En kiosques : mars 2024
Abonnement Faire un don
Accéder au menu

Adoption de la loi de programmation militaire 2014-2019

Quand Hollande sanctuarise « ses » armées…

On en reprend pour cinq ans. Dans la foulée du Livre blanc sur la défense et la sécurité, l’Assemblée nationale — après le Sénat — doit discuter et adopter ces jours-ci une loi de programmation militaire (LPM) 2014-2019 qui reflète les contraintes budgétaires du moment, mais sauve l’essentiel pour les armées, y compris la dissuasion nucléaire, que certains rêvaient d’abandonner pour se redonner quelques marges financières. Bien que, dans la pratique, les lois de programmation ont rarement été appliquées jusqu’au bout…

par Philippe Leymarie, 26 novembre 2013

Après Sarkozy, petit Bonaparte lancé dans une calamiteuse campagne de Libye (2011), François Hollande s’est voulu à son tour chef de guerre cette année, au Mali pour sa part. Et à défaut d’avoir pu se lancer ensuite dans l’aventure syrienne, il s’apprête à le faire sur un théâtre qui est plus à la mesure des moyens français : la République centrafricaine — un pays où la Ve République, en outre, a ses habitudes…

A la veille du 14-Juillet dernier, où avaient défilé les « vainqueurs » de l’opération Serval et leurs « frères d’armes » maliens, le président français avait exalté le « lien direct entre le chef des armées que je suis et les forces qui sont celles de notre défense nationale », vantant « l’excellence professionnelle » des militaires français « sur l’ensemble des théâtres d’opération ».

Rappelant la réduction des effectifs de plusieurs dizaines de milliers d’hommes depuis le début des années 2000, il s’était dit « conscient des efforts demandés à nos armées comme à tous les Français », au point de s’interroger avec compassion : « Jusqu’à quand sera-t-il demandé de nouveaux sacrifices ? Jusqu’à quel point le système d’aujourd’hui pourra-t-il encore perdurer ? ».

Pas bien longtemps, si l’on en juge par la nouvelle loi de programmation militaire (LPM) : poursuite des réductions d’effectifs ; décalage des programmes d’équipement ; non-compensation de l’inflation ; paris sur le niveau des « ressources exceptionnelles », ou sur la vente à l’export de chasseurs Rafale — le tout sur cinq ans.

Ovnis juridico-administratif

Certes, les budgets ont été en principe « sanctuarisés », comme s’en sont félicités le ministre de la défense Jean-Yves Le Drian et le président de la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat, Jean-Claude Carrère : tous deux ont dû batailler contre la forteresse Bercy, qui aurait bien amputé de la moitié certains programmes de nouveaux matériels ; et ils ont tenté de contourner la coutume de la non-application des lois de programmation, en recourant à quelques ovnis juridico-administratifs qui semblent de leur invention :

  • des « clauses de revoyure » (au bout de deux ans, si la situation économique s’est redressée) ;
  • des contrôles « sur pièces et sur place » (que pourraient assurer les députés et sénateurs, « dans le respect du secret de la défense nationale ») ;
  • des « financements interministériels automatiques » (en cas de dépassement de l’enveloppe annuelle destinée au financement des opérations extérieures).

Mais, pessimisme ou fatalisme, Carrère reconnaît « qu’aucune loi de programmation n’a été parfaitement exécutée jusqu’ici ». Fin 2012, l’écart avec les crédits programmés dans la LPM de 2008-2013 atteignait l’équivalent d’un budget annuel total : « Notre ambition est d’inverser la tendance, assure le sénateur, qui promet : « Nous serons vigilants. »

Dépérissement des armées

La défense, troisième budget de l’Etat (31,4 milliards d’euros par an), et premier budget d’investissement public (17 milliards) assumera 60 % des baisses d’effectifs prévues pour 2014 (et aura perdu 80 000 postes entre 2009 et 2019). Les auditions, ces derniers mois, des chefs d’états-majors des différentes armées, donnent une idée des restrictions qui leur sont imposées.

