le Parlement de l’UE, restent très divisés sur la question.

Le gouvernement français — s’appuyant notamment sur l’avis favorable des députés Jean-Jacques Urvoas (PS) et Patrice Verchère (UMP) pour qui ce fichier « semble avoir fait la preuve de son efficacité » — souhaite accélérer le processus, quelles que soient les hésitations de certains de ses partenaires européens, car il s’écoulera au moins une année avant la mise en œuvre opérationnelle de cet outil. Dans son rapport d’activité pour 2012, la délégation parlementaire au renseignement considérait déjà, à la lumière de l’affaire Merah, que « la France doit se doter des moyens permettant de suivre les déplacements de personnes par voie aérienne vers des destinations sensibles, y compris lorsque les trajets comportent une ou des escales ».

La LPM élargit également les conditions d’accès à certains fichiers, notamment ceux qui concernent les déplacements : les services ne pouvaient en principe les consulter que dans le cadre d’enquêtes anti-terroristes. Le texte évoque maintenant la notion beaucoup plus lâche et mal définie de « prévention des atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation », ce qui — selon le code pénal — comprendrait des atteintes à « des éléments essentiels de son potentiel scientifique et économique, et de son patrimoine culturel ». En outre, les fichiers jusqu’ici réservés à la police et à la gendarmerie seront ouverts à l’ensemble des services.

Inquiète du périmètre d’application du PNR, dans le souci « d’assurer un équilibre entre l’efficacité dans la lutte contre la criminalité et le respect des libertés publiques », la commission des lois du Sénat compte introduire une série d’amendements destinés à « clarifier les finalités, préventives ou répressives, d’utilisation du fichier », à limiter son utilisation aux vols extracommunautaires, et à « subordonner toute action coercitive, après une réponse positive du fichier, à une analyse humaine de cette réponse ».

La commission souhaite faire voter un amendement précisant que les données des transporteurs aériens seront « transmises à une unité de gestion du fichier, qui devra s’assurer de la qualité de ces données et répondre aux demandes des services d’enquête et de renseignement ».

En temps réel

La commission des lois du Sénat compte également faire adopter son amendement ayant pour objet d’insérer dans le code de la sécurité intérieure les dispositions relatives à la géolocalisation en temps réel des téléphones portables par les services de police et de gendarmerie nationales, prévues par l’article 13 du projet de loi de programmation militaire.

Cet amendement « rassemble les dispositions relatives au recueil des données de connexion sous un seul régime juridique, celui instauré par la loi du 10 juillet 1991 pour assurer le contrôle démocratique des interceptions de sécurité » (avec passage devant la commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité, la CNIS).

Dans son rapport pour 2012, la délégation parlementaire au renseignement estime que des progrès ont été réalisés en matière de mutualisation des capacités depuis 2008, « notamment en ce qui concerne le renseignement d’origine électromagnétique, opéré par la DGSE au profit de l’ensemble de la communauté du renseignement ». D’ailleurs, cette mission « ne constitue en aucun cas un secret », relève Jean Pierre Sueur, président de la délégation, quelques jours après une audition, le 18 juillet, du directeur général de la DGSE, ainsi que du coordonnateur national du renseignement, à propos de ces « écoutes » françaises, dont un article du Monde venait de laisser entendre qu’elles sont illégalles et clandestines, comparables à celles de la NSA (l’agence américaine du renseignement) aux Etats-Unis.

Actuel président de la commission des lois à l’Assemblée nationale, après avoir présidé dans le passé la délégation parlementaire au renseignement, M. Urvoas assure de son côté que « les citoyens français ne sont pas soumis à un espionnage massif et permanent », et que — face à la « pêche au chalut que semble réaliser la NSA » — la DGSE française pratique « la pêche au harpon ». Mais la lumière n’a pas été faite sur le périmètre actuel de ces interceptions, notamment satellitaires ou sur les câbles sous-marins, qui transportent les données de l’Internet.

Fonds spéciaux

En vue de la discussion de cette loi de programmation, à partir du 21 octobre, la commission des lois du Sénat a préparé également seize amendements « visant à préciser et à accroître » justement les pouvoirs de la délégation parlementaire au renseignement, dans le cadre de l’exercice de sa fonction de contrôle et d’évaluation :

 elle devra notamment être destinataire des rapports de la future inspection des services du renseignement (dont la création est prévue par la LPM), et des recommandations aux ministres de la Cour des comptes concernant les services de renseignement ;

 la délégation veut pouvoir prendre connaissance du plan national d’orientation du renseignement (PNOR) ;

 en outre, la commission a précisé que « la restriction à laquelle est soumise la délégation en matière de suivi de l’activité des services de renseignement ne porte, conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, que sur les opérations en cours de ces services et non sur les opérations achevées » ;

 elle a voté un autre amendement, en vertu duquel la délégation parlementaire au renseignement pourra entendre les agents des services de renseignement avec l’accord du directeur concerné ;

 la commission des lois du Sénat a également adopté deux amendements ayant pour objet d’opérer « une fusion, plus complète que celle proposée par le texte initial, de la délégation parlementaire au renseignement et de la commission de vérification des fonds spéciaux. »

Reste à savoir ce que le gouvernement acceptera, et dans quelle mesure l’Assemblée nationale prendra le relais de ces recommandations du Sénat.

Philippe Leymarie

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