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L’eau publique/privée (3) : mondialisation et alternatives

Un mouvement mondial de libéralisation des marchés de l’eau a été initié dès le début des années 80 par l’élaboration d’un modèle opérationnel fortement inspiré du systême francais : le Partenariat-Public-Privé (PPP). C’est la première époque de conquête des marchés mondiaux, sur fond d’affirmation planétaire des politiques néo-libérales conduites par le Fonds monétaire international et la Banque Mondiale. Mais cette conquête des nouveaux marchés de l’eau est de plus en plus contestée et les alternatives à la marchandisation croissante d’un bien commun s’affirment de plus en plus fortement.

par Marc Laimé, 2 mars 2007

Un dogme s’affirme avec force au tournant des années 80-90 du XXème siècle. Le recours au secteur privé est indispensable. La bonne gouvernance repose sur un trépied de fer : dérégulation, décentralisation, privatisation.

Les services de l’eau ont un coût, il doit être assuré par les usagers. Qui doivent accepter le "full cost recovery", la récupération intégrale des coûts des services qui leur sont proposés.

Les signatures de contrats avec des grandes métropoles du Sud se succèdent à un rythme impressionnant. Mais les premiers problèmes affleurent dès la fin des années 90 quand il s’agit de commencer à faire payer des usagers fraichement raccordés, qui n’ont ni la culture du paiement d’un bien jusqu’alors largement subsidié par la puissance publique, ni, le plus souvent, les moyens de payer.

De nombreux conflits, largement médiatisés, se succèdent. La tenue des premiers grands forums altermondialistes publicise le thème du refus de la "marchandisation" de l’eau (14).

Le discours commence à évoluer à l’aube des années 2000, le "sustainable cost recovery" (recouvrement soutenable des coûts), succède au "full cost recovery" initial. Place à l’ingenierie sociale et politique appelées en renfort.

Les engagements largement médiatisés de la sommunauté internationale se succèdent lors de la tenue de forums qui s’enchaînent à un rythme soutenu. Sommet du Millénaire pour le Développement à New-York en 2000, Sommet de la Terre à Johannesburg en 2002 ("La maison brule et nous regardons ailleurs"...), Troisième Forum mondial de l’eau à Kyoto en 2003...

Le rapport du "panel" Camdessus publié en juin 2003 martelle que l’engagement financier pour fournir à l’horizon 2025 de l’eau à tous doit atteindre la somme phénoménale de 180 milliards de dollars par an.

Il appelle à une plus grande implication des acteurs locaux : collectivités, communautés de base, ONG..., au nom de l"’empowerment" : il faut conférer un réel pouvoir de décision à la société civile.

Conjointement le palliatif aux insuffisances de financement de la puissance publique serait donc l’octroi de prêts et de crédits consentis par les Institutions financières internationales (IFI).

Le succès repose donc sur de nouvelles normes d’organisation ou de gestion, soit des modes d’organisation variés, avec l’implication croissante d’acteurs extra-étatiques (privés ou associatifs) dans des dispositifs de plus en plus décentralisés (15).

Las, les résultats ne seront pas à la hauteur des attentes. En fait le PPP apparaît pour ce qu’il est en réalité : une branche industrielle prestataire de services dont la gestion échappe à la sanction du marché.

Aujourd’hui, à l’échelle mondiale, 5 à 6% des marchés de l’eau et de l’assainissement ont été libéralisés avec des fortunes diverses.

La cartographie mondiale du marché fait apparaître la logique des acteurs qui veulent se l’approprier.

Globalement non solvable, l’Afrique n’enregistre que quelques contrats, dument garantis par de l’argent public, dans quelques métropoles de l’Afrique de l’Ouest et du Maghreb.

L’Eldorado sud-américain a réservé de cinglantes déconvenues à nos opérateurs qui l’abandonnent dans la confusion.

Ils se recentrent sur l’Europe où émergent les marchés considérables de la dépollution d’une ressource sans cesse plus dégradée, dont la Communauté européenne a décidé de reconquérir la qualité.

Les contrats mirobolants signés en Chine par Veolia, souvent pour des durées de 50 ans, et des dizaines de milliards de dollars, le sont dans une configuration politique pour le moins hypothétique. Quid de la Chine en 2050 ?

Subsistent il est vrai d’importants nouveaux relais de croissance. Ainsi des marchés en pleine expansion de l’externalisation du traitement des eaux usées industrielles. Suez-Ondeo détient un portefeuille de 50 000 contrats de ce type. Le marché émergent, promis à un développement fulgurant, du dessalement de l’eau de mer. Celui de la réutilisation des eaux usées pour l’industrie et l’agriculture.

