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Perception - Vision - Spéculation - Mondialisation

Cartes en colère

par Philippe Rekacewicz, 22 décembre 2013

En octobre 2012, à l’occasion de la représentation de la pièce de théâtre J’habite une blessure sacrée, adaptée par Mireille Perrier d’après un livre du sociologue Jean Ziegler — La haine de l’Occident —, la Maison des métallos à Paris avait présenté, en résonance, l’exposition d’esquisses cartographiques « en colère » qui réunissait, outre quelques images inédites, des cartes déjà publiées ici et là.

Le comédien Joël Lokossou dans le rôle de Nelson Mandela
Photo : © Julie Durand, 2012.

Le monde vu de...

Le monde vu de Pékin : la grande chasse aux matières premières

L’oeuf asiatique
Esquisse cartographique publiée dans « Mondes émergents », Atlas 2012 du Monde diplomatique.

Aucun pays, aucune région n’a connu une croissance de cette ampleur depuis deux ou trois décennies. Les bouleversements qui transforment aujourd’hui la Chine sont exceptionnels. « Les excédents sont chinois, les déficits sont américains » : cette formule illustre bien les tendances actuelles de l’économie et du commerce mondiaux. La Chine « s’interconnecte » très étroitement avec des pays qui furent et restent parfois de grands rivaux, comme les Etats-Unis ou le Japon.

Le monde vu de Berlin : ancré à l’Ouest, le regard tourné vers l’Est

Berlin regarde vers l’Est
Esquisse cartographique publiée dans « Un monde à l’envers », Atlas 2009 du Monde diplomatique.

Unifiée et souveraine depuis 1989, l’Allemagne a tout misé sur l’Europe et l’Alliance atlantique. Mais, depuis le début des années 2000, le champ de vision de Berlin s’est ouvert sur l’ensemble de l’Europe orientale, du Caucase et de l’Asie centrale, régions où s’est considérablement renforcée sa présence diplomatique et culturelle pour mieux se préparer aux conquêtes économiques.

Le monde vu de Téhéran : Téhéran et ses alliés, proches et lointains…

L’Iran encerclé
Esquisse cartographique publiée dans « Un monde à l’envers », Atlas 2009 du Monde diplomatique.

Les médias, en évoquant l’Iran, nous renvoient volontiers l’image du « grand méchant », d’un pays porteur d’une « grande menace ». Le régime est aussi impopulaire à l’extérieur qu’à l’intérieur, mais il n’est pas sûr que l’Iran mérite complètement d’être ainsi diabolisé. La perception des Iraniens est que c’est l’« encerclement » américain autour de leur pays qui représente la vraie menace. C’est une forme de blocus, mais qui n’empêche pas Téhéran de développer un réseau diversifié d’alliés sur tous les continents.

Le monde vu du Caire : après la révolution, l’Egypte tente de retrouver sa légitimité régionale

L’Egypte, ancienne « puissance régionale »
Esquisse cartographique publiée dans « Un monde à l’envers », Atlas 2009 du Monde diplomatique.

Les dernières années de l’ère Moubarak ont précipité l’Egypte dans une profonde léthargie qui lui a coûté sa place de « puissance régionale », rôle plus ou moins assumé aujourd’hui par une Turquie beaucoup plus dynamique. La révolution de 2011 aura eu pour effet de remettre à plat tous les problèmes et conflits que Le Caire entretient avec ses plus turbulents voisins. Il n’en reste pas moins que le pays reste un carrefour migratoire et économique d’une grande importance stratégique.

Le monde vu de Varsovie : un rêve, deux cauchemars

La pologne en voie d’évitement
Esquisse cartographique publiée dans « Un monde à l’envers », Atlas 2009 du Monde diplomatique.

Libérée de l’influence russe depuis le début des années 1990, la Pologne s’est immédiatement « jetée » dans les bras de l’Europe et des Etats-Unis, comme l’ont d’ailleurs aussi fait les pays baltes. Objectif : assurer leur sécurité en rejoignant le plus vite possible l’Alliance atlantique, puis, dans un second temps, l’Union européenne. Dans la perception polonaise, c’était une urgence absolue : l’Allemagne est toujours crainte, et les relations avec la Russie sont toujours mouvementées. La construction par les Russes des deux gigantesques pipelines Nord Stream et South Stream est ressentie à Varsovie presque comme un acte de guerre…

Géographie du plein, géographie du vide

Planète spéculative : tout ce que nous pouvons faire, c’est graviter autour…

« Aux marges externes de la légalité »
Esquisse cartographique publiée dans « Mondes émergents », Atlas 2012 du Monde diplomatique.

