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L’armée cajolée

Le sacre du printemps

Revêtant à nouveau un uniforme de général en chef qui lui a plutôt réussi jusqu’ici, le président François Hollande a tranché au cours du conseil de défense du mercredi 29 avril : nouvelle pause dans la baisse d’effectifs prévue de longue date (dix-huit mille cinq cents postes « sauvés ») ; et rallonge budgétaire de 3,8 milliards d’euros (sur quatre ans). En ces temps « d’après-Charlie », la défense a su se faire entendre, et peut renflouer ses caisses que Bercy (le ministère des finances) rêvait de percer…

par Philippe Leymarie, 30 avril 2015

Irak, Mali, Sahel, Centrafrique, Méditerranée, océan Indien, et depuis janvier dernier l’opération Sentinelle (un coup de pouce à la police et à la gendarmerie dans l’Hexagone) : les armées menaçaient de ne pouvoir tenir le rythme actuel des engagements. Et s’inquiétaient de voir à nouveau érodé un budget militaire pourtant présenté comme « sanctuarisé »…

Les effectifs revus à la hausse. Le gouvernement, après les attentats de Charlie hebdo et de l’Hyper Cacher, avait déjà renoncé à sept mille cinq cents suppressions de postes, sur les trente-quatre mille prévues par la Loi de programmation militaire (LPM). Il s’agissait, dans l’urgence, de tripler les déploiements sur le territoire national, au titre du plan Vigipirate.

Ce ballon d’oxygène pour les armées - notamment l’armée de terre et accessoirement, la marine, qui sont les plus sollicitées depuis le début de cette année – a permis de tenir quelques semaines. Mais, la menace ne faiblissant pas, et l’opération Sentinelle ayant été prolongée, cela ne suffit plus.

L’état-major général estimait que, sur le long terme, avec près de dix mille hommes en opérations extérieures, et autant pour protéger les lieux sensibles sur le territoire national, il fallait aller jusqu’à dix-huit mille cinq cents postes maintenus, compte tenu des formations, entraînements, relèves et congés : il a obtenu satisfaction, mais c’était une décision difficile à prendre au moment où l’Etat, sous la pression de Bruxelles, de la droite, etc., est censé serrer les boulons sur tous les budgets.

Et donc sur les effectifs : la défense devait être le grand réservoir de baisse du nombre de fonctionnaires, pour « compenser » les hausses prévues depuis le début du quinquennat dans l’éducation nationale, la police et la justice. Finalement, il a été demandé aux armées de s’organiser pour fournir en permanence sept mille hommes au titre de l’opération « Sentinelle ».

Des sous à trouver. Le budget défense était en principe « sacralisé » à 31,4 milliards d’euros par la dite LPM, avec un axe triple : baisse des effectifs, renflouement de certains matériels, et amélioration de la condition militaire. Mais c’était sans compter sur l’actuelle mobilisation antiterroriste. Et sur la nécessité de renforcer notamment les capacités en protection des sites sensibles, renseignement, hélicoptères, cyberdéfense, ou drones.

En outre, le budget « sacralisé » pour 2015 tablait sur 2,2 milliards d’euros de recettes dites « exceptionnelles » (REX) au titre de la vente de fréquences militaires hertziennes par l’Etat sur lesquelles, finalement, il ne faudra pas compter avant décembre prochain, voire plus tard. D’ici là, le ministère de la défense aurait été… en cessation de paiement, vis à vis de ses nombreux fournisseurs !

Donner du mou

Lire aussi « En Allemagne, embarras autour des ventes d’armes, Le Monde diplomatique, mai 2015En revanche, l’inflation plus faible que prévu, et la baisse des prix du carburant – dont les armées sont de gros consommateurs – donnent du « mou ». De même que la vente de chasseurs Rafale à l’Egypte et à l’Inde, et maintenant au Qatar : les commandes de l’armée de l’air et de la marine françaises – jusqu’ici clientes uniques de Dassault –, qui avaient notamment pour fonction de maintenir en activité la chaîne de fabrication dans l’espoir d’une ouverture un jour du marché à l’export, pourront être décalées. Reste que cela ne suffisait pas…

Exit les « sociétés de projet ». C’était l’autre trouvaille dénichée, au ministère de la défense pour donner du « mou » à son budget : faire acheter certains matériels en cours de livraison aux armées par des sociétés créées pour l’occasion, qui les loueraient aux armées ! Pour les financiers, il s’agissait d’un montage acrobatique ; pour les cadres du ministère de la défense, au contraire, d’une planche de salut : pour 2015, cela aurait concerné trois frégates FREMM de nouvelle génération, et quatre avions de transport Airbus-A400M.

