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Demain, le Ku Klux Klan pour combattre le racisme ?

Israël élu à la commission de décolonisation de l’ONU

par Alain Gresh, 22 juin 2014

En juin 1967, dans un texte qui devait devenir célèbre, écrit pour un numéro des Temps modernes, la revue dirigée par Jean-Paul Sartre et consacrée au conflit israélo-arabe, le célèbre orientaliste Maxime Rodinson posait une question iconoclaste résumée par le titre : « Israël, fait colonial ? ». Il fallait un certain courage pour formuler une telle interrogation, à l’heure où la majorité des médias français se déchaînaient contre le président égyptien Gamal Abdel Nasser et voyaient dans la défaite de celui-ci une revanche de la guerre d’Algérie. A l’heure, aussi, où l’on discutait doctement du socialisme supposé d’Israël, et où des milliers de jeunes Français, juifs et non juifs, découvraient la vie communautaire dans des kibboutz.

Qu’écrivait Maxime Rodinson en substance ? Que l’immigration juive en Palestine s’inscrivait dans un mouvement bien plus universel de colonisation des terres soi-disant vierges (c’est-à-dire peuplées de barbares), ce que le fondateur du sionisme, Theodor Herzl, reconnaissait volontiers à l’époque. Quels qu’aient été les discours des pionniers du sionisme installés en Terre sainte, leur but était le même que celui des Français en Algérie ou des Européens en Amérique du Nord : conquérir la terre et en expulser ses habitants, tout cela au nom de la civilisation, bien sûr. J’ai longuement développé cette dimension coloniale dans De quoi la Palestine est-elle le nom ? (Les liens qui libèrent, Paris, 2009).

Dans ce livre, j’évoquais également un épisode de la fondation des Nations unies. Lors de sa première présentation, le préambule de la Charte de l’ONU, qui proclamait la foi dans les droits fondamentaux de la personne, fut lu par Jan Smuts, le premier ministre de l’Afrique du Sud, un pays où sévissait la ségrégation raciale.

C’est à un événement du même type mais moins médiatisé que l’on a assisté ce mois-ci. Comme le précise un communiqué du département de l’information de l’ONU :

« Malgré la forte opposition du Groupe des États arabes, M. Mordehai Amohai, d’Israël, a été élu aujourd’hui Vice-Président de la Quatrième Commission de l’Assemblée générale chargée des questions politiques spéciales et de la décolonisation. Les cinq autres “grandes Commissions” ont aussi complété leur bureau pour la soixante-neuvième session de l’Assemblée qui s’ouvrira le 16 septembre prochain. »

Lire Laurence Bernard, « Faillite de l’Union européenne en Palestine », Le Monde diplomatique, novembre 2013.Normalement, les membres des bureaux des commissions sont présentés par les groupes régionaux aux Nations unies et acceptés sans vote. La candidature d’Israël était présentée par le groupe des pays européens auquel ce pays appartient. Selon le communiqué des Nations unies, le représentant de Londres a protesté contre le refus exprimé par plusieurs pays arabes : « Son homologue du Royaume-Uni, au nom du Groupe des États d’Europe occidentale et autres États, a exprimé sa “déception” face à la décision du Groupe des États (arabes) d’appeler à un vote. “Contester une candidature soutenue par un Groupe régional est contraire aux normes et aux pratiques établies et crée un précédent dangereux pour les futures élections”, a-t-il dit. »

Le vote n’a été acquis que par 74 voix et 69 abstentions et, comme l’a précisé le représentant de la Libye : « C’est une honte pour l’humanité. (…) Pour la première fois dans l’histoire de l’Organisation, une entité occupante a été élue à la vice-présidence d’une commission chargée de mettre fin à la décolonisation. (…). Cette élection a montré clairement la défaite de l’entité israélienne, qui a reçu moins de la moitié des voix. »

« La paix c’est la guerre », proclamait Big Brother dans 1984, le roman de George Orwell. « La colonisation c’est la décolonisation », proclament aujourd’hui les Nations unies.

Lire Julien Salingue, « Alarmes israéliennes », Le Monde diplomatique, juin 2014.Cette élection, au moment même où Israël intensifie son programme de colonisation dans les territoires palestiniens signe, encore une fois, la démission de la plupart des Etats de la communauté internationale et, en premier lieu, de l’Union européenne (et de la France) qui a porté cette candidature (lire « Les Palestiniens abandonnés par la “communauté internationale” », OrientXXI, 16 juin). Elle montre aussi que seule la mobilisation de la société civile est apte, en ce moment, à sanctionner Israël, comme vient de le prouver la décision de l’Eglise presbytérienne, une des plus importantes aux Etats-Unis (1,8 million de membres), de retirer ses investissements de Caterpillar, Hewlett-Packard and Motorola Solutions (« Presbyterian Church votes to divest holdings to sanction Israel », The Guardian, 21 juin) pour leurs activités dans les territoires palestiniens occupés. Comme le rappelle un article du Monde diplomatique du mois de juin, c’est cette campagne BDS (boycott, désinvestissement, sanctions) qui provoque des « alarmes israéliennes », et qui permettra de venir à bout du colonialisme de Tel-Aviv.

NB : Le surtitre de cet article est emprunté à un tweet que j’ai reçu mais dont je n’ai pu retrouver l’auteur.

Témoignages du camp de Khiam (Sud-Liban)

Jeudi 26 juin (18h-20h) à l’Iremmo

Une rencontre animée par Alain Gresh avec :

 Soha Béchara, née à Beyrouth en 1967, elle grandit dans une famille chrétienne orthodoxe. En 1982, quand Israël envahit le Liban, elle adhère au parti communiste. En 1988, devenue membre de la résistance contre l’occupation, elle tente d’assassiner Antoine Lahad. Pour l’approcher, elle devient pendant plusieurs mois le professeur d’aérobic de son épouse. Après sa tentative d’assassinat, elle est remise aux forces israéliennes et est détenue sans procès dans la prison de Khiam. Suite à une importante campagne internationale, elle est libérée en 1998 et s’installe à Paris pour étudier. En 2000, elle publie son autobiographie écrit avec le journaliste du Monde Gilles Paris, Résistante (Paris, Jean-Claude Lattès, 2000).

 Cosette Ibrahim, née en 1975 à Beyrouth. Après des études de journalisme, elle est arrêtée en 1999 dans le Sud Liban. Elle est internée pendant neuf mois à Khiam, sans être jugée. Elle vit aujourd’hui en France où elle est journaliste à France 24.

Avec également la participation de Jean-Louis Chalanset, avocat de Georges Ibrahim Abdallah, qui fera un point sur l’état d’avancement de ce dossier.

Plus d’infos sur le site de l’Irremo. Inscription : infos@iremmo.org

Alain Gresh

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