Rien n’est plus opaque que la grande finance spéculative. Mais, grâce au travail de fourmi des organisations non gouvernementales et de certains magistrats, on sait qu’elle représente des volumes de transaction et d’argent qui dépassent l’entendement. Selon des estimations concordantes, les sommes transférées dans le cadre de ventes et d’achats de produits financiers spéculatifs représentent 200 000 fois le produit intérieur brut du continent africain, ou l’équivalent de 1 920 000 Airbus A380 au prix catalogue… Dans ce contexte, les gouvernements sont toujours incapables de trouver des miettes de fonds financiers pour parer aux plus grandes urgences humanitaires. La dérégulation économique et financière qui date du début des années 1980 a fait entrer le monde dans une ère surréaliste. Michel Camdessus, l’ancien patron du Fonds monétaire international (FMI) et père des ajustements structurels qui ont dévasté l’Afrique et l’Asie, avait estimé que 100 milliards de dollars par an pendant vingt ans seraient suffisants pour régler définitivement les problèmes d’accès à l’eau potable et fournir des sanitaires corrects à l’ensemble de la population de la planète. Avec cet argent, on aurait pu le faire 3 600 fois…

Production, spéculation : le réel et l’irréel : le monde gras et le monde maigre

Quand le vide signifie tout
Esquisse cartographique inédite, 2013.

Quel que soit le bout par lequel on prend ce problème, les résultats sont toujours les mêmes. Au cours du temps, les revenus font le « grand écart » : ceux des habitants de la planète ou des ménages, comme ceux du travail ou de la finance. Il semble que plus personne n’arrive à contrôler ce processus emporté dans une spirale infernale. Que l’on compare l’économie « réelle » (productive) et « irréelle » (financière), ou encore les revenus des populations des pays les plus pauvres et ceux des pays les plus riches, les tendances sont les mêmes : les uns perdent de vue les autres, et dans la représentation graphique, le « vide » représente tout (le problème).

Nos amis les Walton : capter la richesse, 22 contre 425 000 000

Le poids réel d’une famille américaine
Esquisse cartographique inédite, créée pour l’exposition « Radikal Kartografi », Oslo, 2013.

En mars 2012, la fortune cumulée de ces 22 personnes représentait la moitié du PIB de l’Afrique subsaharienne. C’est-à-dire la richesse produite par 425 millions de personnes. Si l’on considère le PIB comme un indicateur crédible.

Carlos Slim 69 milliards de dollars
Bill Gates 61 milliards de dollars
Warren Buffett 44 milliards de dollars
Bernard Arnault 41 milliards de dollars
Amancio Ortega 38 milliards de dollars
Larry Ellison 36 milliards de dollars
Eike Batista 30 milliards de dollars
Stefan Persson 26 milliards de dollars
Li Ka-shing 26 milliards de dollars
Karl Albrecht 25 milliards de dollars
Christy Walton 25 milliards de dollars
Charles Koch 25 milliards de dollars
Sheldon Adelson 25 milliards de dollars
Liliane Bettencourt 24 milliards de dollars
Jim Walton 24 milliards de dollars
Alice Walton 23 milliards de dollars
Robson Walton 23 milliards de dollars
Mukesh Ambani 22 milliards de dollars
Michael Bloomberg 22 milliards de dollars
Lakshmi Mittal 20 milliards de dollars
George Soros 20 milliards de dollars
Michele Ferrero 20 milliards de dollars

L’espoir ? Un monde en révolte, un monde en résistance

Impossible résistance ?
Esquisse cartographique publiée dans « Mondes émergents », Atlas 2012 du Monde diplomatique.

« Le mouvement Occupy repose sur des principes fondamentaux de justice économique, sociale et environnementale. Mais certains d’entre nous veulent ajuster le système, tandis que d’autres préconisent des changements radicaux. Nous posons la question : réforme ou révolution ? »

C’est ainsi que The Occupied Times of London, journal des manifestants de la City, posait-il le dilemme auquel était confronté un mouvement qui veut représenter « les 99 % » contre une mince couche de profiteurs et de milliardaires. A travers les continents, et pour la première fois dans l’histoire sans en épargner aucun, une révolte multiforme exprime le rejet d’un système dont la folie a abouti à la plus grave crise économique, politique et morale depuis 1929.

Du Chili à la Grèce, de l’Egypte à l’Islande, du Sénégal à la Chine, de l’Australie au Maroc, partout s’exprime la volonté d’un monde plus juste, plus équilibré, plus soucieux de l’environnement. Mais il y a encore loin de cette aspiration à la définition claire d’un projet pour l’avenir.

Pour le changement.

D’autres esquisses de l’exposition ont déjà été publiées ici :

 Mourir aux portes de l’Europe : quatre esquisses cartographiques sur la question migratoire dans le monde (octobre 2013).

Et là :

 Rendez-vous à Sharon’s Stone : Vienne et l’Afrique, liens et itinéraires (novembre 2007).

Philippe Rekacewicz

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