Mais, pour les financiers de Bercy, le coût final risquait d’être plus lourd qu’un achat franc ; et les dépenses de ces sociétés de projet auraient été comptabilisées en dette publique, ce qui faisait mauvais effet au moment où le gouvernement cherche à la diminuer. Des parlementaires s’inquiétaient , comme Valérie Rabaud, rapporteure socialiste du budget : « On a peu d’information sur ces sociétés de projet : qui en sera l’actionnaire, est-ce qu’il y aura de l’actionnariat privé, à quelle hauteur ? »

Au final, le délégué général pour l’armement lui-même, Laurent Collet-Billon, semblait trouver cette procédure plus ou moins ubuesque, pour 2015 comme pour les années suivantes. Car, écrit Michel Cabirol dans La Tribune, « le match (le clasico) Bercy-Brienne n’est pas prêt de s’arrêter » : le ministère de la Défense a besoin encore de 1,7 milliard d’euros de « REX » en 2016, 1,5 milliard en 2017, 300 millions en 2018 et 150 millions en 2019. Soit au total 3,65 milliards d’euros entre 2016 et 2019, les quatre derniers budgets de l’actuelle loi de programmation militaire (LPM).

L’Elysée, donnant un gage à Bercy, a mis fin à ces montages financiers plutôt cavaliers, le président Hollande ayant assuré à l’issue du conseil de défense « qu’en 2015, les crédits du ministère de la défense sont sanctuarisés et sont des crédits budgétaires, sans aucun appel à des ressources extérieures ». Donc plus de sociétés de projet ; et plus d’inquiétudes sur les « TEX » qui ne seraient pas au rendez-vous : la rallonge promise – 3,8 milliards d’euros sur quatre ans – est censée combler tous les trous budgétaires (et tient compte des économies que pourraient réaliser elles-mêmes les armées, grâce à la baisse des cours du pétrole, au décalage des programmes Rafale, etc.). Reste que l’Etat devra trouver les 3,8 milliards quelque part…

Mistral perdant. Bien sûr, comme pour les Rafale, il ne s’agit pas de rentrées dans les caisses de l’Etat, encore que ce dernier reste actionnaire de référence de la DCNS – l’industriel maître d’œuvre de la construction des bâtiments type « Mistral ». Mais il faudra apparemment compter sans la vente des deux bâtiments de projection et commandement (BPC) aux Russes – déjà baptisés Vladivostok et Sebastopol, et qui rouillent tranquillement à quai à Saint-Nazaire, prêts à la livraison depuis plusieurs mois, avec des équipages russes déjà formés.

Petit nuage

Le président François Hollande, après avoir rencontré Vladimir Poutine à Erevan (Arménie) le 26 avril, a bien assuré qu’aucune décision n’était encore prise, mais il semble persuadé que les conditions mises à la livraison – une attitude plus coopérative des Russes en Ukraine – ne seront jamais réunies, et envisage déjà le remboursement des sommes déjà versées par Moscou…

Si le président français semble se consoler aussi vite, c’est qu’il est sur un petit nuage après le déblocage des ventes de Rafale à l’export (qui assure, compte tenu maintenant du marché au Qatar, jusqu’à sept ans de travail au moins à l’usine Dassault de Merignac et aux cinq cents sous-traitants du programme), et après la mise en œuvre du contrat DONAS, programme de livraison de matériel d’armement français aux forces armées libanaises financé par l’Arabie saoudite (2,5 milliards d’euros).

Et qu’il a maintenant en vue un méga-contrat polonais : la vente à Varsovie de soixante-dix hélicoptères lourds Caracal (Airbus Eurocopter), partiellement construits sur place, pour 3 milliards d’euros. Les Polonais, hostiles depuis l’origine à la vente des BPC français à la marine russe, ne sont pas pour peu dans le désengagement à l’égard de Moscou : c’était ca ou pas de Caracal, avaient-ils menacé.

Sans importance

Quant à Vladimir Poutine, jusque-là assez patient sur cette histoire de commande non honorée par la France, il avait laissé entendre le 16 avril dernier que la marine russe pouvait très bien se passer de ces bâtiments, et que cette commande effectuée en 2010 (pour 1,2 milliard d’euros tout de même) s’était voulue surtout un coup de pouce à une industrie navale française en perdition : « Le refus de livrer les navires conformément au contrat est un mauvais signe bien sûr, mais du point de vue du soutien de nos capacités de défense, je vais vous le dire franchement, c’est sans importance », avait-t-il déclaré lors de sa séance annuelle de questions réponses avec les Russes à la télévision.

Philippe Leymarie

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