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Le rapport européen qui accable Ali Bongo

Un mois après un premier rapport critique rédigé par des juristes de l’Union africaine, la mission d’observation électorale de l’Union européenne vient de rendre son rapport final. Le texte pointe du doigt de nombreuses « anomalies » qui « mettent en question l’intégrité du processus de consolidation des résultats et du résultat final de l’élection » d’Ali Bongo lors du scrutin du 27 août.

par Olivier Piot, 14 décembre 2016
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Ali Bongo (en 2012 à Londres)

«La vérité, l’âpre vérité ! ». Formulée par Danton, cette vieille injonction éthique obsède la société gabonaise depuis plus de trois mois. Ouverte après l’annonce de la victoire du président sortant, M. Ali Bongo, au scrutin présidentiel du 27 août, la crise post-électorale est décidément loin d’être terminée dans ce petit pays d’Afrique centrale. Alors que l’opposant et candidat malheureux, Jean Ping, ne cesse de faire valoir depuis sa victoire par les urnes en dénonçant des « fraudes » manifestes lors du décompte officiel des voix, la Mission d’observation électorale (MOE) de l’Union Européenne au Gabon vient de jeter un nouveau pavé dans la mare. Dans leur rapport final, un texte très documenté — 65 pages avec de nombreux graphiques et tableaux —, rendu public le 12 décembre à Libreville, les observateurs de l’UE livrent des conclusions accablantes pour le camp d’Ali Bongo.

Lire aussi Olivier Piot, « Au Gabon, la mécanique du népotisme s’enraye », Le Monde diplomatique, octobre 2016.

En plus de mentionner de nombreux « déséquilibres » dans le déroulé même de la campagne électorale (dont l’accès aux médias et les moyens mis à la disposition des différents candidats, à l’avantage du pouvoir exécutif), la MOE rappelle que trois organes étaient officiellement chargés de l’organisation de l’élection présidentielle : le ministère de l’intérieur (MDI), la Commission électorale nationale autonome et paritaire (CENAP) et la Cour constitutionnelle.

S’agissant de la CENAP, le rapport souligne que « le lien de subordination de nombreux membres de la CENAP et ses démembrements à l’administration publique et au parti majoritaire [celui d’Ali Bongo] est de nature à remettre en cause leur indépendance et leur impartialité ». Qui plus est, lors de la collecte des résultats du vote, la MOE note qu’en « l’absence de directives de la CENAP, les commissions électorales locales ont mis en place leurs propres procédures de centralisation des résultats. Contrairement aux dispositions de la Loi électorale [celle du Gabon], les commissions électorales compétentes, réceptionnant les procès-verbaux (PV) des bureaux de vote (BV), ont omis de manière systématique de procéder à l’affichage public des PV des bureaux de vote traités ».

Sur la base des résultats publiés par le MDI, le 31 août, après cette centralisation de la CENAP — « qui a pris sa décision à la majorité et sans la participation des représentants de l’opposition », souligne le rapport —, M. Ali Bongo a été crédité de 49,80 % des suffrages, devançant Jean Ping (48,23 %) de 5 594 voix. Dans la province très contestée du Haut-Ogooué, la MOE relève « un processus de consolidation particulièrement opaque et des anomalies au niveau des commissions électorales », dont notamment un taux de participation officiel publié par le MDI de 99,93 % avec pas moins de 95,47 % des suffrages en faveur du président sortant. « Le taux de participation au niveau national, sans le Haut-Ogooué, s’évalue à 54,24 %, souligne le rapport. Le nombre d’abstentions et des bulletins blancs et nuls dans une seule des 15 commissions électorales locales (CEL) de cette province est supérieur à celles annoncées pour l’ensemble des 15 CEL de la province » poursuivent les rapporteurs qui assurent que « ce constat remet en question l’intégrité des résultats de la province ». D’autant que les résultats de cette province ont inversé à eux seuls la tendance constatée par la mission sur la base des résultats annoncés par les gouverneurs des huit autres provinces du pays…

La principale conclusion du rapport est alors clairement formulée par ses auteurs : « Ces anomalies mettent en question l’intégrité du processus de consolidation des résultats et du résultat final de l’élection ». Enfin, s’agissant des recours déposés après l’élection auprès de la Cour constitutionnelle du Gabon, notamment par le candidat Jean Ping — recours finalement rejeté —, le rapport est là encore catégorique : « La MOE regrette l’opacité dans laquelle la procédure contentieuse des résultats a eu lieu. En effet, la Cour n’a fait droit à aucune des demandes des requérants. La confrontation des PV présentés par les plaignants, essentielle pour vérifier la validité des PV fournis par la CENAP ainsi que la transparence du processus, n’a pas été autorisée. Ceci alors que la majorité des PV contestés par le défendeur, Ali Bongo, ont été annulés par la Cour. L’accès des parties au contentieux et des observateurs de la MOE aux phases techniques de recompte n’a pas été autorisé ».

