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Iran : négocier ou faire la guerre ?

par Alain Gresh, 25 février 2007

Alors qu’est arrivé à échéance l’ultimatum lancé à Téhéran par le Conseil de sécurité pour suspendre son programme d’enrichissement d’uranium, les déclarations belliqueuses d’une partie de l’administration américaine se multiplient. Les risques de guerre restent importants. En visite en Australie, le vice-président Dick Cheney a expliqué, dans un entretien au journal Herald Sun du 24 février, qu’il n’y avait qu’une chose plus dangereuse qu’une confrontation militaire avec l’Iran, et ce serait un Iran disposant de l’arme atomique. Il a, à plusieurs reprises, répété que les Etats-Unis n’excluaient aucune option.

Pourtant, la crédibilité des informations fournies par les Etats-Unis à l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) est sérieusement mise en cause par un article du Los Angeles Time du 25 février, « U.N. calls U.S. data on Iran’s nuclear aims unreliable » (les Nations unies considèrent que les données américaines sur le nucléaire iranien ne sont pas fiables), écrit par Bob Drogin et Kim Murphy : « Des responsables de l’AIEA ont affirmé que la CIA et les autres agences de renseignement occidentales ont fourni des informations sensibles à l’Agence au moins depuis 2002, quand le programme secret de l’Iran a été dévoilé. Mais aucune de ces informations sur des soi-disant sites secrets n’a fourni des preuves claires que la République islamique a développé des armes illégales. »

Selon le titre d’un article du Monde, « Ali Akbar Velayati presse les Européens de "tempérer les Etats-Unis" ». Cet homme, qui fut ministre des affaires étrangères pendant dix-sept ans, et est depuis dix ans le conseiller diplomatique du Guide de la révolution, Ali Khamenei, explique à l’envoyée spéciale du quotidien, Marie-Claude Descamps, que l’Iran est prêt à tout envisager, y compris la suspension de son programme d’enrichissement :

« Nous avons déjà essayé de suspendre l’enrichissement. On l’a fait pendant deux ans et demi, et ça n’a rien réglé. Il y a aussi d’autres idées à prendre en compte, comme celle de créer un consortium international d’enrichissement d’uranium sur le sol iranien géré par les Européens et avec toutes les garanties de contrôle de l’AIEA. La France est tout à fait à même de former ce consortium. Après tout, nous avons un passé de coopération et de confiance avec la France qui voulait construire un réacteur nucléaire à usage civil à Darakhoin, près d’Ahwaz, dans les années 1970. Nous-mêmes avons été et sommes encore actionnaires d’Eurodif. Tout cela rend plus facile une reprise des discussions sur ce projet avec la France, ce qui répondrait aux inquiétudes de certains pays. Le moment est propice. »

Interrogé à propos de la position française et du projet de voyage d’un émissaire français à Téhran, Ali Akbar Velayati précise :

« C’est une très bonne idée. Les intérêts communs de la France et de l’Iran font que ces deux pays devraient se donner la main pour défendre le Liban. Des consultations entre nous ne peuvent être que bénéfiques, au-delà du Liban, pour tout le Moyen-Orient et le Golfe. A l’heure actuelle, les Etats-Unis font cavalier seul au Moyen-Orient, et cet "unilatéralisme", dénoncé aussi par M. Poutine, est mauvais. Mais force est de constater que l’Europe est absente, elle ne joue plus aucun rôle au Moyen-Orient, je le déplore. Une présence politique européenne dont la France serait le moteur deviendrait un bon moyen de rééquilibrer la situation au Moyen-Orient. »

Ces déclarations de Velayati confirment que différents points de vue existent au sommet de l’Etat iranien. Les critiques se multiplient en Iran à l’égard du président Ahmadinejad, même si un consensus existe sur le droit du pays à maîtriser l’énergie nucléaire. Il est évident qu’une escalade militaire renforcerait, à l’intérieur, le camp le plus extrémiste.

Joseph Samaha

Joseph est décédé dans la nuit de samedi à dimanche, à Londres. Il était le rédacteur en chef du quotidien libanais Al-Akhbar. Issu des courants nationalistes arabes, il avait collaboré à plusieurs quotidiens avant de devenir rédacteur en chef du journal de gauche Al-Safir. Il y a moins d’un an, il lançait le quotidien Al-Akhbar, opposé à l’actuel gouvernement, qui est devenu en quelques mois un des principaux journaux du pays. Chacun de ses éditoriaux quotidiens était suivi et commenté par la classe politique libanaise, y compris par ses adversaires, qui reconnaissaient la subtilité de ses analyses. Je l’ai souvent cité sur ce blog. Le Liban perd un grand journaliste, et moi un ami.