  • L’armée de terre perd 35 000 postes entre 2008 et 2019, et doit notamment renoncer à une de ses huit brigades. Cinq à huit régiments seront dissous. On atteint un niveau de « stricte suffisance », avertit le général Bertrand Ract-Madoux, chef d’état-major, pour qui la force « projetable » passe de 71 000 à 66 000 hommes, « seuil plancher pour un pays de 65 millions d’habitants ». Les reports de livraison de plusieurs modèles de véhicules blindés vont entraîner la prolongation de matériels anciens (les AMX 10-RC, les VAB, etc.).
  • L’armée de l’air, qui a subi durant l’exercice précédent une contraction d’un tiers de ses capacités (16 000 postes supprimés, 12 bases fermées) devra compter avec 2 400 hommes en moins dans les prochaines années, un parc d’avions de chasse réduit d’un tiers (de 320 en 2008 à 225 d’ici 2019), un renouvellement très lent de la flotte de transport et de ravitaillement actuelle (Transall, C-135) par de nouveaux appareils (A400M, MRTT). Le général Denis Mercier, chef d’état-major, évoque « une nouvelle organisation de notre capacité à durer », avec par exemple un gonflement de l’entraînement sur des appareils légers, comme des Pilatus PC-21, dont les tableaux de bord peuvent être configurés façon Rafale…
  • la marine dit bien sûr adieu à son rêve de second porte-avions, mais perd aussi un BPC (bâtiment de projection et commandement) sur quatre, ainsi que 3 frégates sur 18. Selon l’amiral Bernard Rogel, chef d’état-major, la réduction des moyens entraînera la suppression de la permanence de la marine sur au moins une zone d’opération extérieure : ce sera désormais la Méditerranée orientale, ou l’ouest de l’océan Indien (anti-piraterie, par exemple) ; l’Atlantique ou l’Afrique. Mais pas les deux, comme par le passé.

Gestion dynamique

« Il faudra faire des choix et parfois se résoudre à intervenir plus modestement », résume l’amiral Edouard Guillaud, chef d’état-major des armées, qui plaide pour une « gestion dynamique des efforts en fonction des besoins » : « Nous devrons donc revoir nos concepts d’emploi dans le sens d’une plus grande porosité entre les fonctions stratégiques, les missions, les théâtres ».

De leur côté, les industriels de la défense (160 000 emplois, 15 milliards d’euros de chiffre d’affaire) craignent que ces contraintes budgétaires publiques, combinées avec des exportations à la baisse (-26% en 2012), ne se traduisent par une réduction d’activités, avec la perte d’une vingtaine de milliers d’emplois.

Mais une série d’investissements majeurs profiteront cependant à ce secteur dans les cinq années à venir : livraison des vecteurs M51-2, du laser Mégajoule (LMJ), des satellites Ceres (renseignement électromagnétique) et Musis (successeur de Helios), des frégates Fremm, ravitailleurs MRTT, transport tactique A400M, des Tigre et Rafale, ainsi que la rénovation des chars Leclerc, ou la livraison de 250 missiles naval et scalp, pour renforcer la capacité « d’entrer en premier » sur un champ de bataille, etc.

Opacité renforcée ?

Dans le concert très consensuel entre gauche et droite, sur la gestion du secteur de la défense, on peut relever deux notes discordantes. Survie, association spécialisée dans la dénonciation des « visions néocoloniales de la politique étrangère française », juge que cette loi de programmation placée selon elle sous le signe de « l’ingérence, l’opacité, l’impunité » est « extrêmement inquiétante pour la souveraineté des peuples africains concernés » — allusion à la consolidation de la présence militaire française au Sahel, au Mali, en Centrafrique.

Survie s’inquiète notamment du recrutement évoqué d’un millier de soldats supplémentaires pour le Commandement des opérations sociales, ce qui « fait craindre un renforcement de l’opacité entourant l’activité des forces armées françaises en Afrique ». Mais aussi d’un article de la LPM qui réduit gravement les possibilités de porter devant la justice des méfaits commis par des militaires en opération extérieure. Ou encore de la mise à la disposition de la « communauté du renseignement » d’une série de fichiers (immatriculations, permis de conduire, passeports, cartes d’identité, visas étrangers, fichier des « non admis », etc.).

Le tabou de la dissuasion nucléaire

L’association ATTAC, qui n’était pas connue pour intervenir dans le domaine de la défense, dénonce également un renforcement jugé excessif de la surveillance des citoyens, confondue avec la lutte contre le terrorisme. Ou encore la « poursuite de la privatisation des industries d’armement ».

Mais l’association altermondialiste, pour qui « François Hollande tourne le dos à Jaurès et emboîte le pas à Sarkozy », regrette surtout la « sacralisation du nucléaire », alors que « toute réflexion sur les coûts [23,3 milliards d’euros, sur les 190 milliards budgétisés par la LPM] et l’utilité de cette force nucléaire est écartée » :

« Faute de s’engager dans la voie du désarmement mondial, à commencer par l’interdiction de l’arme nucléaire et de toutes les armes de destruction massive, il est illusoire d’espérer réussir l’indispensable transition écologique et sociale. Ce gouvernement dirigé par le parti socialiste poursuit malheureusement dans le sens catastrophique des efforts de guerre du précédent, en dépit des problèmes écologiques et sociaux en France et dans le monde », conclut ATTAC.

Philippe Leymarie

Partager cet article