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Ce que le Pape a dit sur l’islam

par Alain Gresh, 14 septembre 2006

Le texte intégral en français du discours du Pape où il évoque le dialogue avec l’islam n’est pas encore disponible en français. J’en donne un extrait en mettant en garde : on ne peut comprendre un discours en dehors de son contexte. J’y reviendrai plus tard (il est toujours utile de prendre le temps de réfléchir). Mais la vigueur des réactions dans le monde musulman doit nous alerter. Et la volonté du Pape d’identifier christianisme à pensée grecque et à l’Europe me semble dangereuse.

Voici les extraits du discours tels qu’ils sont donnés sur le site du quotidien La Croix. Discours de Benoît XVI aux représentants de la science à l’université de Ratisbonne (extraits)

Ratisbonne, le mardi 12 septembre 2006

« Ne pas agir selon la raison s’oppose à l’être de Dieu »

« J’ai lu récemment le dialogue, publié par le professeur Theodore Khoury (de Münster), entre l’empereur byzantin lettré Manuel II Paléologue et un savant persan dans le camp d’hiver d’Ankara en 1391, sur le christianisme, l’islam et leur vérité respective. (…) Évoquant le thème du "Djihad" et la sourate 2, 256 ("Pas de contrainte en matière de foi"), [l’empereur déclare] : "Dieu ne prend pas plaisir au sang, et ne pas agir de manière raisonnable est en contradiction avec la nature de Dieu. La foi est un fruit de l’âme, non du corps. (…) Pour convaincre une âme raisonnable, on n’a pas besoin de son bras, pas d’instrument pour frapper, ni d’aucun autre moyen avec lequel on puisse menacer quelqu’un de mort". »

La principale phrase dans cette argumentation contre la conversion par contrainte s’énonce donc ainsi : Ne pas agir selon la raison contredit la nature de Dieu. Le professeur Khoury commente ainsi : pour l’empereur, un Byzantin éduqué dans la philosophie grecque, la phrase est évidente. Pour la doctrine musulmane en revanche, Dieu est absolument transcendant ; sa volonté ne dépend d’aucune de nos catégories, même pas celles de la raison. Khoury cite à l’appui une étude du célèbre islamologue français R. Arnaldez, qui affirme qu’Ibn Hasn va jusqu’à dire que Dieu n’est même pas lié par sa propre parole et que rien ne lui fait obligation de nous révéler la vérité. Si tel était son vouloir, l’homme devrait même se livrer à l’idolâtrie.

« Ici s’effectue une bifurcation dans la compréhension de Dieu et dans la réalisation de la religion, qui nous interpelle directement aujourd’hui. Est-ce seulement grec de penser qu’agir contre la raison est en contradiction avec la nature de Dieu, ou bien est-ce une vérité de toujours et en soi ? Je pense qu’en cet endroit devient visible l’accord profond entre ce qui est grec, au meilleur sens du terme, et la foi en Dieu fondée sur la Bible. En référence au premier verset de la Genèse, Jean a ouvert le prologue de son Évangile avec la parole : "Au commencement était le Logos." C’est exactement le terme qu’emploie l’empereur : Dieu agit avec logos. "Logos" désigne à la fois la raison et la Parole – une raison qui est créatrice et peut se donner en participation, mais précisément comme raison. Jean nous a ainsi fait don de la parole ultime du concept biblique de Dieu, parole dans laquelle aboutissent et trouvent leur synthèse tous les chemins, souvent difficiles et tortueux, de la foi biblique. Au commencement était le Logos, et le Logos est Dieu, ainsi nous parle l’Évangile. La rencontre de l’annonce biblique et de la pensée grecque ne fut pas un hasard. » (…)

« Cette rencontre était depuis longtemps en marche [cf. le nom de Dieu donné à Moïse (« Je suis »), et la traduction des Septante]. Dans le Moyen Âge tardif s’est également développée une tendance à l’intellectualisme augustiniste et thomiste de Duns Scot, qui a fait éclater la synthèse entre ce qui est grec et ce qui est chrétien. Dieu devient tellement transcendant et arbitraire que la vérité et le bien ne sont plus des miroirs de Dieu. (…) À l’encontre de cela, la foi chrétienne a toujours affirmé fermement qu’entre Dieu et nous, qu’entre son esprit créateur éternel et notre raison créée, il existe une réelle analogie, dans laquelle les dissimilitudes sont infiniment plus grandes que les similitudes, mais cela ne supprime pas l’analogie et son langage. Dieu ne devient pas plus divin si nous l’éloignons dans un volontarisme pur et incompréhensible, mais le véritable Dieu est le Dieu qui s’est manifesté dans le Logos et qui a agi et qui agit par amour envers nous. Certes, l’amour "surpasse" la connaissance (…), mais reste néanmoins amour du Dieu-Logos. (…) »