Fantasmes sur l’islam

Dans un entretien intitulé « L’influence de l’Islam en France est un fantasme américain » donné au site francophone de New York French Morning, Justin Vaisse dénonce les propos sur une France en voie d’islamisation. Justin Vaisse et Jonathan Laurence publient un livre sur l’islam aux éditions Odile Jacob (à paraître le 22 mars). Voici quelques extraits de l’entretien :

French Morning : Une autre perception américaine fréquente est que l’intégration échoue en raison du poids des musulmans…

Justin Vaisse : « Les deux questions n’ont rien à voir. Oui, l’intégration est un problème en France et un échec flagrant, que les émeutes de 2005 ont souligné. On a échoué à se débarrasser de ces zones de relégation sociale, ces phénomènes de ghetto, avec chômage, échec scolaire, etc. Mais la dimension religieuse ne joue pas. La police, les Renseignements généraux l’ont souligné, l’islamisme n’est pas un facteur dans ces émeutes. La preuve, quand les organisations religieuses comme l’UOIF (l’Union des organisations islamiques de France) ont tenté de faire stopper les violences, elles ont échoué. L’UOIF a publié une fatwa et cela n’a eu absolument aucune conséquence sur le nombre de voitures brûlées. »

French Morning : Pourtant, il y a bien un mouvement de réislamisation de la part de beaucoup de Français d’origine musulmane…

Justin Vaisse : « Oui, mais ce ne sont pas les mêmes. Ceux qui brûlent les voitures sont « en dessous du radar », ils n’ont simplement pas la culture suffisante. Ceux qui, au contraire, se « réislamisent » sont éduqués et socialement intégrés. D’ailleurs, cette réislamisation conduit très peu à l’islamisme, à la radicalisation. L’affaire des caricatures de Mahomet n’a donné lieu à aucun incident en France. Plus que tout, le foulard islamique a montré que les musulmans de France respectaient la loi. C’est un sacrifice pour certains d’entre eux, pour qui le foulard est important, mais avant tout ils respectent la loi. »

Le sociologue Vincent Geisser publie lui aussi un livre, Marianne et Allah, en collaboration avec Aziz Zemouri, à paraître le 15 mars aux éditions La Découverte. Il a donné plusieurs entretiens à la presse. Un à Politis du 22 février, intitulé « L’objet islam est devenu un enjeu politique », où il évoque « une islamisation du débat politique » en France. « Ce qui relevait de l’altérité – les "immigrés", les "beurs", les personnes "issues de l’immigration" – est de plus en plus décliné sur le mode "musulman"" (...) Aujourd’hui, en France, parler de laïcité et de République, c’est une autre façon de poser la défense de l’identité française, sans avoir l’air de poser une problématique identitaire d’extrême droite. »

Dans un entretien au quotidien Le Monde du 22 février, « Pour les politiques, l’objet "islam" est devenu un créneau" », il explique ainsi les positions du Parti socialiste :

« Au PS, la relation aux musulmans est caractérisée par une grande méconnaissance, un paternalisme social et une approche laïciste. Aux yeux des socialistes, il y a les intégristes et les intégrés. Ils sont sur l’idée, de gauche, que le recours au religieux est un effet de l’échec des politiques économiques et sociales. Ce sont l’accès à l’éducation et la lutte contre les discriminations qui favorisent l’intégration dans la République et détournent de la religion. Personne n’est là pour leur dire que le retour à l’islam se produit aussi beaucoup dans les classes moyennes et supérieures. »

« La proposition 74 de Mme Royal (d’inscrire une charte de la laïcité dans la Constitution) s’explique par la nécessité de compenser l’absence de propositions concrètes par un recours à l’idéologie, au symbolique. Face aux valeurs de laïcité et de service public, l’islam est de fait la religion la plus menaçante. La peur du communautarisme se décline donc à travers des exemples tirés de l’islam. Enfin, pour les féministes de gauche, il est clair que le port du voile agresse l’idéal d’émancipation. »

Alain Gresh

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