Le nouveau Far-East, déjà à peu près totalement conquis. Soit les ex-démocraties populaires de l’Europe de l’Est. Un marché potentiel de 100 millions de clients, qui auront recouvré, à horizon de 20 ans, un niveau de vie équivalent à celui de l’Europe occidentale. Des infrastructures, certes anciennes, mais qui ont le mérite d’exister. Des financement communautaires pré et post adhésion, qui ont tout de la fontaine miraculeuse. Et last but not least, un personnel politique majoritairement constitué d’ex-apparatchiks fermement résolus à céder aux sirènes de l’ultra-libéralisme le plus débridé...

Alternatives

Reste qu’en dépit des engagements répétés de la communauté internationale, l’argent promis pour l’eau fait défaut. La manne n’est pas aussi importante que prévu.

Rétrospectivement nombre d’analystes stigmatisent l’ivresse de l’euphorie économique de la fin des années 1990, qui, à l’image de la bulle Internet, aurait précipité la course à la croissance mondiale des majors de l’eau...

Plusieurs initiatives se sont finalement révélées catastrophiques dans des pays confrontés à des crises monétaires, comme en Argentine, et ont conduit les majors à se retirer de nombreux projets trop risqués. Un paradoxe pour les apôtres de la liberté d’entreprendre, indéfectiblement liée à la "prise de risques"...

Du coup les déclarations des apologistes de la libéralisation des "marchés" de l’eau lors du 4ème Forum mondial de l’eau, à Mexico, du 16 au 22 mars 2006, tranchaient singulièrement avec les discours martelés depuis une dizaine d’années, puisque, unanimement ils y proclamaient que ce sont bien la puissance publique, et l’argent public, qui doivent procéder aux investissements qui doivent impérativement être déployés pour promouvoir l’eau et l’assainissement pour tous...

Il est vrai que ce marché se restructure déjà... à marches forcées. De nouveaux acteurs s’y aventurent. Parmi lesquels, ironie de l’histoire, plusieurs firmes publiques déjà présentes dans le secteur de l’eau, à l’image des puissantes "Stadwerke" allemandes, ou d’opérateurs publics italiens. Mais aussi des firmes du batiment et des travaux publics (BTP), et des conglomérats qui émergent notamment dans le Sud-est asiatique, comme en Allemagne ou en Espagne.

Au-delà c’est la mission même des grands opérateurs privés contrôlant l’ensemble de la chaîne, de la production à la distribution, qui est aussi remise en cause par la forte croissance du marché des "prestations de service" que des opérateurs publics confient à des entreprises privées. Dans ce cas l’entreprise privée n’intervient plus que ponctuellement pour assurer des prestations limitées. Désormais de nombreux acteurs industriels (des "ingenieristes" américains, allemands, japonais, britanniques...), le disputent aussi aux majors françaises sur ce terrain (16).

Enfin la configuration actuelle du "marché de l’eau" est aussi de plus en plus bouleversée par l’apparition de celui de l’eau en bouteille, qui connaît des taux de croissance à deux chiffres... L’actuel envol du marché de la désalinisation de l’eau de mer bouscule à son tour les schémas que l’on pensait hier encore bien établis.

Le pouvoir sans partage des trois "majors" françaises ne serait donc pas aussi assuré qu’on pouvait le penser. En France même, leur "âge d’or" touche peut-être à sa fin.

Nombre de collectivités finissent, sous la pression de la contrainte financière et des usagers, par exiger davantage de transparence, voire republicisent leurs services d’eau.

Dans ce contexte, eu égard à la position éminente de la France dans le domaine de l’eau, citoyens, militants, politiques, font désormais face à un enjeu vital.

Celui d’engager une véritable refondation du concept même de service public de l’eau, à l’heure de la mondialisation. Un service public profondément rénové, démocratisé.

L’enjeu est déterminant, crucial, vis-vis du reste du monde comme des générations futures.

Notes :

(14) "L’Eau, res publica ou marchandise ?", sous la direction de Riccardo Petrella, La Dispute, mai 2003.

(15) Dir. Michel Camdessus, "Financer l’eau pour tous", Rapport du panel mondial sur le financement des infrastructures de l’eau, mars 2003. Lire également Martine Bulard, "Les fourberies de M.Michel Camdessus", Le Monde diplomatique, janvier 2005.

Lire aussi Dir. Catherine Baron, "Société civile et marchandisation de l’eau", Sciences de la Société, CNRS, Lereps Toulouse 1, 25 février 2005.

Voir aussi l’ouvrage édité par les représentants d’une centaine d’associations et de mouvements qui se battent dans le monde entier contre la privatisation de l’eau et défendent sa gestion publique. Belén Balanyá, Brid Brennan, Olivier Hoedeman, Satoko Kishimoto et Philipp Terhorst, "Reclaiming Public Water. Achievements, Struggles and Visions from Around the World." Transnational Institute and Corporate Europe Observatory, Londres-Bruxelles, janvier 2005.

(16) Dominique Lorrain, "Les 4 compétitions dans un monopole naturel. Qu’est-il en train d’arriver au secteur de l’eau ?", revue Flux (CNRS), Paris, n° 52-53, septembre 2003.

© « La Pensée », février 2007.

Marc Laimé

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