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Les « microbes » ivoiriens, séquelles de la crise

par Sabine Cessou, 26 janvier 2017
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Image issue de La Cité de Dieu de Fernando Meirelles et Kátia Lund, référence des « microbes ».

Qui sont les « microbes » ivoiriens ? Ce phénomène de société a fait son apparition après la violente crise post-électorale de 2010-2011, dont il représente l’une des séquelles les plus voyantes. De jeunes garçons, des délinquants juvéniles de 8 à 25 ans opérant par bandes de 15 à 20, sévissent à l’arme blanche — couteau, hache, machette ou gourdin — pour détrousser les passants dans les quartiers populaires d’Abidjan. Ces « coupeurs de route » ont semé la peur à Abobo d’abord, puis Adjamé, Yopougon, Anyama et Attécobé.

Lire aussi Vladimir Cagnolari, « Croissance sans réconciliation en Côte d’Ivoire », Le Monde diplomatique, octobre 2015.

Les noms de ces quartiers ne sont pas anodins : Abobo et Yopougon ont été les épicentres de la crise politique, Yopougon étant considéré comme le fief des partisans de Laurent Gbagbo, tandis qu’Abobo a abrité les défenseurs armés d’Alassane Ouattara, des « commandos invisibles » s’étant accrochés plusieurs fois avec l’armée régulière entre décembre 2010 et avril 2011.

Des rafles de 11 500 personnes

Une opération « Épervier » a été lancée en mai dernier par la police pour ratisser ces quartiers et procéder à des rafles de jeunes suspects. En trois mois, plus de 11 500 personnes ont été interpellées, sur lesquelles 250 ont été déférées au parquet. Des centaines d’armes ont été saisies, comprenant six armes à feu, des Kalachnikov et pistolets automatiques. Quelque 166 « fumoirs » ont été fermés et 2950 tonnes de cannabis confisquées.

Le phénomène a pris une telle ampleur ces dernières années que la justice populaire est entrée dans la danse, tuant de façon atroce les chefs des microbes — l’un a été décapité en 2015, l’autre éventré à coups de machette en 2016.

La jeunesse, une bombe à retardement

Francis Akindès, professeur de sociologie à l’Université de Bouaké, ville du nord de la Côte d’Ivoire, s’est lui aussi penché sur la question. Spécialiste de la violence politique, il s’est demandé pourquoi une société, « à un moment donné de son histoire, commence à générer des gangs d’enfants ». Ses recherches l’ont poussé à réaliser un documentaire plus général qui met en garde sur le potentiel hautement explosif d’une jeunesse sans perspectives, intitulé « L’Espoir d’un emploi » :

Pourquoi les microbes sont-ils apparus en 2011, dans la foulée de la crise post-électorale, alors que les enfants de la rue, issus de familles souvent monoparentales et la plupart du temps précaires, existaient déjà à Abidjan sans se livrer à de telles violences ?

« La Cité de Dieu » comme référence

Son explication, livrée au quotidien Fraternité Matin : « En 2010, ces enfants ont vu un monde d’adultes complètement décomposé, apeuré par les affres de la violence post-électorale. Ils en ont été les victimes. La mort leur est devenue un fait banal. Mais ils ont appris aussi à profiter des moments de troubles qui furent pour eux de belles opportunités pour arracher des biens aux autres. Et ils y ont pris goût. Avec les vidéoclubs qui pullulent dans les quartiers précaires et qui distillent des films violents, tous ces jeunes ont vu La Cité de Dieu, tourné dans une favela au Brésil. Ils ont pour idole Zé Pequeño, un enfant de leur âge, héros du film qui a évolué dans des conditions extrêmement difficiles et qui a fini par s’imposer par la violence ».

La réponse répressive ne suffira pas, assure-t-il, invitant le pouvoir à engager un dialogue constructif avec ces jeunes, pour leur proposer des solutions qui se font encore attendre.

Sabine Cessou

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