Si l’on en croit le journaliste américain Seymour M. Hersh (1), les Etats-Unis et Israël avaient longuement préparé l’intervention militaire au Liban, qui s’inscrivait dans la stratégie d’isolement de l’Iran : un coup mortel porté au Hezbollah « neutraliserait » le front libanais et empêcherait Téhéran de frapper Israël à partir du Liban en représailles à un bombardement de ses installations nucléaires (2).
L’échec de l’offensive israélienne contre le Liban pose de difficiles dilemmes à l’administration Bush alors que le dossier nucléaire iranien revient sur le devant de la scène diplomatique :
— le gouvernement iranien a annoncé qu’il répondrait le 22 août aux propositions des membres du Conseil de sécurité (et de l’Allemagne) concernant le nucléaire ;
— le 31 août arrive à échéance l’ultimatum fixé par la résolution 1696 du Conseil de sécurité de l’ONU (31 juillet 2006, Conseil de sécurité, 5500e séance matin) à Téhéran d’arrêter son programme d’enrichissement du nucléaire.
Les propositions transmises par Javier Solana au nom de l’Union européenne et de « la communauté internationale » supposent la suspension par l’Iran de son programme d’enrichissement de l’uranium (dont il faut rappeler qu’il est pourtant un droit reconnu par le traité de non-prolifération nucléaire). En échange, diverses promesses sont faites à Téhéran :
— l’aider dans son programme nucléaire, notamment en installant des réacteurs à eau légère, et en lui garantissant de l’uranium enrichi qui serait produit en collaboration avec la Russie, sur le territoire russe ;
— retirer la question du nucléaire iranien de l’ordre du jour du Conseil de sécurité ;
— quelques promesses dans le domaine de la coopération économique et commerciale ;
— « l’appui à une nouvelle conférence pour promouvoir le dialogue et la coopération régionaux sur les questions de sécurité ».
Je ne peux revenir ici sur toute l’histoire des discussions autour du nucléaire iranien (on pourra lire l’excellente étude de Gareth Porter, dans The American Prospect de juin 2006, ainsi que le dossier du Monde diplomatique de novembre 2005).
Mais il faut insister sur un point. La négociation avec l’Iran dépasse évidemment la question du nucléaire : les dirigeants de Téhéran ont toujours demandé des « garanties de sécurité » dans un contexte régional troublé et les menaces incessantes de Washington de pousser à « un changement de régime » en Iran. L’accord du 14 novembre 2004 entre les trois Européens (France, Grande-Bretagne et Allemagne) et l’Iran, au terme duquel Téhéran avait renoncé provisoirement à l’enrichissement de l’uranium, avait mentionné qu’un accord à long terme entre les Européens, les Américains et l’Iran « fournirait des engagements fermes sur les questions de sécurité ». Or la formulation de la proposition de Solana ne contient rien de tel. Et pour une raison simple : les Etats-Unis refusent de renoncer à leurs tentatives de déstabilisation de l’Iran et les Européens se sont ralliés à leur formulation. Dans ces conditions, on voit mal Téhéran accepter de renoncer, avant toute négociation, à l’enrichissement de l’uranium, alors qu’on ne lui propose rien de concret.
Pourtant, et contrairement à ce que répètent médias et responsables politiques occidentaux, l’Iran a formulé à plusieurs reprises des propositions constructives. Une organisation non partisane américaine, le Arms Control Association, publie sur son site la liste des propositions formulées par les Iraniens depuis 2003 et qui couvrent toute une série des préoccupations occidentales, du nucléaire à l’aide aux « organisations terroristes ».
Sur le risque que l’Iran devienne une puissance nucléaire, Edward N. Luttwak, un spécialiste américain des questions stratégiques, dans un article intitulé « Three reasons not to bomb Iran – Yet » (Trois raisons de ne pas bombarder l’Iran, pour l’instant), publié en mai 2006 dans la revue conservatrice Commentary, écrit que, si le régime iranien ne doit pas être autorisé à acquérir l’arme nucléaire, un bombardement immédiat de l’Iran produirait des effets contraires à ceux recherchés. D’autant que, selon lui, « le régime ne peut sûrement pas produire une bombe atomique avant trois ans, et même alors il ne serait sans doute pas capable de le faire, en raison des nombreuses difficultés techniques qu’il n’a pas surmontées ».