Trois mois après les premières contestations violentes des élections par la rue gabonaise, ce rapport final de la MOE ne fait que confirmer les accusations de fraudes dont est entachée la réélection d’Ali Bongo. D’autant que ce texte de synthèse intervient trois semaines après la publication exclusive (1), le 17 novembre, par Radio France Internationale (RFI) d’un autre document émanant cette fois de l’Union Africaine (UA). Alors que Jean Ping avait appelé, en septembre, au recomptage des voix, une mission électorale de juristes africains, mandatés par l’UA, avait été envoyée au Gabon pour assister à l’examen des procès-verbaux. Dans une courte synthèse de trois pages, les juristes de l’UA expriment leurs doutes sur l’élection d’Ali Bongo. Selon eux, les PV du Haut-Ogooué sont présentés comme « invraisemblables » et décrits comme « si bien rédigés, ordonnés », avec une « coïncidence entre le nombre d’inscrits, celui des suffrages exprimés et leur attribution quasi totale à un seul candidat » (2). Au final, leur « lisibilité est si nette qu’ils ne peuvent que susciter des interrogations », concluent les auteurs du document qui demandaient alors que soit différée la proclamation des résultats. Peine perdue.

Les observateurs insistent sur l’« opacité » de l’élection et le caractère disqualifiant des anomalies les plus évidentes dont ils ont été témoins

Avec ces deux documents à charge contre Ali Bongo, le secret de Polichinelle qui entourait jusqu’ici le « rapt électoral » dont bénéficiait le président sortant est-il en passe d’être levé ? Les autorités gabonaises ont aussitôt critiqué le rapport de la MOE. Au total, la mission européenne ne disposait que de 73 observateurs qui n’ont pu surveiller que 260 bureaux de vote sur le terrain, soit 10 % du nombre total, arguent-elles. Certes, mais les faits observés dans ces bureaux ne suffisent-ils pas à eux seuls à décrédibiliser l’ensemble des résultats officiels ? C’est l’avis de la MOE qui insiste sur l’ « opacité » de l’élection et le caractère disqualifiant des anomalies les plus évidentes dont elle a été témoin. Dans le département de Moanda (au sein de la province du Haut-Ogooué), par exemple, « plus de 5 000 personnes n’ont pas voté » alors que le PV final fourni par les autorités compte seulement… 47 non-votants !

« Il n’y avait pas opacité, il y avait refus justifié par le fait que tel n’était pas l’accord avec la CENAP, donc refus que les observateurs [ceux de la MOE] assistent aux opérations de dépouillement », a aussitôt réagi Alain Claude Bilie Bye Nze, le ministre gabonais de la communication, au lendemain de la publication du rapport final. De son côté, selon Jean Ping, l’opposant à Ali Bongo arrivé second dans les résultats officiels, « ce rapport confirme sans ambiguïté ce que nous avons toujours déclaré sur cette élection présidentielle. Mieux, il démontre de manière incontestable que c’est moi, Jean Ping, qui suis le vainqueur de l’élection présidentielle ». Et de poursuivre : « Jusque-là, nous avons fait le choix de la légalité républicaine, encouragés en cela par la communauté internationale que nous prenons désormais à témoin. Nous considérons avec gravité, à compter de ce jour, que nous sommes arrivés au terme de cette démarche ».

Réponse d’Alain Claude Bilie Bye Nze : « Eh bien que Jean Ping prête serment et qu’il devienne président si ça peut lui faire du bien de se satisfaire moralement (…) Nulle part dans ce rapport il n’est écrit que Jean Ping est président élu au Gabon. ». Certes. Il n’était d’ailleurs pas dans les prérogatives de la MOE de tirer et d’écrire elle-même ce genre de conclusion. Mais à quel autre résultat pourrait bien conduire le rapport final de la MOE ? Chacun sait bien, à Paris, New-York, Bruxelles et Libreville que l’enjeu de ce rapport était précisément d’établir les conditions de la réélection d’Ali Bongo, et donc la légitimité de sa nouvelle investiture. Si aucune des conclusions du rapport ne spécifie que Jean Ping a été élu président du Gabon, elles convergent toutes vers un fait : Ali Bongo n’a pas été élu de façon transparente et intègre.

