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Paris dans l’œil du cyclone…

Les assassins de l’équipe de « Charlie hebdo » ont assuré avoir agi pour le compte ou avec le soutien d’Al Qaida dans la péninsule arabique (AQPA), tandis que le preneur d’otage de l’épicerie casher, Porte de Vincennes à Paris, se réclamait de l’Organisation de l’Etat islamique (OEI). Ces deux organisations ont félicité les jeunes Français d’avoir ainsi « vengé le Prophète » et puni la France de son engagement anti-musulman.

par Philippe Leymarie, 12 janvier 2015

Bien qu’il soit hasardeux de qualifier ces attaques terroristes — certes coordonnées, mais pour le moment relativement limitées — de « guerre », comme le font certaines autorités françaises, force est de constater que l’engagement multiple de la France sur les fronts de l’antiterrorisme place l’Hexagone en position de cible désormais aussi privilégiée, sinon plus, à l’heure actuelle, que l’historique « Satan » américain.

La station de radio RTL a diffusé samedi des extraits d’une conversation entre Amedy Coulibaly et ses otages, au supermarché Hypercacher de la porte de Vincennes, enregistrée vendredi après-midi à l’insu du preneur d’otages, dont le combiné téléphonique avait été mal raccroché : Coulibaly — tué dans l’assaut en fin d’après-midi, après qu’il a lui-même assassiné quatre otages — cite notamment l’action militaire française au Mali et les bombardements occidentaux en Syrie. « Ils essaient de vous faire croire que les musulmans sont des terroristes. Moi, je suis né en France. S’ils n’avaient pas été attaqués ailleurs, je ne serais pas là », se justifie Amedy Coulibaly devant ses otages, se réclamant également d’Oussama Ben Laden.

Sales Français

Ces derniers mois, les menaces s’étaient multipliées, avec notamment un appel en novembre signé de Abou Mohammed Al-Adnani, porte-parole de l’Organisation de l’Etat islamique (OEI) : « Si vous pouvez tuer un incroyant américain ou européen — en particulier les méchants et sales Français, attaquez-les avec des couteaux, avec des pierres, et remettez-vous en à Allah : tuez-le de n’importe quelle manière ». Mais on se souvient également de la déclaration plus ancienne (août 2009) de Ayman Al-Zawahiri, qui allait succéder à Oussama Ben Laden : « La France, qui prétend être un pays laïc alors que son cœur est plein de haine pour les musulmans, va payer pour ses crimes ».

Lire « “Guerre contre le terrorisme”, acte III », par Alain Gresh, Le Monde diplomatique, octobre 2014.Ces derniers jours, le magazine Inspire, émanation d’Al Qaida — qui avait placé dès 2013 Stéphane Charbonnier, alias Charb, le directeur de Charlie Hebdo, sur une liste « Recherchés morts ou vifs pour crimes contre l’islam » — a publié un portrait du dessinateur, barré d’une croix, avec cette légende : « Salutations et remerciements de la communauté islamique à ceux qui ont vengé le prophète Mohamed ».

Al Qaida et l’OEI, les deux mouvances djihadistes en concurrence, se sont répartis de fait les zones d’influence et rien ne les distingue sur le plan idéologique. La conquête et l’instauration du « califat » de l’OEI représente toutefois une militarisation plus aboutie du combat djihadiste, assortie d’un saut de génération, et une nette modernisation des moyens de communication (1).

Dans certains milieux musulmans, la France a — à tort ou à raison — la réputation :

 de combattre l’islam sur son territoire (interdiction de la burka et du voile intégral dans les lieux publics) ;
 d’avoir chassé les groupes armés radicaux du nord du Mali (l’opération Serval) ;
 d’avoir établi plus récemment un cordon de surveillance du Sahel en coopération avec cinq pays du « G5 » (2) (l’opération Barkhane) ;
 de coopérer avec le pouvoir fédéral nigérian dans la lutte contre la secte musulmane Boko Haram ;
 d’être intervenue en Centrafrique, aux côtés des chrétiens, pour repousser les ex-Séléka musulmans dans le nord du pays (l’opération Sangaris).

Hub terroriste

Des affirmations qui peuvent être retournés point par point :

 soucieuse de laïcité, la France est également protectrice des cultes, quels qu’ils soient, et s’efforce d’aider les communautés musulmanes à perfectionner la qualité de leurs clergés, à développer leurs modes de représentation, etc. ;
 l’opération de « nettoyage » au nord du Mali a été menée au profit d’un gouvernement musulman (Bamako) et avec l’aide de combattants d’un pays gouverné par des musulmans (Tchad) ;
 la secte Boko Haram s’est davantage distinguée dans les massacres de masse, ou l’enlèvement de centaines de jeunes filles, que dans le culte d’Allah ;
 la totalité des dirigeants et la grande majorité des populations des pays du « G5 » sahélien sont musulmanes ;
 l’intervention française en Centrafrique a permis d’enrayer une vague de massacres entre radicaux musulmans et chrétiens, qualifiée par certains de début de génocide ;
 l’intervention franco-américano-britannique de 2011 en Libye, par ailleurs très critiquée, avait été dirigée contre le régime laïc (pour l’essentiel) de Mouammar Kadhafi, au profit des clans islamistes, qui tiennent aujourd’hui le haut du pavé.

L’actuel gouvernement français, qui ne cesse d’attirer l’attention sur la gravité de la situation au sud de la Libye, devenu un « hub terroriste », repousse cependant l’idée d’une intervention unilatérale, sur le mode de ce qui avait été conduit en 2011 — une opération « qui nous est reprochée par le monde entier », comme l’avait admis un haut responsable militaire (Lire « L’hydre libyenne, hantise du Sahel »).

Pour justifier son engagement en Afrique, et notamment au Sahel, Paris invoque la nécessité d’assurer un « plancher de sécurité », à titre essentiellement préventif, à ces pays — le temps que le « G5 » sahélien, aidé par des forces africaines, soit en mesure de prendre totalement le relais. Mais il prévient — ne serait-ce que pour inciter par exemple le Mali ou la Centrafrique à consolider, par des élections régulières, la légitimité de leurs institutions — que les Français « ne sont pas là à vie »

Philippe Leymarie

(1Cf. Peter Harling, « Etat islamique, un monstre providentiel, Le Monde diplomatique, septembre 2014.

(2Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad.

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