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« Winter Guests » : réfugiés et acteurs syriens

par Marina Da Silva, 7 mars 2016
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Toutes les photos du billet sont de Jérémie Lortic.

Ils sont trois garçons et trois filles, Rammah Alnabwani, Issa Alissa, Yazan Hawash, Rasha Zeid, Aya Attrash, Saly Al Jam. Ils ont tous fui la Syrie. Dans le déchirement le plus total mais parce qu’ils n’avaient pas d’autre issue. Yazan et Rasha sont Palestiniens et vivaient dans le camp de Yarmouk. En 2012, Yasan, aujourd’hui 22 ans, le quitte pour aller voir un moment sa famille en Arabie saoudite. Empêché de rentrer, il se retrouve ensuite en Egypte, et doit s’en aller de nouveau près le coup d’Etat militaire de juillet 2013. Winter Guests (Invités d’hiver) est plus qu’une pièce de théâtre, c’est une pièce de résistance. Elle donne un espace de témoignage et un visage à des réfugiés syriens dont on n’entend pas la parole, les met face à un public qui ne les aurait peut-être jamais rencontrés.

Lire aussi Hana Jaber, « Qui accueille vraiment les réfugiés ? », Le Monde diplomatique, octobre 2015.

Aurélie Ruby est metteure en scène. Mariée à un Syrien, elle est aussi très impliquée dans les réseaux de solidarité avec les réfugiés. Elle travaille avec des associations qui leur viennent en aide et anime des ateliers de théâtre pour les accompagner dans leur apprentissage du français. Le projet qui naît de cette expérience est assez exceptionnel, l’ambition de cette création théâtrale étant d’ouvrir un espace aux jeunes pour raconter eux-mêmes leur histoire, en les invitant à être à la fois sujets et acteurs. « Tout vient d’eux. J’ai beaucoup travaillé pour éviter le sentiment de leur voler leur histoire. C’est un projet fait pour eux et par eux. » Un projet porté par sa compagnie, la compagnie du Pas Suivant, avec Hamid Sulaiman, son mari, dessinateur et peintre, qui a créé les vidéos du spectacle, ainsi que Laura Oriol, une chorégraphe de butō (danse japonaise), et les musiciens Kalev et Mohanad Aljaramani. Au départ, tous voulaient rendre hommage à la jeunesse oubliée du printemps arabe. « Aujourd’hui, c’est la volonté de faire société ensemble qui nous porte ».

Les six jeunes qui assument de rester sur le plateau (ils étaient une dizaine au départ mais leurs conditions de vie sont très instables) font face au public en un chœur à la fois tragique et lumineux, soudés autour de leur histoire. Ils la déclinent comme on feuillette les pages d’un livre arabe, de droite à gauche, depuis leur vie présente jusqu’à leur vie passée. Ce qui frappe, c’est leur vitalité et leur bonheur à jouer, leur manière de dépasser le malheur. Lequel n’a pourtant pas cessé à leur arrivée en France. Sans aide, les réfugiés doivent lutter pour survivre. Et lorsqu’ils sont aidés, il leur faut encore se battre pour obtenir des papiers. Des démarches qu’ils racontent dans une balade époustouflante, en mimant une scène d’attente à la préfecture : « Le migrant vient le jour suivant / Le migrant vient / Il est toujours vivant ! »

Le premier malheur, celui de leur vie d’avant, est indicible. C’est celui de la guerre et de la destruction, de la terreur et de la dislocation des liens sociaux. Des manifestations réprimées sauvagement. De la prison. Il est évoqué dans des vidéos sur lesquelles le corps des jeunes acteurs présents en plateau vient s’imprimer, comme pour conjurer les scènes vécues. Ils reconstituent ainsi l’espace de la rue d’où il faut s’échapper en traversant sous les obus, ou cette place où ils déploient leurs cris « Houria » (liberté) et leurs drapeaux. Leur peur et leur défi se transmettent par ondes électriques.

Alors que « l’exil de l’âme » des réfugiés qui arrivent en Europe est amplifié par l’indifférence, Winter Guests offre un espace de confrontation salutaire. Alors que nos vies se télescopent de plus en plus avec les guerres du Proche-Orient, les réfugiés en sont le trait d’union : ils nous interpellent sur la place que nous leur faisons. « J’avais besoin de donner quelque chose aux Syriens, explique Aurélie, et c’est l’endroit de l’art de travailler sur la déconstruction des clichés. Je crois que le théâtre a sa place à jouer dans la société. »

Le théâtre, certains d’entre eux n’y étaient jamais allés de leur vie, d’autres avaient déjà une expérience théâtrale ou musicale mais encore fallait-il s’exposer sur un plateau, dans un pays dont on n’a pas les codes et la langue, avec ses souffrances et ses rêves. On est soufflé et touché par ce théâtre de vérité, indispensable et reconstructeur.

Winter Guests sera donné le samedi 12 mars à 15h au Théâtre de Verre (Paris XIX) pour le festival L’Appel à la Lune et espère développer sa tournée (soutenir le projet).

La pièce était présentée à Confluences dans le cadre du festival Péril(s), dont le programme, du 11 février au 19 mars, refuse de « souscrire au fatalisme et d’accepter la guerre, la crise, la catégorisation des individus et la montée des nationalismes » et se décline en deux axes : la Syrie et le travail. Lieu emblématique, dirigé par Ariel Cypel, Confluences avait notamment lancé, avec d’autres théâtres, l’appel « Ouvrons nos lieux » pour accueillir des réfugiés et les accompagner dans toutes leurs démarches. Le premier volet de Péril(s) offrait donc un espace aux artistes et penseurs syriens « afin qu’ils prennent le temps de s’exprimer sur des années de lutte politique, sur l’exil et ses conséquences, le rapport entre art et politique, la révolution spoliée, des espoirs à construire. » Le second volet sur le Travail semble tout aussi prometteur.

Marina Da Silva

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