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Jean Ping

Dans un entretien accordé au Monde Diplomatique le 14 décembre, Jean Ping (3) a accepté de réagir plus longuement au rapport de la MOE et à certaines déclarations qui ont émaillé la période qui a précédé sa publication, avec diverses réactions de Paris sur la crise post-électorale au Gabon. Alors que le ministre français des affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault, s’en tenait depuis septembre aux « doutes » que lui inspirait les méthodes de calcul des résultats officiels du scrutin, Manuel Valls, toujours premier ministre, déclarait subitement sur France 24, le 30 octobre : au Gabon, « il y a un président, il y a eu des résultats proclamés, il faut apaiser. Ce que moi j’attends, c’est qu’il y ait dialogue car la confrontation, au Gabon comme ailleurs, ne peut pas être la voix qui s’impose ». La France souhaitait-elle ainsi signifier qu’elle prenait acte de l’élection d’Ali Bongo ?

« Nous avons souvent constaté l’usage qui consiste à recourir systématiquement aux autorités françaises pour se donner la légitimité que l’on n’a pas acquise dans les urnes. Mais ces temps sont révolus ; aujourd’hui ce sont les peuples qui désignent librement leurs dirigeants et la France, notre partenaire historique, devrait accompagner cette évolution positive. Monsieur Manuel Valls s’est certainement trompé d’époque », commente Jean Ping. Avant de préciser : « Désormais, ce rapport est la vérité du monde entier. Nous attendons donc de cette communauté internationale et notamment de l’Union européenne, l’Union africaine, les Nations unies, qu’elle en tire toutes les conséquences de ce rapport ». Dans un contexte africain tendu par d’autres litiges électoraux — en République démocratique du Congo (RDC) et, plus récemment, en Gambie —, on voit mal comment la communauté internationale pourrait dorénavant faire l’impasse sur le choix de la vérité au Gabon.

Lire aussi Sabine Cessou, « Transition à haut risque en République démocratique du Congo », Le Monde diplomatique, décembre 2016.

Jean Ping l’a bien senti, lui qui brandit l’étendard de sa légitime élection depuis des semaines. Certes, cet homme de 64 ans est lui-même issu du sérail du Palais de Libreville. Plusieurs fois ministre sous le régime d’Omar Bongo, le père, dont il fut aussi le gendre, il est par la suite devenu président de l’Assemblée générale des Nations Unies (2004-2005) puis président de la Commission de l’Union africaine (2008-2012). D’inspiration libérale, son programme n’enthousiasme guère bon nombre de gabonais soucieux de justice sociale et de redistribution des richesses au Gabon. Mais voilà, candidat unique de l’opposition, il est pour beaucoup le seul bélier politique capable de menacer la dynastie Bongo. Qui plus est, il assure savoir ce qu’il doit et devra au peuple gabonais. « Le peuple à qui appartient la souveraineté et qui l’a exercé en m’élisant président de la République sait maintenant qu’il lui appartient de se donner les moyens d’accéder à la légalité confisquée. D’où la convocation par mes soins du Dialogue national pour l’alternance, qui aura lieu du 18 au 23 décembre prochain à Libreville », annonce-t-il. Et de prévenir : « Dans tous les cas, si le peuple gabonais constate comme cela commence à l’être qu’il est définitivement abandonné par la communauté internationale, alors il prendra ses responsabilités et personne ne le lui reprochera ». Au risque de donner l’occasion (et le prétexte) au régime d’Ali Bongo de le mettre en prison ? « Je suis l’élu du peuple gabonais. Ce peuple est détenteur de la souveraineté nationale et par le poids du nombre, il constitue un facteur de puissance politique certain. Si les prisons ont suffisamment de places, elles devraient donc m’accueillir avec tout le peuple gabonais qui est prêt à aller jusqu’au bout avec moi. Avec ce pouvoir-là, tout est possible, y compris de m’assassiner. Je dis “chiche !” »

Olivier Piot

(2Lire « L’Echos du Nord », no 375 à 377 — novembre 2016.

(3Auteur de deux articles dans les colonnes du mensuel.

Sabine Cessou ouvre exceptionnellement son blog à Olivier Piot.

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