« La rencontre intime qui s’est réalisée entre la foi biblique et les interrogations de la philosophie grecque n’est pas seulement un événement qui concerne l’histoire des religions, mais un événement décisif pour l’histoire mondiale, qui nous concerne aussi aujourd’hui. Quand on considère cette rencontre, on ne s’étonne pas que le christianisme, bien qu’il soit né et ait connu un développement important en Orient, ait finalement trouvé son véritable impact grec en Europe. Nous pouvons aussi dire, à l’inverse : cette rencontre, à laquelle s’est ensuite ajouté l’héritage de Rome, a fait l’Europe et reste au fondement de ce qu’on peut appeler à juste titre l’Europe. Cette thèse – que l’héritage grec critiquement purifié appartient à la foi chrétienne – fait face à une exigence d’une déshéllénisation qui domine de façon croissante le milieu théologique depuis le début de l’ère moderne. (…) J’en viens à la conclusion. (…) Ainsi seulement nous devenons capables d’un authentique dialogue entre cultures et religions, dont nous avons impérativement besoin. Dans le monde occidental domine largement l’opinion que seule la raison positiviste et les formes de la philosophie qui en dépendent sont universelles. (…) Une raison qui est sourde au divin et repousse les religions dans le domaine des sous-cultures est inapte au dialogue des cultures. (…) »

« Pour la philosophie, et d’une autre manière pour la théologie, l’écoute des grandes expériences et intuitions des traditions religieuses de l’humanité, en particulier de la foi chrétienne, est une source de connaissance, contre laquelle on ne se protégerait qu’en restreignant de façon inadmissible notre capacité d’écouter et de trouver des réponses. Il me vient ici à l’esprit un mot de Socrate à Phédon. Les discours précédents ayant évoqué beaucoup d’opinions philosophiques fausses, Socrate déclare : « On comprendrait aisément que quelqu’un, devant tant de faussetés, passe le restant de sa vie à haïr et à mépriser tous les discours sur l’être. » Mais de cette manière, il perdrait la vérité de l’être et s’attirerait un très grand dommage. L’Occident est menacé depuis longtemps par le rejet des questions fondamentales de la raison, et ne peut en cela que courir un grand danger. Le courage pour élargir la raison, non la dénégation de sa grandeur : tel est le programme qu’une théologie responsable de la foi biblique doit assumer dans le débat actuel. »

« “Ne pas agir selon la raison (selon le Logos) s’oppose à l’être de Dieu”, répliqua Manuel II, depuis sa vision chrétienne de l’image de Dieu, à son interlocuteur perse. C’est dans ce grand Logos, dans cette large raison que nous invitons nos partenaires au dialogue des cultures. La trouver toujours à nouveau, telle est la grande tâche de l’université. »

Texte intégral (allemand/italien) :

Uranium

Une intéressante opinion dans le International Herald Tribune, datée du 12 septembre sur le site (mais publié le 13 septembre dans l’édition parisienne), intitulée Lining up to enrich uranium (on peut traduire par faire la queue pour enrichir l’uranium), signée par Charles D. Ferguson du Council for Foreign Relations, et William C. Potter directeur du Centre de non prolifération a l’Institut pour les études internationales de Montery. Ils sont les éditeurs d’un livre The Four faces of nuclear terrorism. Plusieurs pays sont candidats à la maîtrise de la filière de l’uranium enrichi ; parmi eux l’Australie, l’Argentine et l’Afrique du Sud. Leur demande est la même que celle de l’Iran. « Est-il juste et possible, s’interrogent les deux auteurs, de permettre à certains pays d’enrichir de l’uranium tout en l’interdisant à d’autres. » Or ces pays, s’ils pouvaient acquérir cette technologie, seraient en capacité de produire des armes nucléaires. Les projets des trois pays cités, auquel on peut ajouter le Brésil, s’expliquent avant tout par des considérations économiques. Il s’agit aussi d’assurer leur indépendance : on ne manque pas d’uranium enrichi sur le marché mondial, mais aucun pays ne souhaite être « dépendant »... Toujours selon les auteurs, la Russie et les Etats-Unis se seraient mis d’accord pour réserver la technologie d’enrichissement à un petit nombre de pays ; mais qui décidera qui sont les heureux bénéficiaires ? D’autant que ce monopole de fait est contraire aux règles du traité de non prolifération qui prévoit le droit des pays à la maîtrise du nucléaire civil.

Irak

Plus de 100 députés irakiens sur 275 ont signé une résolution demandant un calendrier du retrait des troupes étrangères du pays, rappelle The Guardian du 14 septembre. Ce texte a été permis par une alliance entre les députés sunnites et les députés loyaux au leader chiite Moqtada Al-Sadr. Bien que le texte ait été renvoyé en commission pour six mois, il est significatif des évolutions en cours.

Alain Gresh

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